Pourquoi les Congolais, du moins ceux qui sont embobinés et embrigadés par les nouvelles « églises du réveil » croient-ils que le chapitre 18 du livre biblique d’Esaïe décrit le Congo et le peuple congolais ? Juste parce qu’on y mentionne un pays « au-delà des fleuves de l’Ethiopie » qui est « coupé par des fleuves » ?
Pourquoi mon cousin, qui venait de joindre une secte religieuse, changa-t-il soudain son régime alimentaire et devint du jour au lendemain un végétarien dans une ville comme Kinshasa ? Là où l’ingestion journalière de protéines est problématique et leefait de trouver de la nourriture s’apparente pour certains aux mécanismes de la chasse et de la cueillette ? Mon cousin justifia son végétarisme par le passage biblique de la Genèse 6 :19-21. Puisque Dieu avait décrété « la fin de toute chair », qu’il avait instruit Noé de construire une arche, d’y préserver des échantillons de toute la biodiversité animale sur Terre (« deux de chaque espèce » d’animaux), et de prendre aussi « tous les aliments qu’on mange… afin qu’ils te servent de nourriture ainsi qu’à eux [les animaux]», c’est que, selon mon cousin, Dieu nous a clairement ordonné de ne pas manger de la viande.
On pourrait rire de cette naïveté et de la lecture minutieuse des prophètes congolais des églises du réveil. Mais il se fait que ces pasteurs piratent aujourd’hui la politique et lisent ou interprètent des documents profanes, comme la nouvelle Constitution, avec la même attention que la Bible. Ainsi en est-il du Révérend Théodore Ngoy, avocat de formation. Pendant un moment aspirant candidat-président, il se ralliera par la suite au camp de Jean-Pierre Bemba. En décembre 2005, lors du référendum sur cette Constitution, le révérend Ngoy battait campagne à la télévision pour le « non » pour, entre autres causes, une virgule placée après la première proposition de la première phrase de l’article 41 : « Tout individu a le droit de se marier avec la personne de son choix, de sexe opposé, et de fonder une famille ». Selon notre bon pasteur, pourquoi le législateur avait-il placé une virgule entre « de son choix » et de « sexe opposé » s’il n’avait pas l’intention de faire passer par cet interstice l’abomination du mariage homosexuel ? Selon le Révérend Ngoy, cette virgule était la virgule du diable, l’autoroute de Satan menant tout droit dans l’âme du Congo.
Les politiciens, eux-aussi, sont pris d’euphorie biblique et religieuse. Lors de la campagne électorale de 2006, les états-majors politiques des deux candidats présidentiels – Joseph Kabila et Jean-Pierre Bemba – ont ainsi produit des « prophéties » et des « contre-prophéties » sur l’histoire prophétique du pays et sur la victoire de leurs candidats respectifs.
Premier exemple : sur le site Internet officiel du président de la République Démocratique du Congo (RDC), on peut encore lire le panégyrique intitulé « Le Destin exceptionnel de Joseph exceptionnel » . Il est magistralement écrit par l’éditorialiste présidentiel officiel Marcel Nzazi Mabidi et daté du 6 janvier 2006, près de 7 mois avant le premier tour de l’élection présidentielle. Cet éditorial contient une prophétie censée avoir été proférée par Simon Kimbangu, le messie congolais mort en captivité en 1921 (le titre que lui donnent les kimbanguistes eux-mêmes est celui d’« Envoyé Spécial de Dieu »).
Voici la prophétie supposée de Simon Kimbangu, qui se lit comme un roman à clef, telle que nous rapporte Marcel Nzazi Mabidi. « Le Congo sera indépendant un jour. Pendant 40 ans le pays sera mis à feu et à sang et connaîtra d’énormes difficultés et souffrances de tous genres, puis viendra le bonheur. Le pays sera d’abord dirigé par un mouton [Joseph Kasa-Vubu, premier président de la RDC, ndlr]. Cet homme sera originaire de la province où je suis né. Le pays sera ensuite dirigé par un fauve [Mobutu, ndlr] qui viendra écarter le mouton. Pendant le règne du fauve marqué par la terreur, le pays sera saccagé. Il manquera d’argent dans le pays. Même les banques seront vides. Viendra ensuite un homme, un météore, originaire de la province où je finirai ma vie [Laurent-Désiré Kabila, ndlr]. Son règne sera très court. Son principal rôle sera de chasser le fauve du pouvoir. Puis viendra quelqu’un, un jeune homme sage [Joseph Kabila, ndlr]. C’est lui qui sauvera ce pays et apportera au peuple le bonheur, la vraie indépendance ».
A quelques heures de la première confrontation armée dans la capitale congolaise entre la garde présidentielle et la milice du principal rival au président sortant, et sept mois après cette production prophétique de Marcel Nzazi Mabidi qui place Joseph Kabila depuis 1920 dans une vision de Simon Kimbangu, la chaîne de télévision du candidat Jean-Pierre Bemba, Canal Congo TV (CCTV), produit à son tour un prophète qui aurait eu une « contre-prophétie » sur l’histoire du Congo. Prophétie qui est en fait une relecture du rêve messianique de la statue d’or dans le passage biblique de Daniel 2 :31-45. Elle fait figurer le Congo et Jean-Pierre Bemba dans la vision de Daniel, plus de deux mille ans avant la création du pays et la naissance du candidat providentiel. Encore une fois, on pourrait rire de cette naïveté, de cette crédulité s’il ne s’en suivait pas mort d’homme.
