Depuis le début de l’année en cours, le Niger fait face à la rougeole. Selon les autorités sanitaires, plus de 6 000 cas suspects ont été déclarés en avril, parmi eux 15 décès identifiés. Cette épidémie est apparue dans un contexte de santé fragile avec le Covid-19 qui a impacté l’importation de vaccins et provoqué une pénurie, sans oublier le détournement des ressources du système de santé classique.
Pour faire face à cette épidémie, depuis le mois de février, les équipes de MSF (Médecins Sans Frontières) ont lancé des activités de vaccination dans plusieurs régions du pays, en réponse à l’apparition précoce de foyers épidémiques de rougeole. Près de 700 000 doses de vaccins ont notamment été commandées et 463 138 personnes âgées de 6 mois à 14 ans ont déjà été vaccinées. Ainsi, pour mieux comprendre ce que l’organisation MSF fait sur terrain pour lutter contre la rougeole, AFRIK.COM a requis l’expertise du Dr François Rubona, Coordinateur médical pour Médecins Sans Frontières (MSF), au Niger.
AFRIK.COM : Quelle est la situation de l’épidémie de rougeole au Niger, trois mois après le démarrage des campagnes de vaccinations par Médecins Sans Frontières (MSF)?
Dr François Rubona : Cette année, nous avons constaté une augmentation exponentielle du nombre de personnes atteintes par la rougeole par rapport à l’année dernière. Selon les données des registres des Maladies à déclaration obligatoire (MDO) du ministère de la Santé publique du Niger, au cours du premier trimestre de l’année 2021, le pays avait déjà enregistré 3 213 cas de rougeole contre 1081 cas à la même période l’année dernière, soit près de trois fois plus. En avril, le Niger avait ainsi dépassé la barre de 6 000 cas suspects de rougeole, dont 15 décès identifiés, avec 27 districts sanitaires déjà en épidémie de rougeole sur 73 districts. Les régions d’Agadez, Dosso et Tahoua sont les plus touchées.
La rougeole est la maladie virale la plus contagieuse au monde : c’est l’une des principales causes de décès chez les jeunes enfants. Le meilleur moyen de lutter contre la rougeole est d’assurer une couverture vaccinale de 95% suivant les recommandations de l’OMS. Toutefois au Niger, dans un certain nombre de centres de santé, on a pu évaluer que le taux de couverture vaccinale n’allait pas au-delà de 50%, au regard des données disponibles dans certains districts sanitaires en épidémie. Dans certaines zones, comme Diffa, Tillabéry ou Tahoua, la dégradation du contexte sécuritaire, y compris les épisodes de déplacement des populations, pourraient en partie expliquer cette baisse des taux de couverture, en raison d’un accès limité des populations aux soins de santé primaire. Toutefois, cette épidémie intervient aussi dans un contexte de pandémie de covid-19, qui a également posé un certain nombre de contraintes sur les campagnes de vaccinations régulières ou de rattrapage.
A quels défis avez-vous dû faire face, avec notamment la pandémie de Covid-19 ?
Quand les premiers cas de Covid-19 ont été déclarés au Niger en mars 2020, les craintes liées à cette maladie qu’on ne connaissait pas ont sans doute conduit à une baisse de fréquentation des centres de santé. En conséquence, moins de mères ont amené les enfants pour la vaccination de routine.
De l’autre côté, la pandémie a aussi affecté le personnel médical, avec des agents de santé testés positifs ou des contacts qui devaient soit être isolés ou mis en quarantaine, réduisant la capacité de maintenir les activités dans les structures de santé, et notamment les activités préventives. L’année dernière, le gouvernement ainsi que les partenaires, y compris les équipes de MSF, ont en outre redirigé leurs efforts vers la réponse contre la pandémie, impactant les activités préventives. A certains moments, il a même été compliqué d’importer des intrants médicaux suite aux multiples restrictions et fermetures des frontières. Cette année, pour répondre à la situation épidémique et afin d’assurer un stock de préparation aux urgences, nous avons-nous mêmes fait venir près de 700 000 doses de vaccins dans le pays.
Ces dernières semaines, nous avons néanmoins constaté un faible taux de participation des populations, dans certains des quartiers où nous avons mené les campagnes de vaccination, à cause de la confusion avec la vaccination contre le Covid-19. C’est le cas par exemple dans la région de Tillabéry, où certaines communautés ont carrément refusé d’être vaccinées. A Niamey également, nos équipes ont rencontré quelques réticences liées à des rumeurs sur la vaccination contre le Covid-19 menée en parallèle. Pendant les premiers jours de vaccination, en avril dernier, nos équipes ont enregistré un taux très faible de couverture d’objectif quotidien : entre 4 à 5% dans les premiers jours, alors que les objectifs à atteindre pour nos équipes étaient de 20% par jour. Nous avons donc renforcé les activités de sensibilisation et d’engagement communautaire, pour rappeler aux familles ce qu’est la rougeole et ses conséquences sur la santé des enfants, ainsi que la nécessité de faire vacciner les enfants afin de les protéger contre la maladie et de couper la transmission.
Quelles sont les prévisions pour les prochains mois ?
A l’heure actuelle, la situation de la rougeole demeure encore inquiétante au Niger, ce d’autant plus qu’elle témoigne de la baisse de couverture vaccinale et des activités de vaccination de routine. On peut craindre aujourd’hui des risques épidémiques pour toutes les maladies qui sont évitables par la vaccination. On l’a vu également sur la méningite avec plus de 1 100 cas sur le plan national dont la plupart de ces cas ont également été notifiés de façon précoce à Niamey. Les effets de cette baisse de couverture vont certainement se faire sentir sur plusieurs années si les vaccinations de routine ou de rattrapage n’ont pas lieu régulièrement.
Par ailleurs, à l’approche des pics saisonniers du paludisme et de la malnutrition, nous surveillons également de près l’évolution des tendances. Le pic paludisme de l’année dernière avait été particulièrement fort, à la fois par son ampleur et par sa durée. Il s’est terminé en janvier 2021, plus tard qu’à la normale. Cette situation, conjuguée à des projections sur la sécurité alimentaire et la malnutrition qui sont très inquiétantes cette année, nous appelle à redoubler de vigilance, y compris sur des territoires qui suscitent moins l’attention des bailleurs de fonds car elles sont plus éloignées de l’épicentre des conflits armés et de leurs conséquences, comme les régions de Maradi et Zinder.