Sebastiao Salgado est à l’honneur ce mois-ci à Paris. Une exposition à la Maison européenne de la photographie, une série de courts documentaires, enfin la parution d’un livre magnifique forment l’actualité d’un témoignage exceptionnel sur les tragédies de notre époque.
Paris honore Sebastiao Salgado en avril, avec une exposition événement de 850 photos à la Maison européenne de la photographie, intitulée Exodes, mais aussi avec la diffusion d’une série de courts documentaires conçus autour de certaines séries de photos de l’exposition, et avec la parution d’un livre magnifique reprenant l’ensemble de cette oeuvre en noir et blanc, aux Editions de La Martinière, sans parler d’un rencontre-débat organisée par la FNAC autour de ces images exceptionnelles des tragédies de notre époque.
L’Afrique fournit son contingent d’exilés, de réfugiés, de proscrits, dont l’objectif de Salgado dénonce avec force l’abandon et la misère. Le montage rapide des 850 photographies exposées en un fondu enchaîné continu, présenté en fin d’exposition, est une épreuve difficilement soutenable où se succèdent en une trentaine de minutes toutes les horreurs contemporaines : ravages des mines antipersonnel, ravages des famines et des conflits, puis des génocides et des épidémies qui surviennent à la faveur des déplacements de populations, ravages des guerres civiles ou non…
Comment ne pas rester atterré devant la somme de détresse que représente tel immense campement de réfugiés, occupant les deux versants d’une vallée flanquée d’alignements de tentes de fortune, dans la » zone turquoise « mise en place par l’armée française dans le Sud-Ouest du Rwanda, zone qui compta jusqu’à 300 000 » déplacés « , répartis en une douzaine de camps, et ne pas être déchiré par les images de charniers et de massacres qui l’accompagnent ?
Pourtant, malgré les centaines de masques de détresse, malgré les portraits où l’on touche le tragique d’existences soudain détruites, de tout ces univers quotidiens à jamais perdus, saccagés, abandonnés, et dont ne restent que quelques bribes, et des reflets dans des yeux un peu vagues, Sebastiao Salgado laisse une place à l’espoir et à l’humanité : dans le visage des enfants.
Là encore, on se souviendra longtemps des portraits qu’il a rapportés de certains camps de certains enfants réfugiés au sud du Soudan : ils portent dans leurs regards, dans le calme de leurs traits, un formidable appétit de vivre et une sérénité supérieure. Comme si ce bal tragique qui a emporté les adultes autour d’eux était resté un jeu irréel, dont ils avaient, finalement, gagné la partie : quel que soit leur dénuement, leur solitude, ils sont la vie, et il y a presque une assurance dans la manière qu’ils ont d’exister, intensément, devant l’appareil photographique. Ce qu’ils posent comme une évidence, c’est tout simplement qu’ils vivent, et qu’ils sont des hommes.
C’est tout le talent de Salgado que de nous conduire à cette prise de conscience fraternelle : cet enfant du Mozambique ou de Palestine, cette femme éplorée du Rwanda, cette colonne de réfugiés d’Angola, ce sont des hommes, autant qu’ils sont, et nous sommes tous, collectivement, dans les pays d’Afrique, d’Europe, du monde entier, responsables pour eux. Responsables si nous ne faisons rien, coupables si nous les laissons mourir.
Au-delà de tous les mots d’ordres et de tous les slogans, cet homme qui souffre est notre frère, et les photographies de Sebastiao Salgado nous interdisent de l’oublier.