La vallée des larmes et de la mort


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Toupouri, Moundang, Guiziga, Massa, Mafa, Sara, Mousgoum, Baya, Koma, Haoussa (de la famille linguistique afro-asiatique), Kapsiki, Kotoko qu’on a souvent présentés comme les hommes les plus grands de la planète, Mbororo (peuple de pasteurs et de nomades) et autres Arabes Choa… tous se caractériseraient essentiellement par leur robustesse, leur docilité et leur analphabétisme: la main d’œuvre rêvée pour neuf mille hectares de terre agricole. Fortement typés, ils se distinguent facilement du fait de leur peau particulièrement foncée. Si l’on vient d’eux, on a sa place dans les champs de cannes de la Sosucam, fabrique de sucres et d’esclaves à ciel ouvert. On fait pire que de les tuer, on les esclavage ! Et qu’en disent les élites du Nord ?

Un univers vaguement concentrationnaire

Pour toute lecture, autant qu’ils sachent lire, les manœuvres agricoles ont la triste évocation de leur indigence, de leur damnation : feuilles de maladies surchargées, feuilles de paie négatives ou redevables. La place que ces pauvres Camerounais occupent est celle de temporaires, des temporaires permanents, qui vivent terrés dans des camps. Il existe deux Nkoteng. Nord et Sud. La Haute Ville, le Nkoteng riche, avec son Camp Martin et sa Cité des Cadres, entourée d’un vaste verger et de grands acacias qui épurent l’air. La Haute Ville est protégée par des agents de sécurité féroces postés dans des guérites ou derrière des haies de manguiers. Ses villas climatisées offrent toutes les commodités des habitations les plus modernes. Il y a même des âtres dans certaines de ces villas. Dieu seul sait quelle en est l’utilité en plein cœur des tropiques. Route privée. Interdit de rouler à plus de 30 km/h. Comme pour donner le temps d’admirer toute la différence avec la Basse Ville : Camp Nanga.

Situés en aval, à une centaine de mètres de la Sosucam, les logements du Camp Nanga sont disposés n’importe comment, sans ordre ni beauté, parcourus de leur long par les eaux polluées que l’usine déverse à flots. Ces eaux ont servi au lavage des cannes à sucre et attirent les enfants du voisinage qui n’hésitaient pas à s’y baigner, au mépris de la bourbe et de tous les agents chimiques qu’elles contiennent. Une armée d’insectes volants et rampants aussi variés que les différentes espèces de cannes à sucre présentes dans les plantations de la sucrerie, soit une centaine, rode en permanence. Le Nkoteng pauvre est sordide, noir de ses habitants, de sa saleté fétide et de son indigence, et baigne dans l’air pollué ventilé par la Sosucam.

Enfin, les yeux des riverains y sont tous empourprés par la fumée et la bagasse ambiantes. Dans cette partie de la ville, même les arbres offrent un spectacle de désolation. La « vallée du sucre » désigne donc deux localités (Mbandjock et Nkoteng) ouvrières qui puent la misère des taudis (en poto-poto, en chaume, en bois taillé à la serpe, ou en tôles rouillées), et des bars qui empestent la bière, la fumée, le bruit et les plaisirs fugaces. Cette descriptions vaut pour les deux communes précitées.

Une manière de « mauvais cœur »

Avec des infrastructures quasi-préhistoriques et des méthodes de gestion qui remontent au déluge, la Sosucam cristallise jusqu’au dégoût tous les maux de la société camerounaise. La finalité c’est la seule recherche du profit, les espèces sonnantes prennent le pas sur l’espèce humaine. Comment comprendre qu’une société aussi puissante ne dispose pas de bureaux dignes de ce nom dans la République ? Que même ce qui est pompeusement appelé Direction générale à Yaoundé (Montée Lido, Mvog-Ada) est plus un hangar chaulé qu’autre chose ? Comment comprendre que, en revanche, une simple représentation de la même Sosucam, sise à Paris, Rue J.J Rousseau, rivalise de confort d’avec les firmes parisiennes du CAC 40 ? Il y a une envie délibérée sinon de nuire au peuple camerounais, du moins de ne pas l’aider.

