Comment vit-on dans les foyers africains en France ? Francis Lacroix, directeur général de Soundiata Nouvelle, une association d’accueil et gestionnaire de foyers de travailleurs migrants, explique les spécificités d’un contexte communautaire. Il revient également sur la philosophie de son action, guidée par des impératifs économiques mais portée par le profond respect des populations africaines.
La vie dans les foyers africains en France ? « L’Afrique à l’intérieur, la France à l’extérieur », répond avec expérience Francis Lacroix, directeur général de l’association Soundiata Nouvelle. Une structure gestionnaire de foyers[[<*>Soundiata Nouvelle dispose de 21 établissements – deux en Bourgogne et dix-neuf en Ile-de-France, dont douze à Paris – pour une capacité d’accueil de 3 200 places en Ile-de-France.]] de travailleurs migrants d’Afrique sub-saharienne, qui remplit également un rôle d’accueil et d’accompagnement auprès de ces populations. S’il est obligé de développer une rigueur professionnelle au niveau de son activité de logeur, Francis Lacroix refuse d’utiliser le couperet républicain pour soumettre ses locataires aux schémas classiques de vie à l’occidentale. Il défend le respect et la dignité de l’homme avec des pratiques communautaires reconstituées, qui s’affranchissent de tout cadre légal. Entre tolérance et dialogue, il prône une méthode de gestion qui porte ses fruits.
Afrik.com : Les populations d’Afrique noire vivant en foyer ont-elles des spécificités ?
Francis Lacroix : En effet. La première est qu’elles reconstituent le mode de vie qu’elles avaient dans leur village d’origine. Il y a les mêmes schémas de régulation sociale avec un conseil des sages. Ce ne sont pas des individus que nous avons en face de nous, mais des communautés avec des délégués communautaires. Les gens passent par ces relais pour être représentés. Cela instaure un rapport de force particulier qui se concilie mal avec le droit français, qui veut qu’un contrat locatif soit passé à titre individuel. Alors il faut adopter un système mixte pour pouvoir, concilier les deux. D’où la place importante de la négociation et du dialogue dans le cadre de notre travail pour éviter ou désamorcer les situations conflictuelles. Nous avons quatre personnes au sein de notre structure chargées uniquement de cela.
Afrik.com : Les foyers africains sont réputés pour être les royaumes d’une économie parallèle. Qu’en est-il exactement ?
Francis Lacroix : Il y a effectivement beaucoup d’activités informelles. On y retrouve quasi systématiquement, par exemple, des cuisines communautaires. Tenues par les femmes, elles remplissent une importante fonction de solidarité en proposant des repas à 1,5 euro. C’est un peu comme les Restaurants du Cœur. Tout le monde peut venir y manger qu’on soit du foyer ou non. Il s’agit d’un travail au noir, mais qui est partout toléré. Nous ne nous érigeons pas contre cela, mais nous menons un travail d’accompagnement de la pratique pour garantir de bonnes conditions d’hygiène alimentaire. Au sein des foyers, il y a également de l’artisanat, de la coiffure, de la couture, des bouchers et des petits commerçants qui font de l’épicerie de base.
Afrik.com : Quels sont les problèmes majeurs que vous rencontrez dans vos foyers ?
Francis Lacroix : La surpopulation. Les foyers sont les réceptacles des primo arrivants. Les difficultés de trouver un logement laissent la porte ouverte à une hospitalité pour les jeunes. On se retrouve ainsi avec 200 ou 300 personnes dans des lieux prévus pour 100. Nous avons officiellement 3 200 places en Ile-de-France. Mais à ce chiffre, il faut ajouter une sur-occupation de 5 000 personnes. Ce sont des frais en plus, comme l’eau, auxquels nous devons faire face. Or la réglementation française ne nous donne pas la possibilité de faire payer cette sur-occupation. Nous sommes très conciliants par rapport à cela, parce qu’autrement les seuls leviers que nous avons pour agir sont la police et la justice. Mais ce n’est pas dans notre philosophie. Il ne faut pas dramatiser non plus. Le fait est que ce sont des pratiques qui existent depuis toujours. Il suffit simplement d’une concertation, au nom d’une discipline générale, pour éviter que cela aille trop loin.
Afrik.com : Et si ça va malgré tout trop loin ?
Francis Lacroix : Dans ce cas nous devons agir. Il arrive que les foyers soient débordés par la surpopulation. Que les gens dorment dans les cuisines d’étage ou dans les couloirs. Nous ne pouvons permettre de telles choses pour de simples raisons de sécurité et de responsabilité. Imaginez qu’il y ait un incendie… Nous pouvons faire intervenir les forces de l’ordre pour des actions de régulation sociale à l’intérieur des foyers, mais il nous faut d’abord passer par un tribunal pour avoir le mandat d’un juge… Toutefois nous ne le faisons jamais en traître. Nous en parlons d’abord avec les délégués communautaires pour donner le maximum d’explications pour expliquer nos motivations.
Afrik.com : Autre lieu commun des foyers africains : les clandestins. Quelle est votre position par rapport à cela ?
Francis Lacroix : Derrière la porte du logement, on entre dans un espace privatif où nous n’avons aucune responsabilité de police.
Afrik.com : Et qu’en disent les autorités ?
