Une technique traditionnelle ancestrale de récolte et de transformation des fruits de mer, pratiquée par des femmes sur la côte marocaine, reçoit le soutien de la Fondation Slow Food. La Sentinelle des moules Wakkad Tigri a été créée pour préserver une activité qui favorise la cohésion sociale au sein de la communauté des femmes Tigri de Tamri Agadir.
Le 30 avril prochain, à l’occasion de la conférence « Réhabiliter et valoriser : l’importance d’une Sentinelle Slow Food », organisée dans les Chambres des Rencontres de la ville de Tiznit par les femmes amazighes de la Communauté Slow Food de Tamri Agadir, la Sentinelle des moules Wakkad Tigri, sera officiellement lancée et rejoindra les cinq autres projets Slow Food en faveur de la biodiversité alimentaire déjà en cours au Maroc.
Le programme, qui débutera à 14h00, prévoit un débat entre les femmes amazigh de six coopératives faisant partie de la Sentinelle et originaires de Gourizim, Sidi Boulfdail, Sidi Bounouar, Aglou, Douira et Tiguert. Les intervenantes, Yamna Agaliou, Fatima Atanan, Fatima Msayah et Saadia Dibe, discuteront avec le public de leurs attentes et de la signification que revêt la création d’une Sentinelle Slow Food.
Wakkad est le terme amazigh (berbère) utilisé pour désigner les moules récoltées et fumées selon une technique traditionnelle pratiquée depuis des siècles le long du littoral rocheux de la région de Souss Massa, sur la côte sud-ouest du Maroc. Les eaux locales constituent une grande richesse écologique du fait de l’influence du courant marin froid des Canaries et des remontées d’eaux froides provenant des profondeurs. Ces eaux froides tout au long de l’année favorisent la présence de nutriments qui servent de nourriture à de nombreux poissons.
Tigri est un autre terme amazigh désignant à la fois les coquillages côtiers, qui constituent l’une des principales ressources alimentaires de la population locale, et la période lunaire au cours de laquelle la récolte a lieu. Il y a deux périodes de Tigri par mois : la première se déroule entre la fin du mois lunaire et le début du mois lunaire suivant ; la seconde a lieu trois jours avant et trois jours après la pleine lune.
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Les ramasseuses respectent les règles de savoir-faire traditionnelles et les ont intégrées au programme de la Sentinelle : ne jamais récolter des moules d’une longueur inférieure à la taille minimale de 6 cm. La récolte durable des fruits de mer représente une importante source de revenus supplémentaires pour les ménages, mais ce travail peut s’avérer dangereux. L’océan Atlantique présente de forts courants, et les femmes doivent s’aventurer sur des rochers accidentés et glissants pour ramasser les fruits de mer.
Récolte et transformation
Une fois séchées et fumées, les moules se conservent jusqu’à un an et entrent dans la préparation des tajines (plat typique de la cuisine maghrébine qui doit son nom à la marmite en terre cuite utilisée pour la cuisson). Cette technique traditionnelle de traitement des moules permet d’en préserver et d’en intensifier le goût. Elle apporte aux plats cuisinés une touche iodée plus prononcée ainsi qu’une note fumée qui varie en fonction du bois utilisé. La récolte des moules est une activité qui favorise la cohésion sociale au sein de la communauté. Les femmes vont ensemble à la mer et utilisent différents outils pour détacher les moules des rochers. Lorsque la marée monte et que les femmes retournent sur la plage, elles se changent et font sécher leurs vêtements, cueillent des plantes pour préparer le thé et disposent les moules en cercle. Elles placent le bois à brûler sur le dessus et allument un feu pendant 5 à 10 minutes. Une fois le feu éteint, tous les résidus de cendres sont éliminés. Les moules sont ensuite ouvertes et extraites, puis placées sur un tissu propre pour les faire sécher au soleil. Le séchage des moules prend de 1 à 2 jours selon l’intensité du soleil. Lorsqu’elles deviennent dures et se cassent facilement, cela signifie qu’elles ont atteint un niveau de déshydratation adéquat.
L’importance de la Sentinelle
Yamna Agaliou, Présidente de la coopérative des femmes amazigh et porte-parole de la Sentinelle des moules Wakkad Tigri, affirme : « Je suis convaincue que la Sentinelle Wakkad Tigri nous sera d’une grande aide pour préserver notre tradition culinaire. Elle nous offre l’opportunité de conserver cette tradition et de vendre à un prix raisonnable, de sorte que les productrices puissent avoir un meilleur salaire pour mener une vie confortable. Grâce au réseau Slow Food, nous avons la possibilité d’accéder au marché international et de participer à des événements pour présenter notre produit alimentaire. Nous pouvons ainsi préserver notre savoir-faire traditionnel, encourager les nouvelles générations à produire des moules fumées et à prendre conscience de l’importance de notre tradition, mais aussi en assurer la pérennité tout en garantissant la durabilité du produit. »
Edward Mukiibi, Président du mouvement international Slow Food, ajoute : « L’un des principaux objectifs de Slow Food est de promouvoir la biodiversité et donc la connaissance des écosystèmes terrestres et marins, ainsi que les meilleures pratiques de pêche et d’artisanat alimentaire. Les petits pêcheurs et les communautés vivant des ressources marines côtières sont victimes de la pêche industrielle. Nous constatons souvent que de grands bateaux pêchent dans des zones où seuls les petits pêcheurs devraient pêcher. C’est la conséquence des politiques néfastes menées par les institutions et les gouvernements, qui vendent les droits de pêche le long de leurs côtes et condamnent les petits pêcheurs, ainsi que toute une série d’activités connexes, comme celle des femmes de la Sentinelle des moules Wakkad Tigri, à la marginalisation. Ces activités représentent au contraire une contribution importante à la sécurité alimentaire de ces communautés côtières. De telles politiques ont des répercussions sur l’ensemble de l’écosystème côtier, ainsi que sur d’autres problèmes liés au changement climatique et à la dégradation de l’environnement. À travers la création de cette Sentinelle, nous voulons attirer l’attention des politiciens et des autorités sur la valeur environnementale de ces activités traditionnelles, mais aussi rendre hommage à une communauté de femmes qui, avec ténacité et orgueil, continue à préserver un patrimoine gastronomique unique. »
La Sentinelle des moules Wakkad Tigri est financée par Africa per Pietro, un projet social de formation professionnelle agricole, développé en l’honneur et à la mémoire de Pietro Vellegri, dans le cadre du programme de soutien aux Communautés Slow Food de Sidi Bounouar (Aglou-Tiznit).