L’anecdote veut qu’à une certaine époque l’Europe de l’Ouest envoyât des assistants techniques en Europe de l’Est avec pour mission expresse de retarder le développement et l’accès ou l’amélioration des technologies. Vrai ou faux, peu importe. Comme ce serait pitoyable si cela était avéré dans le cas de l’Afrique ! Les nègres se passeraient volontiers de la pesanteur et de la malveillance d’une main étrangère pour s’enfoncer, comme une masse, de tout leur poids. Ils y parviennent par eux-mêmes. La Sosucam n’a jamais posé aucun acte positif de développement. Le groupe Vilgrain avait même, en son temps, été sanctionné d’une interdiction d’exercer dans certains pays africains de l’Ouest : le Burkina-Faso (le pays des hommes intègres) et le Sénégal (le creuset de bien des plus fiers représentants de l’Afrique subsaharienne)

Un monopole nuisible à l’économie nationale

Non contente de son monopole, la Sosucam se livre aussi à la contrebande : entre le 23 Aout 2008 et le 17 mai 2009, la Sosucam a sans autorisation importé 26500 tonnes de sucre granulé en provenance du Congo (11 500 tonnes) et du Brésil (15 000 tonnes), au mépris des mises en demeure du Ministère des finances et du Ministère du Commerce. Les responsables de la Sosucam ont régulièrement fait le choix de contourner la loi. La filiale de la multinationale française SOMDIAA (Société d’organisation et de management des industries agro-alimentaires en Afrique) est déloyale vis-à-vis des autres importateurs camerounais de sucre, principalement MM. ABBO (NOSUCA) et NGAMO (SUMOCAM). Le groupe Jean-Louis Vilgrain (JLV), propriétaire de SARIS-Congo et de la CST (compagnie sucrière tchadienne) ne songe qu’à truster le marché du sucre en Afrique centrale, sans jamais améliorer les conditions de vie de ses employés qui sont régulièrement réprimés dans le sang et les larmes à la moindre grève.

Voilà qui explique la dégradation de l’image de marque de cette société auprès du consommateur camerounais. Depuis quatre ans, l’opération de marchéage doublée d’une offensive juridique de la Sosucam ont consisté en la création d’une marque « Princesse Tati » sous laquelle sont désormais commercialisés ses produits (sucre candi, sucre blanc, sucre roux). Pour mémoire, la Sosucam est depuis la privatisation de la Camsuco à son profit, la seule société « camerounaise » à fabriquer du sucre ; NOSUCA ET SUMOCAM ne font que conditionner du sucre qu’ils achètent parfois à Sosucam.

LOUIS YINDA, Monarque dans son royaume

L’Eglise catholique a su se réjouir des millions dont l’illustre mécène et bâtisseur de cathédrales l’arrosait, sans se soucier de ce qu’ils provenaient du sang que cet homme pompait littéralement sur ses employés. A la Sosucam, même les personnels dirigeants vivent dans la terreur. Pendant ce temps, les hommes de Dieu le distinguent (Commandeur de l’Ordre Equestre de Saint Sylvestre), c’est tout juste s’ils ne le béatifient pas de son vivant.

Dimanche le 29 janvier dernier, à 13h39, Canal 2 reportait le sit-in de monsieur Nkeuda, un ancien employé qui a été estropié dans cette société. Monsieur Nkeuda mène à présent une vie de chien, à la suite de l’accident de travail qui l’a handicapé. Saint Louis Yinda est là, qui voit ce spectacle mais réserve sa générosité aux églises qui pourront le mieux plaider son entrée au Ciel.

Sur terre, son militantisme actif n’a jamais été récompensé par le poste de ministre qu’il convoite depuis longtemps. Les Camerounais contre lesquels il a fait carrière ne se laisseront pas mépriser, exploiter, asservir sans, jusqu’au bout, rien dire ni faire. Aussi ne pourra-t-il indéfiniment éviter le juste retour karmique de ses dérives : en avril 2011, on a pu interdire le tournage d’un documentaire sur la Sosucam… En 2012, il pourrait se passer bien de choses, car quand la barque coule, ça fuit de partout !

Depuis quelques semaines, le groupe Castel, qui l’on sen souvient avait échoué à reprendre l’ex-Camsuco face au groupe vilgrain, s’est rapproché de ce dernier au point de prendre des participations majoritaires dans ses activités sucrières. Une lueur d’espoir(s) donc pour les coupeurs de cannes à sucre !

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