La synagogue Kahal d’Asilah : joyau du patrimoine judéo-marocain enfin reconnu


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Synagogue Kahal / Asilah
Synagogue Kahal / Asilah

Véritable témoignage de la coexistence pluriséculaire entre juifs et musulmans au Maroc, la synagogue Kahal et son complexe communautaire d’Asilah viennent d’être inscrits au patrimoine national. C’est une étape importante dans la préservation de l’héritage juif marocain.

L’histoire des juifs au Maroc

La présence juive au Maroc remonte à plus de deux millénaires. Les premières communautés s’y seraient installées après la destruction du Premier Temple de Jérusalem au VIe siècle avant J.-C. Cette présence s’est considérablement renforcée après l’expulsion des juifs d’Espagne et du Portugal en 1492, lorsque de nombreuses familles sépharades trouvèrent refuge au Maroc.

À leur apogée au milieu du XXe siècle, les communautés juives marocaines comptaient environ 250 000 personnes, constituant la plus importante population juive du monde arabe. Après la création de l’État d’Israël en 1948 et l’indépendance du Maroc en 1956, la majorité des juifs marocains ont émigré vers Israël, la France, le Canada et d’autres pays.

Aujourd’hui, bien que réduite à quelques milliers de personnes, la communauté juive marocaine reste active et préserve ses traditions, notamment à Casablanca, Rabat, Marrakech et Essaouira.

Le Maroc se distingue dans le monde arabe par sa reconnaissance officielle de l’héritage juif comme partie intégrante de l’identité nationale. Cette particularité s’est traduite par une politique active de préservation du patrimoine judéo-marocain, notamment depuis le règne de Mohammed VI.

La synagogue Kahal et son héritage : un patrimoine juif en voie de réhabilitation à Asilah

À Asilah, ville côtière marocaine au riche passé multiculturel, un pan du patrimoine juif marocain vient de franchir une étape décisive vers sa préservation. La synagogue Kahal, le cimetière juif historique, ainsi qu’un mikvé (bain rituel) et un four traditionnel, attachés à l’édifice religieux, ont été officiellement inscrits sur la liste du patrimoine national du Maroc.

Cette annonce, datée du 20 février, a été faite par le ministère marocain de la Culture, en réponse à une demande soumise par la communauté juif marocaine en janvier 2024, qui souhaitait voir ces lieux reconnus comme sites historiques.

Un lieu de culte ancré dans l’histoire

La synagogue Kahal, dont la construction remonte à plusieurs siècles, témoigne de la présence juive florissante à Asilah avant le départ massif des communautés juives du Maroc au XXe siècle. Ce sanctuaire constituait véritablement le cœur battant de la vie communautaire juive locale, où se tissaient des liens sociaux aussi forts que spirituels.

L’architecture de la synagogue révèle un métissage culturel remarquable, mêlant habilement influences andalouses et marocaines. Les visiteurs peuvent y admirer des motifs en stuc finement ciselés, des carreaux de faïence zelliges aux couleurs chatoyantes et des boiseries sculptées avec une précision artistique exemplaire. Bien que le temps ait laissé son empreinte sur ces murs chargés d’histoire, la structure fondamentale demeure suffisamment intacte pour envisager une restauration qui rendrait justice à sa splendeur d’antan.

Un cimetière gardien de la mémoire collective

À quelques pas de la synagogue s’étend le cimetière juif historique d’Asilah, véritable livre ouvert sur l’histoire de la communauté. Ce lieu de repos éternel abrite les sépultures de plusieurs générations de Juifs marocains qui ont contribué à façonner l’identité plurielle de la ville.

Les stèles funéraires, ornées d’inscriptions en hébreu et en espagnol, racontent silencieusement l’histoire des familles qui ont vécu, travaillé et prié dans ces rues pendant des siècles. Ces épitaphes bilingues illustrent parfaitement le caractère cosmopolite de la communauté juive d’Asilah, à la croisée des influences méditerranéennes.

Malgré l’usure naturelle et l’exposition aux éléments, ces pierres tombales conservent encore des symboles caractéristiques de la tradition sépharade : mains de Cohanim bénissant, aiguières des Lévites, étoiles de David et candélabres à sept branches. Désormais placés sous la protection de la législation patrimoniale marocaine, ces précieux témoins de pierre bénéficieront d’une attention conservatoire méritée.

Le mikvé et le four : reflets de la vie quotidienne rituelle

Attachés à la synagogue Kahal, un mikvé et un four traditionnel complètent ce complexe communautaire et offrent un aperçu fascinant du quotidien rituel juif à Asilah. Le mikvé, bassin d’immersion utilisé pour les purifications rituelles, jouait un rôle fondamental dans la pratique religieuse, notamment pour les femmes après leurs menstruations et avant le mariage.

La conception ingénieuse de ce bain rituel, avec son bassin en pierre soigneusement taillée et son système d’alimentation en eau naturelle, témoigne du respect scrupuleux des prescriptions religieuses concernant l’eau « vivante » – eau de pluie ou de source – nécessaire à la validité du rituel.

Le four communautaire, quant à lui, représentait un élément essentiel pour la préparation des aliments selon les lois de la casherout. Il servait notamment à la cuisson du pain pour le shabbat et les fêtes religieuses. Ces installations, bien que modestes en apparence, constituent des témoignages irremplaçables sur la manière dont la spiritualité juive s’incarnait dans les gestes du quotidien.

Une reconnaissance patrimoniale porteuse d’espoir

L’inscription de ces sites au patrimoine national marocain symbolise la reconnaissance officielle de la contribution juive à l’identité marocaine plurielle. En outre, cette initiative s’aligne  avec les efforts déployés ces dernières années pour restaurer et préserver d’autres sites juifs emblématiques à travers le pays, comme les synagogues historiques de Fès, Marrakech et Essaouira.

Enfin, la réhabilitation de la synagogue Kahal et de son complexe communautaire ouvre des perspectives pour le développement touristique d’Asilah. Au-delà des visiteurs juifs en quête de racines familiales, ces sites pourront attirer un public plus large, intéressé par le dialogue interculturel et la richesse patrimoniale du Maroc.

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