La presse africaine a largement commenté, ce lundi, la victoire de Nicolas Sarkozy à la présidentielle française. Beaucoup s’interrogent ou spéculent sur les relations du futur chef de l’Etat avec l’Afrique. Morceaux choisis.
Nicolas Sarkozy succédera le 16 mai prochain au chef de l’Etat français Jacques Chirac. L’ancien ministre de l’Intérieur a remporté la présidentielle, dimanche, avec 53% des voix face à la candidate socialiste Ségolène Royal. La presse africaine a largement couvert cet événement, ce lundi, commentant la place qui pourrait être accordée au continent africain pendant le quinquennat du futur président. Les avis sont assez mitigés concernant les intentions de Nicolas Sarkozy, qui a promis, juste après l’annonce de sa victoire, d’aider l’Afrique et de se pencher sur la création d’une union méditerranéenne. Afrik a fait le tour de quelques journaux pour recueillir leur sentiment sur cette élection.
Algérie : pas de repentance pour Sarkozy
Les Algériens connaissent bien Nicolas Sarkozy, qui à plusieurs reprises s’est rendu dans leur pays. De là à dire que les relations seront au beau fixe, c’est une autre histoire. Le quotidien algérien La Tribune s’interroge : « Quelle sera sa politique algérienne ? Sera-t-il le continuateur de Chirac ou proposera-t-il des inflexions ? Et quelles inflexions ? » Surtout, il met en lumière les divergences historiques qui séparent les deux pays. « Farouchement opposé à toute repentance de la France sur toutes les pages de son histoire, à toute lecture-vérité du passé, Sarkozy tient, par contre, à développer des relations privilégiées avec l’Algérie ». Plus tranché, le journal algérien Le Quotidien d’Oran juge qu’il est « inquiétant » que Nicolas Sarkozy ait « achevé sa campagne électorale du second tour par des déclarations surprenantes sur l’avenir des relations franco-algériennes en excluant notamment toute idée de repentance sur la période coloniale, comme le souhaitent les Algériens ». Rappelant que « loin de la tradition pro-arabe de ses prédécesseurs à l’Elysée, Nicolas Sarkozy affiche ouvertement son soutien au gouvernement israélien », le media ajoute qu’il est « hostile à la signature d’un traité d’amitié avec notre pays ». Et de conclure que, « déjà difficiles sous Jacques Chirac, les relations franco-algériennes devraient traverser des périodes de turbulences dans les prochains mois ».
La Françafrique toujours d’actualité ?
Dans les colonnes du quotidien sénégalais Walf Fadjri, le politologue Albert Bourgi a expliqué que la Françafrique ne sera pas enterrée avec l’élection de Nicolas Sarkozy. « Selon lui, la plupart des chefs d’Etat de l’Afrique centrale ont des liens privilégiés, non pas seulement avec le nouveau président français, mais avec son entourage, dont certains sont ou ont été des piliers de la Françafrique. D’ailleurs, on aurait aperçu dans le siège de la campagne électorale de Sarkozy la fille du doyen Omar Odimba Bongo », rapporte le journal. Le spécialiste estime que le nouveau président sera le « protecteur du pré-carré français », notamment en Afrique centrale, et qu’il y a peu de chances que soient remis en cause les accords de défense qui permettent aux Français d’établir des bases militaires sur le continent. A noter que plusieurs chefs d’Etat africains ont félicité la victoire de Nicolas Sarkozy, dont le Sénégal et la Tunisie. Le président tunisien, Zine el Abidine Ben Ali, a envoyé un message à Nicolas Sarkozy, publié sur La Presse.tn sans ambiguité sur la volonté de préserver les liens étroits avec l’Hexagone : « Je voudrais saisir cette heureuse occasion pour vous dire mon entière disponibilité à poursuivre avec vous la tradition de dialogue et de concertation qui a toujours caractérisé les relations historiques tuniso-françaises, et vous assurer de ma détermination à œuvrer en vue de consolider l’amitié et d’enrichir la coopération entre nos deux pays ».
Quel avenir économique pour l’Afrique ?
