Le Maroc ne décolère pas depuis la confirmation de la visite, lundi et mardi, du roi d’Espagne Juan Carlos dans les enclaves de Ceuta et Melilla. Le royaume chérifien assimile ce déplacement à une provocation et certains responsables politiques du pays prédisent un durcissement des relations entre Rabat et Madrid.
Par Awa Traoré
Le torchon brûle entre le Maroc et l’Espagne. Le roi Juan Carlos et la reine Sofia sont en visite, lundi et mardi, à Ceuta et Melilla, deux enclaves stratégiques d’Afrique du Nord que le Maroc revendique. Madrid explique que le déplacement du souverain, son premier dans ces villes depuis son accession au trône en 1975, fait suite à une demande des populations de ces petits territoires. Pour l’occasion, les magasins et les écoles fermeront pour donner une chance aux habitants d’apercevoir le roi, que certains attendent avec impatience.
Souffle de contestations
Rabat n’apprécie pas du tout et, depuis la confirmation de la visite, ne décolère pas. Signe fort de sa contestation, il a annoncé, vendredi, et pour une durée indéterminée, le rappel pour consultations d’Omar Azziman, son ambassadeur dans le pays européen. Le président de l’ordre des avocats jordaniens, Salah Abdelkarim El-Armouti, a d’ailleurs appelé les gouvernements arabes à faire de même par solidarité. Des députés marocains, eux, ont prévu un sit-in devant l’ambassade d’Espagne à Rabat.
Côté déclarations, plusieurs organisations, associations et formations politiques marocaines ont fait part de leur désapprobation. Le bureau du parti socialiste a dénoncé une « visite provocatrice qui porte gravement atteinte à la souveraineté nationale et constitue une perpétuation du colonialisme ». La Coordination nationale de défense des victimes de l’administration coloniale espagnole condamne pour sa part « les pratiques racistes du parti populaire espagnol à l’égard des Marocains et de l’ensemble des ressortissants étrangers ».
Le chef de gouvernement, qui a fait du dossier Ceuta et Melilla l’une de ses priorités, condamne avec plus de diplomatie le déplacement, qu’il dit avoir appris dans la presse espagnole. « Le gouvernement (…) rappelle que ces deux villes sont partie intégrante du territoire du royaume du Maroc et leur retour dans la mère patrie découlera de négociations directes avec le voisin espagnol », a indiqué Abbas el Fassi, d’après les propos rapportés par l’agence de presse marocaine Map.
Relations diplomatiques en berne ?
Reste que certains estiment que la démarche du roi espagnol va raviver les tensions qui s’étaient difficilement apaisées après la crise de l’îlot du Persil, en 2002. Le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, Khalid Naciri, a qualifié la décision espagnole de « regrettable, inappropriée et inopportune » et souligné qu’elle « ne s’inscrit pas dans l’excellence des relations entre les deux pays ».
A la chambre des représentants, la Commission des Affaires Etrangères, de la Défense Nationale et des Affaires Islamiques a déclaré qu’il fallait « revoir les relations maroco-espagnoles à la lumière des derniers développements ». Le ministre des Affaires Etrangères, Taïeb Fassi Fihri, a même déclaré que la réunion entre les deux pays qui devait se tenir dans les prochains jours était « inopportunes dans les circonstances actuelles ».
L’Espagne sereine
Pas de quoi inquiéter l’Espagne, qui ne fait manifestement pas la même lecture des événements. Le chef du gouvernement, José Luis Rodriguez Zapatero, a souligné que les relations entre Madrid et Rabat sont « très bonnes et continueront d’être très bonnes ». La vice-présidente du gouvernement espagnol, Maria Tesa Fernandez de la Vega, a ajouté que les relations entre Rabat et Madrid sont « extraordinairement bonnes » et « fondées sur une affection sincère et un respect mutuel ».
Seulement, le Maroc a le sentiment de faire les frais d’une manipulation politique. Des élections sont prévues en février 2008 en Espagne. Dans ce contexte, certains considèrent que le choix du 6 novembre ne doit rien au hasard. Ce jour-là, en 1975, le roi Hassan II, prédécesseur et père Mohammed VI, a lancé la « Marche Verte » pour revendiquer le Sahara Occidental, que l’Espagne contrôlait à cette époque. Le pays européen est donc soupçonné d’avoir voulu faire une démonstration de force à des fins électorales. Le quotidien marocain L’Economiste n’exclut pour sa part pas que l’Espagne essaye d’« obtenir des concessions » pour conserver son influence économique dans la région.
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