Porté par le collectif La Chapelle en lutte, les 150 réfugiés, en majorité des Afghans, des Soudanais, des Erythréens, qui avaient débarqué à l’association féminine « Ni pute ni soumise » ont finalement investi le collège Guillaume Budé, dans le 19ème arrondissement de Paris. Désormais au nombre de 200, après avoir été rejoints par d’autres migrants, plusieurs jeunes bénévoles français, venus à leur secours, organisent la vie dans leur nouvel habitat. Reportage.
Au collège Guillaume Budé, à paris,
« Où se trouvent les petits ? Il faut que je les retrouve, c’est l’heure du goûter ». Comme à son habitude, Lise cherche partout autour d’elle des enfants parmi les réfugiés pour leur offrir des gâteaux et du chocolat, contenus dans son sac à main. Ce petit bout de femme a quitté le 11ème arrondissement de Paris pour venir à la rencontre des nouveaux habitants du collège Guillaume Budé, dans le 19ème, après avoir été contraints de quitter les locaux de l’association féminine « Ni pute ni soumise ». Comme nombre de jeunes bénévoles français qui se sont personnellement investis pour apporter leur aide aux migrants, Lise a aussi tenu à les soutenir. Elle trouve sur son chemin Rania, présente auprès des migrants depuis de nombreux mois, qui lui propose de la conduire là où se trouvent les enfants qui pourront profiter du goûter qu’elle leur a apporté. Il ne lui faut pas longtemps pour en trouver. Deux petits Erythréens descendent des escaliers avec leur maman et récupèrent, avec joie, les sucreries.
Des migrants en train de manger des pattes à la bolognaise dans la cour du collège
« J’étais en congé, mais je viens aider pour faire le ménage »
Autour de la cour du bâtiment désaffecté, des sacs de couchages que l’on aperçoit un peu partout décorent l’herbe. Des migrants sont assis en petits groupes sur les bancs et fauteuils installés un peu partout. Certains discutent avec les bénévoles. D’autres n’hésitent pas à se lever pour aller se resservir une portion de patte à la bolognaise accessible en service libre. A l’intérieur du lieu, les migrants ont pris place dans plusieurs pièces, par groupes. Ils dorment sur des draps et couvertures à même le sol. Dans les couloirs étroits, des soutiens se relaient régulièrement pour passer un coup de balai. Dans une des pièces, qui sert de cuisine, où de nombreux aliments sont empilés, cinq jeunes bénévoles, aidés des migrants, bricolent des casse-croutes pour que les nouveaux occupants des lieux se restaurent. « J’ai des steak Charal, je peux les préparer ? » demande un des membres du collectif à Fatiha, particulièrement active pour soutenir les migrants. « Non, ils ne sont pas halal, on ne peut pas proposer ça aux gens, préparez plutôt des sandwiches au thon », leur conseille-t-elle, avant de sortir et de s’assoir sur un petit tabouret, au premier étage, qui donne une vue sur la cour. Perdue dans ses pensées, les traits tirés par la fatigue, une cigarette à la main, la quadragénaire a besoin de souffler. La journée a été longue pour celle qui a quitté la commune de Montreuil pour venir ici. « Vous voyez, ce n’est pas facile, il y a encore beaucoup à faire, lâche-t-elle, continuant à fumer sa cigarette. Je viens les aider en tant que traductrice comme je parle l’arabe, mais je fais aussi le ménage très souvent », explique-t-elle. J’avais une semaine de congé, mais j’ai préféré être là ».
Des bénévoles partis chercher des couvertures pour les migrants
« Ils n’ont pas quitté leur pays parce qu’ils étaient malheureux mais à cause de la guerre »
Même son de cloche pour Danielle, arborant des cheveux gris coupés très courts. « Je suis venue de Montreuil juste pour voir comment les choses se passent et ce que je peux leur apporter. Parfois, on apporte des choses qui ne leur sert à rien, donc autant emmener des choses utiles. Je pense que je vais leur remmener des draps », affirme-t-elle.
Les draps sont particulièrement prisés par les femmes réfugiées, qui sont aussi présentes. Une aide active s’organise autour de quatre d’entre elles originaires du Soudan et de l’Erythrée avec des enfants à bas âges. Les bénévoles leur ont offert des sandwiches au thon pour calmer leur faim. Lise qui a fini de distribuer le goûter aux enfants assis en face d’elle, souhaite inscrire les plus petits à l’école, et demande à Rania de faire la traduction en arabe pour se faire comprendre. « Tu iras à l’école, toi aussi », lance-t-elle aux plus jeunes avant de quitter la pièce, où des bénévoles viennent et vont à tour de rôle, apportant des vivres, des draps, des couches. « Elles viennent d’arriver aujourd’hui, il faut aider la plus âgée à avoir un matelas », s’écrie cette jeune fille venue aussi aider, s’adressant à Najer qui vient d’entrer.