« La « fin » programmée des « réseaux » » signera-t-elle « enfin la décolonisation monétaire et financière du continent ? » se demande le quotidien burkinabè Sidwaya. Qui poursuit : « Les africains, en tout les cas, devront saisir cette opportunité pour ouvrir ce débat salvateur. Tout comme la délicate question des APE (Accords de partenariats économiques) devra être tranchée positivement (il faut les renvoyer aux calendes grecques) si « Sarko » veut faire de sa « politique de développement ambitieux » en direction de l’Afrique, une réalité. L’aide qui assassine l’aide et un partenariat débarrassé des arrières-pensées colonialistes, voilà la panacée ». Le journal note que le projet d’une « union méditerranéenne » laisse « sceptique » les habitants « de l’autre côté de la Méditerranée ». « Même si Sarkozy a invoqué une « union méditerranéenne », trait d’union entre l’Europe et l’Afrique, promettant « d’aider » le continent à « vaincre la maladie et la pauvreté », on attend, là aussi, de juger sur pièces », estime, méfiant, Sidwaya.
Sarkozy a ratissé au centre et à l’extrême-droite
« Manifestement, le « Tout sauf Sarkozy », un rassemblement hétéroclite d’opposants radicaux au candidat de l’UMP, n’a pas marché », constate Lefaso.net. Le site Internet analyse que « dans le même temps, l’appel à l’abstention lancé à ses électeurs par Jean-Marie Le Pen n’a pas été suivi et environ 40% de l’électorat de François Bayrou ont voté pour Sarkozy ». Un constat que partage le quotidien algérien La Tribune : « Il a su amplifier son score du premier tour en rassemblant sous sa bannière l’électorat de droite, une frange importante de l’extrême droite séduite par la radicalisation de son discours et une part, qui reste à quantifier, des bulletins de centristes allergiques à tout ce qui vient de la gauche ». Ce serait justement pour satisfaire les frontistes que les premières mesures de Nicolas Sarkozy concernant l’Afrique auront trait à l’immigration, selon le politologue Albert Bourgi, interrogé par le quotidien sénégalais Walf Fadjri. D’après ce spécialiste, il « va rendre l’ascenseur à ses électeurs du Front national qui ont largement voté pour lui au second tour ». Il souligne donc qu’il faut s’attendre à assister au « durcissement des lois sur l’immigration, à la répression et aux expulsions massives ».
Sarkozy, l’homme qui voulait rassurer
Le quotidien sénégalais Le Soleil note que, « comme il l’a toujours souhaité et c’est d’ailleurs son slogan, « Tout va devenir possible ! ». Vu l’ambiguïté de ce slogan, Nicolas Sarkozy se veut néanmoins rassurant en promettant d’emblée qu’il va être « le président de tous les Français » ». Et le journaliste de poursuivre : « Sarkozy rassure ses compatriotes : « Il n’y a pour moi qu’une seule France. Je serai le président de tous les Français », a-t-il déclaré, avant de les inviter à « s’unir tous », car dit-il, son élection « n’est pas la victoire d’une France contre une autre » ». Une insistance peut-être destinée à réparer la blessure qu’il a causée lorsqu’il a repris le terme de « racaille » pour parler de certains jeunes de banlieue et lorsqu’il a utilisé l’expression « nettoyer au Kärcher » en parlant des quartiers difficiles. Des sorties qui « lui ont valu une impopularité tenace et l’ont empêché encore de se déplacer dans les quartiers sans une importante escorte policière », conclut Le Soleil. Un passé électrique sur lequel revient également le journal algérien Le Quotidien d’Oran : « Au ministère de l’Intérieur, il s’était notamment distingué par une politique ultra sécuritaire, provoquant de nombreuses tensions avec les jeunes d’origine immigrée vivant dans les banlieues difficiles. Il a également, à plusieurs reprises, tenu des propos très durs à l’encontre des populations d’origine musulmane les accusant notamment d' »égorger leurs moutons dans la baignoire », de ne pas respecter leurs femmes ou de ne pas aimer la France ».
Conclusion, la presse africaine fait montre d’une certaine inquiétude, mais cherche plutôt à voir ce que le futur président français mettra en oeuvre concernant le continent africain. Le temps dira si ceux qui le craignaient avaient raison.