Les autorités tunisiennes se sont prononcées pour l’application d’un décret de 1981 condamnant le port du voile dans les lieux publics, dans le but de faire reculer l’islamisme. Depuis, des policiers auraient arraché le couvre-chef de plusieurs femmes « en pleine rue ». Certaines associations des droits de l’Homme et des femmes dénoncent la position du gouvernement.
Mercredi dernier, le Président tunisien Zine El Abidine Ben Ali s’est prononcé contre le voile « d’inspiration sectaire importée de l’extérieur » afin de lutter contre l’islamisme. Des ministres lui ont emboîté le pas, condamnant, pour les femmes, le port du hidjab et d’une longue tenue de coton appelée « qamis » et, pour les hommes, le port de la barbe. Ils appellent également, comme le chef de l’Etat, à revêtir les habits traditionnels.
Le voile est « un slogan politique affiché par un groupuscule qui se dissimule derrière la religion pour réaliser des desseins politiques », a lancé, vendredi, le ministre des Affaires Etrangères, Abdelwaheb Abdallah. Son homologue de l’Intérieur, Rafik Belhaj Kacem, a pour sa part déclaré que ce vêtement était le « symbole d’une appartenance politique qui se cache derrière la religion, qui en est innocente, et qui cherche à faire revenir la réalité de la société aux ères très anciennes ».
Ils justifient leurs inquiétudes en parlant d’une augmentation substantielle de femmes couvrant leur tête. Pour Khadija Chérif, présidente de l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD), la recrudescence est réelle, mais ne date pas d’hier. En 2003, sa structure dénonçait déjà que « un peu partout dans la rue, à l’école dans les établissements publics, surgissent des femmes jeunes et moins jeunes qui portent « la tenue islamique » ».
Décret 108 contre la montée de l’intégrisme
Soulignant « le droit des femmes au choix de leurs tenues », l’association ajoutait que « cet uniforme qui veut gommer la diversité des femmes, annuler les différences, méconnaître les femmes en tant qu’individus sexués est un symbole réducteur et de régression… ». Car pour elle, celles qui portent le voile remettent en cause le Code du statut personnel de 1956, qui a fait de la Tunisie, très tôt, un pays avant-gardiste en matière de droits de la femme.
L’ATFD, qui n’a pas changé de position, estime que les femmes qui portent le hidjab sont issues de toutes les classes sociales. « Il n’y a malheureusement pas de sondage. Mais à notre échelle nous avons essayé de déterminer pourquoi elles le portent. On ne peut pas généraliser, mais certaines parlent de politique, de réaction contre le gouvernement, de la religion ou d’une façon de se démarquer des Occidentaux », énumère Khadija Chérif.
C’est pour éviter que le phénomène ne s’étende plus que le gouvernement souhaite l’application du décret 108 de 1981, qui interdit le port du voile dans les établissements publics. Au risque, pour les employées du secteur en question, d’être licenciées. Le texte devait barrer la route à la montée de l’intégrisme. Entré en vigueur en 1985 sous l’ancien Président Habib Bourguiba, il a suscité de vives réactions d’associations des droits humains. « Les autorités tunisiennes ont empêché les étudiantes du campus universitaire de Tunis et d’autres cités universitaires, d’accéder à leurs facultés pour passer leurs examens de fin d’année, pour la simple raison qu’elles portent le voile », expliquait, le 4 juin 2006, Safwa Aïssa, présidente de l’association Vérité-Action, qui milite notamment pour la liberté d’expression et le respect des droits de l’Homme en Tunisie.
Voiles enlevés à « l’arraché, en pleine rue »
L’Organisation mondiale contre la torture se désolait, dans un rapport datant de 2002, que le décret ait « entraîné l’exclusion scolaire de plus d’une centaine de filles qui se retrouvèrent, par conséquent, privées de leur droit à l’éducation. Le décret 108 ne s’appliquant qu’aux femmes, il constitue une discrimination à l’égard des filles dans la mise en œuvre de leur droit à l’éducation. En outre, cette interdiction illustre une discrimination fondée sur la foi et l’opinion ». D’autres associations ont fustigé une violation de la constitution et une atteinte aux droits de l’Homme ainsi qu’aux libertés individuelles. D’autant que s’il existe plusieurs interprétations du coran, il semble que le livre sacré des musulmans ne prône pas et n’interdise pas le port du voile.
Une contestation qui pourrait augmenter. Selon le quotidien libanais L’Orient le Jour, « des femmes voilées sont souvent interpellées, devant parfois s’engager par écrit à ne plus porter le voile au risque de perdre leur emploi ou de devoir abandonner leurs études. Des témoins ont fait état d’interventions de policiers en civil, notamment à Sfax (Sud), « enlevant des voiles à l’arraché, en pleine rue » ».
« Aucun femme n’est venue à nous se plaindre et je n’ai rien vu moi-même, mais des gens de confiance m’ont rapporté que des policiers ont bousculé des femmes et leur ont demandé d’enlever leur voile. Nous sommes pour l’application du texte, mais pas par la violence et la répression. Il faut expliquer, faire de la pédagogie, débattre. Personne n’a la parole à part le gouvernement, et c’est dommage », confie Khadija Chérif. La responsable associative craint aussi que la répression ne radicalise les femmes qui portent le voile et suscite un mouvement de solidarité avec elles.
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