Trois jours après le départ de l’ex-président Ben Ali pour l’Arabie Saoudite, le calme revient peu à peu en Tunisie. Un gouvernement d’union nationale doit être nommé lundi. Dimanche, la situation restait cependant très tendue et de violents affrontements ont opposé à Tunis forces de sécurité et des fidèles au chef de l’Etat déchu.
La situation semble s’apaiser quelque peu en Tunisie où l’on attend la nomination d’un gouvernement. Le couvre-feu feu a été allégé d’une heure dès dimanche dans tout le pays « en raison d’une amélioration de la sécurité », selon une source officielle. Il est désormais fixé de 18h locales (17h GMT) à 5h (4h GMT). La plupart des commerces sont tout de même fermés lundi, à l’exception de rares cafés, bureaux de tabac et boulangeries.
Tous les yeux sont maintenant rivés sur le Président par intérim qui doit annoncer avant la fin de la journée la composition du gouvernement d’Union nationale, chargé de réformer la Constitution et de préparer des élections générales. Le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), le parti du président déchu Zine El-Abidine Ben Ali, a été inclus dans le processus. Le Parti communiste des ouvriers de Tunisie de Hamma Hammami, qui est interdit, et les islamistes de l’Ennahdha de Rached Ghannouchi, qui vit en exil à Londres, ont, eux, été exclus des consultations.
La composition du nouveau gouvernement devra répondre aux exigences du peuple tunisien, au risque de voir le pays s’embraser à nouveau. A la mi-journée déjà, des centaines de manifestants défilaient dans le centre de Tunis pour exiger l’abolition du parti du président déchu Zine el Abidine Ben Ali. « La révolution continue! RCD dehors! », criaient les manifestants réunis en deux groupes sur l’avenue Habib Bourguiba, l’un devant le théâtre municipal de Tunis, l’autre devant l’ambassade de France. Quelques coups de feu ont été entendus. « Je crains qu’il n’y ait d’autres personnages de l’ancien régime, parce qu’alors les manifestations reprendront jusqu’à ce qu’on obtienne gain de cause », nous confiait ce matin un habitant de la ville de Nabeul, au nord-est de la Tunisie.
Scènes de guerre dimanche à Tunis
Tout le week-end, Tunis a été le théâtre de violents affrontements entre les forces régulières loyales au gouvernement de transition et des miliciens armés apparemment fidèles au président déchu Zine El-Abidine Ben Ali. Ces derniers sont soupçonnés de créer le chaos, pour favoriser le retour de Ben Ali, qui reviendrait en sauveur. Les tirs qui avaient cessé dimanche en fin d’après-midi ont repris dans la soirée.
L’armée tunisienne, qui s’est rapidement désolidarisée du président déchu a tenté de reprendre le contrôle de la situation avec le soutien de la population. Elle a lancé dimanche dans la soirée une attaque visant le Palais présidentielle, où étaient retranchés les derniers éléments de la garde de Ben Ali.
Le Premier ministre, Mohammed Ghannouchi, a déclaré dimanche que les autorités tunisiennes de transition ne feraient preuve d’« aucune tolérance » vis-à-vis de ceux qui sèment le chaos dans le pays, se faisant l’écho de la vague d’arrestations qui a eu lieu durant le week-end. Le général Ali Sériati, l’ex-chef de la sécurité du président déchu a notamment été arrêté dimanche à Ben Guerdane, dans le sud du pays, alors qu’il tentait de fuir vers la Lybie. La justice tunisienne l’accuse d’avoir ordonné les récentes exactions commises contre la population. Samedi à l’hôpital militaire de Tunis, Imed Trabelsi, neveu de l’épouse de Ben Ali, a succombé à une blessure à l’arme blanche. Dans la nuit, un neveu de l’ex-président, Kaïs Ben Ali, a été interpellé par l’armée à Msaken avec dix autres personnes qui selon des témoins « tiraient en tous sens ». Quatre ressortissants allemands ont aussi été arrêtés dans la capitale tunisienne, à environ 300 mètres du siège du Parti démocratique progressiste (PDP, opposition légale) devant lequel une brève fusillade avait éclaté. Ils étaient en possession d’armes, à bord de trois taxis avec d’autres étrangers dont les nationalités n’ont pas été précisées. Les chauffeurs de taxi qui les transportaient ont assuré que leurs clients leur avaient dit vouloir se rendre à la chasse. Douze Suédois venus chasser le sanglier ont aussi été attaqués dimanche à Tunis par une foule déchaînée, les prenant pour des terroristes étrangers.
Lancer le processus démocratique
La population, bien décidée à ne pas laisser ces forces fidèles à Ben Ali freiner ce qu’on appelle désormais « sa révolution », fait preuve d’un grand civisme. Après avoir manifesté, les Tunisiens s’organisent. Des témoignages sur place font état d’une « grande solidarité entre les gens, qui s’organisent en comités de quartier », afin d’empêcher les pillards et les troupes fidèles au président déchu de semer la terreur. « Des miliciens et/ou pillards ont été systématiquement traqués, et pour la plupart neutralisés par les jeunes des quartiers, qui les confiaient ensuite à la police ou à l’armée », a confié un habitant de Nabeul. « Les gens font preuve de civisme en allant travailler. Les barrages de la nuit sont soigneusement rangés sur les bas-côtés », poursuit-il. Ici encore, internet, les différents réseaux sociaux, ont joué un rôle primordial : « Description en temps réel des événements et échange d’infos, description des voitures des miliciens repérées, consignes de sécurité précises», raconte ce tunisien.
Cependant, seules des avancées politiques rapides seront synonymes de retour au calme. Les nouveaux dirigeants en sont bien conscients. Les consultations pour la composition du nouveau gouvernement ont d’ailleurs tourné autour « des mesures à prendre pour jeter les bases d’un véritable processus démocratique et tourner la page d’un système qui a échoué », selon Mustapha Ben Jaffar, chef du Forum démocratique pour le travail et les libertés. Ce « processus » doit aboutir à la tenue d’élections générales transparentes. Le délai de soixante jours prévu par la Constitution pour organiser des élections en cas de vacance du pouvoir va être allongé à six mois. L’Union européenne ainsi que les Etats-Unis ont offert leur assistance. Une élection à laquelle l’opposant historique Moncef Marzouki a déjà annoncé sa candidature.