Une semaine après l’attaque de Daech qui a tué 29 pèlerins coptes, la minorité chrétienne d’Égypte dénonce les lacunes de la sécurité pour les protéger. Les autorités mènent une politique ambiguë à l’égard de l’islam rigoriste.
Depuis la fusillade contre des pèlerins coptes qui a fait 29 morts vendredi 26 mai en Égypte, Miled Salama, voix éraillée, oscille entre la tristesse et la colère. Ce jeune avocat a perdu des proches dans l’attaque?: « J’ai perdu ma voix à force de hurler au téléphone pour que la police se déplace sur le lieu de l’attaque. Je suis arrivé bien avant elle quand ma famille m’a averti qu’on lui avait tiré dessus… Les forces de sécurité nous négligent. »
Comme après chaque nouvelle violence, les chrétiens, qui représentent 10 % des 93 millions d’Égyptiens, dénoncent les failles de sécurité de l’État dont ils se disent les victimes. L’attaque de vendredi, revendiquée par Daech, sur une route désertique à 200 kilomètres au sud de la capitale était à l’évidence bien préparée. Les assaillants connaissaient les lieux et habitudes des chrétiens de la région, et ils ont réussi à échapper aux forces de sécurité. Pour le Père Rafic Greiche, porte-parole de l’Église catholique en Égypte, « tout le monde sait que les pèlerins se rendent dans le monastère de Saint-Samuel le vendredi, la route aurait dû être sécurisée ».
« L’armée n’est pas formée pour la lutte contre le terrorisme »
Daech a subi des revers dans son fief du nord du Sinaï face à l’armée, et s’en prend désormais à des cibles non protégées et n’ayant pas les moyens de riposter?: les chrétiens. La stratégie vise également à déstabiliser le pays en créant des tensions confessionnelles entre les deux communautés. « Le renseignement pourrait être amélioré, et l’armée n’est pas formée pour la lutte contre le terrorisme, mais il est en réalité difficile de contrecarrer ce genre d’attaques », souligne un diplomate en poste au Caire. Par ailleurs, les chrétiens sont très peu représentés parmi les cadres des services de sécurité.
Depuis le double attentat du 9 avril contre deux églises d’Alexandrie et de Tanta, qui avait fait près de 50 morts, l’état d’urgence a été décrété en Égypte, et les dispositifs de sécurité renforcés, comme les effectifs policiers devant les églises du pays. « Mais il est impossible de mettre un policier derrière chaque chrétien. Ils sont des millions, et les forces de sécurité n’en ont évidemment pas les moyens », assure encore le diplomate. Les mesures prises n’ont pas suffi à stopper les violences. Et le renforcement de la sécurité ne peut à lui seul régler la question.
« Le terrorisme ne peut être combattu uniquement par les armes »
Depuis des décennies, les régimes successifs ont mis en place des politiques ambiguës à l’égard des organisations religieuses, une stratégie à laquelle le pouvoir actuel n’a pas échappé. Le président Sissi a chassé dans le sang les Frères musulmans du pouvoir en 2013, mais il a parallèlement tendu la main au parti salafiste qui prône un islam rigoriste.
Pour Mina Thabet, spécialiste des minorités au sein d’une ONG, « le terrorisme ne peut être combattu uniquement par les armes. Il faut une stratégie globale. On a besoin de culture, de réforme économique, de justice sociale et d’éducation ».
L’absence d’éducation, comme son corollaire, l’enseignement d’une pensée conservatrice, est pointée du doigt comme vecteur d’un extrémisme rampant. Un jeune étudiant d’Al-Azhar, haut lieu de l’islam sunnite dans le monde, en témoigne?: « J’ai été éduqué dans l’idée que les musulmans étaient supérieurs aux chrétiens, assure-t-il. Certains enseignants m’ont appris que tuer un chrétien n’était pas un crime. »
« L’espace public est devenu musulman »
En Égypte, l’islamisation de la société s’est accompagnée d’un repli de la communauté copte sur elle-même. Ce qui n’a pas été sans conséquence, selon Victor Salama, professeur à l’université du Caire?: « L’espace public est devenu musulman, et aujourd’hui on assiste à une justice à deux vitesses. »
« À titre d’exemple?: de jeunes coptes avaient fait une vidéo parodique de Daech, ils ont été condamnés en janvier 2016 à des peines de prison et ont dû fuir le pays, poursuit-il. Au contraire, après les attaques de Minya, les internautes ayant posté des messages haineux se réjouissant des violences contre les chrétiens n’ont pas été poursuivis, alors que ça devrait tomber sous le coup de la loi. Cette impunité fragilise les coptes. »
Cet environnement social et politique met en péril la sécurité des chrétiens d’Égypte.
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Quatre militaires tués par l’explosion d’une veste piégée
En représailles à l’attaque meurtrière de Daech contre les coptes de vendredi dernier, l’armée égyptienne a mené des raids aériens contre des camps d’entraînement djihadistes situés près de Derna, dans l’Est libyen, ainsi que dans le désert occidental égyptien. Selon un communiqué de l’armée, lorsque les militaires ont ensuite ratissé la zone laissée par les djihadistes, près de la ville d’El-Bawiti, à l’est du lieu de l’attaque du bus transportant les chrétiens, quatre d’entre eux sont morts lors de l’explosion d’une veste piégée laissée par les combattants.