Francis Lacroix : Les clandestins ne dérangent pas les pouvoirs publics car les foyers ne sont pas des lieux d’insécurité publique. Car les communautés développent de fortes capacités d’autorégulation. Un tiers de nos 5 000 sur-occupants ont des papiers en règle, sont parfois même français, mais ont du mal à trouver à se loger. Or avec la notion de droit au logement qui existe en France, les pouvoirs publics (les maires et les sous-préfets) et les bailleurs HLM préfèrent un statu quo pour éviter d’avoir à leur trouver des places ailleurs, même s’il y a quelques largesse qui sont prises par rapport au modèle républicain. Tant que cela reste concentré dans des lieux précis et qu’il n’y a aucune atteinte à l’ordre public, personne ne veut prendre le risque de casser ce modèle.
Afrik.com : Les foyers semblent être des lieux de liberté totale. Comment tolérez-vous cela ?
Francis Lacroix : Le phénomène existe depuis 40 ans sans qu’il y ait de débordement. C’est un héritage historique. La tolérance que nous devons avoir à l’égard de cela s’appuie sur un respect du cadre de vie de nos locataires d’Afrique sub-saharienne qui vivent en France. Il ne faut pas oublier qu’ils soutiennent souvent leur famille dans leur pays d’origine et que beaucoup de personnes, femmes comme enfants, dépendent d’eux. Ils financent des équipements publics, comme des écoles, des centres de soins, des puits, des périmètres d’irrigation ou des mosquées. Nous n’avons pas en face de nous des voyous.
Afrik.com : Comment faites-vous pour contenir les débordements ?
Francis Lacroix : Nous travaillons à ce que les gens puissent vivre un peu mieux dans le cadre républicain. Nous refusons la solution, adoptée par la Sonacotra, qui envoie tout ceux qui peuvent l’être au tribunal. Nous ne voulons pas rentrer dans ce jeu là, au nom du respect du parcours de vie de ces personnes. Nous refusons de déclarer la guerre à l’Afrique. La solution se trouve pour nous dans la médiation. Même si c’est une solution de longue haleine. Les foyers étaient des espaces de liberté totale et nous souhaitons y instaurer une liberté encadrée. Mais la mutation est lente car beaucoup de personnes ne souhaitent pas que les choses changent. Mais nous y arrivons. Et nous avons aujourd’hui à faire valoir des méthodes qui ont fait leurs preuves.
Afrik.com : Sur quoi pouvez-vous vous montrer intransigeant ?
Francis Lacroix : Dans le cadre de notre métier de base, celui de logeur, nous imposons une certaine rigueur quant au paiement des loyers. Certaines personnes payent quand elles en ont envie, considérant qu’il s’agit d’une dette qu’elles remboursent à leur rythme. Nous avons développé un service contentieux pour essayer au maximum de régler les choses à l’amiable. Et il y a une bonne compréhension des communautés par rapport à cela. Elles comprennent toutes qu’on ne peut se permettre de s’amuser avec ça. Ce qui fait qu’aujourd’hui nous avons quasiment les mêmes performances de gestion que les grosses structures.
Afrik.com : Si vous avez la loi pour vous, quelles sont les armes dont disposent les locataires en cas de bras de fer ?
Francis Lacroix : La grève collective des loyers. Nous n’avons pas la taille de sociétés telles que la Sonacotra avec leurs 250 établissements (70 000 lits). Nous ne pouvons nous payer le luxe de ne pas percevoir le montant de nos loyers de tel ou tel de nos foyers. Cela mettrait en péril notre équilibre financier.
Afrik.com : Dans votre activité de logeur, quelles sont aujourd’hui vos principaux axes de travail ?
Francis Lacroix : La priorité est la modernisation de nos foyers. Avec la sur-utilisation, dix de nos vingt-et-un établissements sont très dégradés. Problèmes d’engorgement, de plomberie, d’isolation thermique, de chaudière, d’ascenseur… Les fonctionnalités essentielles sont insuffisamment remplies. Quel que soit le prix à payer, nous avons une responsabilité par rapport à cela, car on ne peut pas tolérer que les gens, d’où qu’ils viennent, vivent en France dans des conditions indignes. Nous tenons ici le même discours que la Fondation Abbé Pierre, avec qui nous sommes d’ailleurs très proches. Nous sommes obligés de faire preuve d’initiatives. Pas au nom des problèmes posés par la vie sociale, mais au nom de la modernité. Les pouvoirs publics sont prêts à nous aider, mais en contrepartie d’un projet global que nous devons mettre en oeuvre.
Afrik.com : C’est-à-dire ?
Francis Lacroix : Au delà de notre activité de base, nous agissons en tant que passerelle avec les services publics. Nous travaillons à offrir un accès au droit, à la formation et à la santé. Pour cela, nous avons mis en place des permanences de travailleurs sociaux dans les foyers. Il s’agit de préparer les dossiers RMI (revenu minimum d’insertion, ndlr), de retraite ou de sécurité sociale avant de les présenter à des assistantes sociales de secteur, souvent débordées et qui n’ont pas le temps de se pencher longtemps sur leurs dossiers. Nous effectuons également un travail spécifique par rapport à la recherche de logement et d’emploi à travers des ateliers dédiés.
Vendredi 29 octobre 2004 à la Maison de la Mutualité – Paris 5ème de 9h à minuit L’association Soundiata Nouvelle fête ses 40 ans ce vendredi à La Maison de la Mutualité à Paris, avec AFRICAPANAME, de la lumière sur les foyers. Un évènement proposant une journée forum et un espace découverte sur les conditions de vie des migrants en France, et pour finir, du slam, des photos-vidéo, des percussions et des concerts pour la soirée AfricaPaname La soirée AfricaPaname viendra refléter les thèmes et les couleurs africaines de la journée par sa programmation artistique. Entre têtes d’affiche et jeunes talents, Zap Mama, Ba Cissoko, El Gafla, slameurs, percussionnistes, et de nombreux micro événements artistiques se succéderont de 19h à minuit. |