« Un paquet de sucre offert aux migrants volé par un Français qui avait faim »
L’impressionnant colosse de 1 mètre 80 se veut tout de suite rassurant : « Que ces dames ne s’inquiètent pas, on est à nos débuts ici mais on va s’organiser au mieux pour qu’elles aient un espace à elles qui leur conviennent ». Très impliqué dans l’aménagement des lieux, ce physioniste, apporte son soutien aux réfugiés depuis leur entrée en France, lorsqu’ils ont débarqué à la Chapelle. « J’ai plaqué mon taf pour venir les aider. Ils sont très courageux. C’est un grand miracle qu’ils soient ici. Moi, si j’étais à leur place jamais je pourrai faire ce qu’ils ont fait, à savoir prendre un bateau et braver la mer au péril de leur vie », affirme le jeune homme aux cheveux bouclés qui lui tombent jusqu’au épaules. « Ils n’ont pas quitté leur pays parce qu’ils n’étaient pas heureux, mais parce qu’ils n’avaient pas le choix à cause d’un évènement qui a bouleversé leur existence comme les conflits, les guerres. Malheureusement, le 18ème, où ils se sont tous installés au départ, est une zone ou le taux de chômage est très élevé, où il y a déjà beaucoup de difficultés et de problèmes sociaux, déplore Najer. La preuve est qu’un jour, un homme a volé sous nos yeux un paquet de sucre qu’on a avait posé pour les migrants, devant nous. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il avait fait ça, il nous a répondu qu’il avait faim et n’avait pas à manger chez lui », explique-t-il, esquissant un sourire, avant de rejoindre les autres pour se remettre au travail.
Des réfugiées soudanaises en pleine discussion avec la bénévole Rania
Des migrantes entraînées dans un réseau de prostitution
Concentrée, de son côté, Fatou, originaire du Niger, assise par terre sur un des matelas, note soigneusement les noms et âge de toutes les femmes présentes dans la pièce ainsi que ceux de leurs enfants, afin de soumettre à la mairie leur demande de logement. « Elles devraient avoir un logement dans les prochaines jour, on en a discuté avec les responsables de la Mairie », affirme Fatou, qui garde sa bonne humeur malgré la fatigue. « Je ne tiens plus debout. Hier, j’ai été accompagné plusieurs migrants à l’Office de l’immigration et de l’intégration pour qu’ils puissent être régularisés ». Elle espère que les migrants restés à la porte de la Chapelle et près de la gare d’Austerliz viendront ici où ils pourront se mettre à l’abri en attendant de trouver un meilleur endroit. « C’est scandaleux ! Ça fait deux mois que rien ne bouge à la Chapelle et à Austerliz. Ils dorment par terre, sous la pluie, sur des matelas mouillés, s’inruge-t-elle. Dans les autres pays d’Europe, en Angleterre, en Allemagne, ou même en Italie, ils sont mieux traités et mieux accueillis ! Il n’y a qu’en France qu’on voit ça », fustige-t-elle. Mais ce qui préoccupe particulièrement la jeune bénévole, « c’est le réseau de prostitution qui est en train de naître dans les camps de réfugiés ». D’après elle, « il y a un proxénète qui pousse certaines jeunes filles à la prostitution, raison pour laquelle certaines préfèrent rester dans les camps et dormir dehors, plutôt que de venir ici ».
Le réfugié soudainais Adam en train de peindre l’arbre de l’espoir
L’objectif du collectif « La Chapelle en lutte », c’est de faire de ce lieu un centre d’hébergement, qui permettrait d’accueillir aussi, en partie, les migrants qui dorment toujours dehors dans des camps, au cœur de Paris. « On veut que la Mairie s’investissent pour rendre ce lieu viable, et le transforme en un véritable centre d’hébergement. Il y a plein de lieux désaffectés, comme celui-ci, dans Paris, qui pourraient servir aux migrants », explique la filiforme Vélérie, qui organise régulièrement les manifestations de soutien.
Mais bien que la mairie du 19ème ait affirmé que les occupants du Collège Budé pouvaient rester pour le moment sans crainte d’être expulsés, elle n’a pas statué définitivement sur la question. Les réfugiés vont donc devoir encore patienter avant d’être définitivement fixés sur leur sort…