Deuxième exemple : la réalité de l’actualité. Dans la nuit du 13 août 2009, le jeune député congolais Yves Kisombe, exclu du parti de Jean-Pierre Bemba et gravitant dans la mouvance présidentielle, a été extrait d’un restaurant où il dînait, traîné à l’extérieur, sommairement « jugé », puis sauvagement battu, déshabillé et laissé pour mort dans une rue de Londres par ceux qui s’autoproclament « résistants » congolais
Yves Kisombe est la deuxième personnalité congolaise de la mouvance présidentielle à être agressée à Londres, avec des agresseurs utilisant la même méthode du dénudement de la victime : la première victime ayant été She Okitundu , ancien chef de cabinet de Kabila et sénateur. Dans leur communiqué extatique, publié après l’agression sur Yves Kisombe, ces « résistants » ont aussi décrété une « interdiction de visite ou de séjour imposée sur le sol de laGrande-Bretagne, aux officiels, aux musiciens et aux pasteurs congolais qui participent à la destruction de la nation et sa vente aux étrangers ». Ces « résistants », soit dit en passant, croient que Joseph Kabila, qu’ils surnomment « Hippolyte Kanambe », n’a aucune filiation avec Laurent-Désiré Kabila et serait un sujet rwandais au service de Paul Kagamé placé au Congo pour corrompre le « peuple de Dieu » de l’intérieur.
Avant de tabasser Yves Kisombe, les « résistants » l’ont fait passer par ce que les Anglo-Saxons appellent un « kangaroo court » (littéralement, un « tribunal kangourou ») ou une mascarade de procès. Voici un extrait de ce procès (je recopie textuellement le communiqué pour montrer l’incurie intellectuelle de ces « résistants » autoproclamés) :
« [Question à Yves Kisombe] : Tu reconnais d’avoir contredit le leader de Bundu dia Kongo Ne Muanda Nsemi alors qui plaidait la cause de nos compatriotes qui se battent contre ce régime d’occupation installé en RDC ?
[Réponse d’Yves Kisombe] : Ne Muanda Nsemi n’est se jamais adressé a moi pour ce probleme ».
Qu’est-ce le « Bundu dia Kongo » ? Et qui est Ne Muanda Nsemi ?Le « Bundu dia Kongo » (littéralement, « royaume du Congo » en langue kikongo) est une secte ethno-politico-religieuse de l’ethnie Kongo de la province du Bas-Congo (dont est originaire Yves Kisombe) et dont le gourou est justement Ne Muanda Nsemi mentionné dans le « procès kangourou » et qui siège aujourd’hui comme député au Parlement congolais.
La « théologie » du « Bundu dia Kongo » tient sur les deux doigts d’une seule main : 1) l’ethnie Kongo est le peuple élu du Dieu d’Israël et lors de l’Armageddon Jésus-Dieu lui-même viendra « ravir » le peuple Kongo pour l’emmener au Mont Sion ; et 2) dans l’entretemps, pour préparer le peuple élu Kongo à cet événement messianique, il faut raviver l’ancien Royaume Kongo en y procédant à l’épuration ethnique. Une milice armée est ainsi créée, des affrontements avec la police s’en suivent avec un bilan lourd. Plus de deux cents victimes. Le gouvernement congolais sera condamné par les organisations des droits de l’Homme pour sa réponse disproportionnée.
On peut se moquer des « pauvres d’esprit » qui croient en ces idioties, mais les victimes de ces idioties sont bien des hommes de chair et d’os Comme les morts du Bas-Congo ou le député Yves Kisombe gisant, inconscient et nu, sur le trottoir d’une rue perdue de Londres.
Ce n’est pas que l’extase biblique qui souffle sur le Congo. Il y a aussi parallèlement une véritable folie animiste qui s’est emparée de tout le pays. Dans les Kivu, à l’est du pays, après la chasse aux albinos comme en Tanzanie, on étrangle les gens pour vendre la corde qui a servi à la strangulation pour ses propriétés magiques supposées, comme le rapporte Radio Okapi dans une dépêche du 16 juillet 2008. « Selon des propos concordants de cette population, plusieurs personnes sont mortes étranglées au moyen d’une corde appelée Kabanga. Cette corde serait vendue ensuite à grand prix à des fins fétichistes. Deux présumés étrangleurs ont été appréhendés, il y a plus d’une semaine par les services de l’ANR [Agence Nationale de Renseignements, ndlr], et transférés à Bukavu ». Il y a quelques mois, quelques sujets angolais et nigérians se faisaient lyncher dans les rues de Kinshasa au motif qu’ils faisaient disparaître des pénis juste en se frottant aux autres passagers dans les taxis-bus…
Dans d’autres pays, c’est la pègre qui est souveraine dans les bas-fonds. Par contre, les rues du Congo, et fort tristement celles de la Grande-Bretagne pour des Congolais jugés « indésirables » par des milices congolaises de la diaspora, sont sous la coupe des souverains ethno-religieux chrétiens et animistes.
Voir le blog d’Alex Engwete