La sagesse africaine portée disparue au Senegal


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Le Chef de l’Etat sénégalais, Abdoulaye Wade, dans le bras de fer qui l’oppose à son peuple, ne quittera pas le pouvoir – qu’il le fasse maintenant ou plus tard – sans avoir consumé sa crédibilité. Entre le doyen des présidents et l’Afrique des peuples, les ponts sont rompus. Son « Sopi », source d’inspiration et modèle de changement démocratique, s’est transformé en un cauchemar atroce qui se déclame, à Dakar, en des termes peu glorifiants : “Y’ en a marre”.

Même si, par un ultime sursaut, il accepte de faire machine arrière pour donner la priorité à la sagesse sur l’inapaisable appétit du pouvoir qui le démange tant, il lui sera difficile de bénéficier, demain, d’une stature de Grand Homme d’Etat dans l’histoire de son pays.

Le vieil homme sorti triomphant des urnes en mars 2000, n’est plus, aux yeux des Sénégalais et de beaucoup d’Africains, qu’un autre dictateur aux penchants monarchiques. A quoi sert-il d’accéder au pouvoir par voie démocratique si on ne peut pas, dans un délai raisonnable, passer le témoin, par souci de prémunir son peuple du chaos ? L’image que renvoie le « vieux » au monde est dégradante pour le continent. Elle est surtout nocive ; la pratique de manipuler les constitutions, de s’accrocher au pouvoir envers et contre tout étant très vive dans cette partie de la planète où l’on compte les plus barbares autocraties. Chez nous, le vieux donne l’exemple. Il est un modèle que les plus jeunes consultent. Mais avec Wade, c’est l’une des valeurs les plus sacrées de la sagesse africaine qui disparaît : la parole donnée. La valeur d’un homme n’est-elle pas à l’aune de sa parole et l’exécution de ses promesses?

Nombreux sont les Africains à se demander ce que valent vraiment leurs représentants suprêmes, gardiens des Constitutions, si ceux-ci, sur le plan de l’intégrité morale, sont, du militaire putschiste à peine instruit à l’intellectuel chevronné, aussi minables les uns que les autres, rivalisant de vaines promesses qui n’engagent que les pauvres citoyens qui y croient.

Si le continent était un être humain, il se tordrait de douleur et se plaindrait d’avoir mal partout. Comme le dit si bien l’Ecrivain togolais Robert Dussey, « l’Afrique est malade de ses hommes politiques ». C’est à cause du mauvais état du continent, de la faiblesse de ses institutions, que chacun se croit fondé de tenter sa chance d’accéder à la magistrature suprême. Du cancre fils du guérillero au fainéant fils du général-président. Sans l’expertise, l’apprentissage ni l’expérience, qui sont les fondamentaux de la plus haute fonction de l’Etat. Tellement, le poste le plus exigeant de la République, en Afrique, est banalisé, que certains sont tentés de croire qu’il suffit d’avoir un nom, de se rendre populaire grâce au M’balax et au Djembé pour l’occuper. « Je n’ai pas fait des études supérieures mais être président n’est pas un métier mais une fonction », dira Yousou N’Dour pour justifier sa candidature provoquée, il faut le reconnaître, par le désordre installé au Sénégal par les soins de Wade, le doyen en qui trop de gens, les occidentaux y compris, aimeraient voir un moralisateur influent de la vie politique africaine.

Au moment où l’Afrique, désespérément, est à la recherche d’un nombre critique de figures emblématiques de la trempe de Nelson Mandela, en vue de donner ses lettres de noblesse à la fonction présidentielle, la candidature de Wade pour un troisième mandat, à 86 ans, est perçue comme un coup de massue sur la tête de la jeunesse combattante africaine. C’est un mauvais exemple. A cet âge, lorsqu’on a passé onze ans à la tête de son pays et que le désire de succéder à soi-même suscite un mécontentement général, la sagesse ne recommande-t-elle pas une attitude autre que celle d’engager un bras de fer ?

Pendant que le vieux de Saint Louis, par une guérilla juridique ubuesque, divise et cogne les Sénégalais les uns contre les autres, et que nos célèbres panafricanistes sont si muets, les esprits malfaisants s’échauffent, se frayent du chemin et, petit à petit, vont s’installer dans les failles. Les vendeurs de fusils ne demandent pas meilleur climat. Ainsi s’allument, en Afrique, les conflits armés. La leçon ivoirienne est trop douloureuse pour ne pas servir ! Abdoulaye Wade qui, une fois, dans l’opposition, avait déclaré : « je ne veux pas marcher sur des cadavres pour accéder au palais présidentiel », veut-il maintenant en sortir, au crépuscule de sa vie, en traversant, à la nage, une rivière de sang humain en crue ? Drôle de façon de terminer sa carrière !

Le cadeau le plus précieux qu’on peut offrir aux Sénégalais, dans leur situation, c’est de leur souhaiter le vœu que cette année 2012, le président finisse par trouver, dans la langue Wolof, l’équivalent, le sens et les raisons de « Prendre sa Retraite ».

Kodjo Epou

Washington DC

USA

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Kodjo Epou est journaliste et chroniqueur pour différents médias, spécialisé sur l'Afrique et/où d'investigation. Il est aussi spécialiste de Relations Publiques
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