L’organisation non gouvernementale » Avenir de l’enfant » travaille au quotidien depuis 13 ans sur le problème des enfants des rues au Sénégal. Qui sont-ils ? Pourquoi sont-ils dans la rue ? Pourquoi certains ne veulent plus la quitter ? Quelles sont les solutions ? Moussa Sow, président de l’ONG, fait le point sur la situation et sur son action. Interview.
Quitter sa famille pour la rue. Des centaines d’enfants se trouvent chaque année acculés à cette dangereuse extrémité au Sénégal. L’Organisation non gouvernementale (ONG) » Avenir de l’enfant » oeuvre depuis 13 ans à la réinsertion de ces jeunes par le biais d’une médiation familiale. Moussa Sow*, le directeur de la structure, nous explique les caractéristiques de la population des enfants des rue et sa démarche de travail.
Afrik : Il y a combien d’enfants des rues au Sénégal ?
Moussa Sow : Difficile de répondre parce qu’il n’y a pas d’étude quantitative exhaustive sur le sujet. L’Unicef parle de 400 000 enfants en situation de vulnérabilité dans le pays. Pour notre part, nous avons recensé 253 enfants de rues à Dakar et dans sa région. Mais, faute de moyens pour évaluer la situation, nous sommes bien en-dessous du chiffre réel.
Afrik : Quelles sont les raisons qui poussent les enfants à rejoindre la rue ?
Moussa Sow : Principalement les sévices corporels. Viennent ensuite les conditions de vie dans les daaras – structure coranique où les enfants sont confiés à un marabout pour leur éducation – et le vagabondage. Un pourcentage important concerne également les menaces de coups qui occasionnent de profonds traumatismes psychologiques chez l’enfant. Le phénomène touche toutes les familles. Ce n’est pas une question de pauvreté, même si celle-ci est un facteur de violence dans les familles. Très peu d’enfants quittent leurs parents pour trouver à manger dans la rue.
Afrik : Quel âge ont les enfants de la rue ?
Moussa Sow : Ils ont 15 ans en moyenne. Mais le plus jeune que nous ayons accueilli a 3 ans.
Afrik : Comment peut-on devenir un enfant des rues à 3 ans ?
Moussa Sow : Il s’agit là d’un tout autre problème. Aujourd’hui, la crise économique frappe des familles entières qui se retrouvent à la rue avec leur progéniture. Notre stratégie de réinsertion n’est ici plus valable car l’enfant n’est pas en rupture avec sa famille. Nous l’accueillons au foyer pour le mettre hors de situations traumatisantes. Et ses parents viennent lui rendre visite au foyer.
Afrik : Quelle est votre démarche générale par rapport aux enfants des rues ?
Moussa Sow : Nous organisons des descentes nocturnes et diurnes pour aller à la rencontre des enfants et dialoguer avec eux. Le but n’est pas de les forcer à quitter la rue mais de les amener à prendre conscience des dangers de la rue pour qu’ils décident eux-mêmes soit de retourner dans leur famille soit d’être accueillis temporairement dans nos foyers ouverts à Rufisque.
Afrik : Est-ce que vous aidez les jeunes à regagner leur famille ?
Moussa Sow : C’est le principe même de notre action. Nous opérons une médiation familiale. Beaucoup d’enfants ne retournent pas chez eux tout simplement parce qu’ils ont peur. Notre premier rôle est de les rassurer. Nous essayons, en discutant avec chaque enfant, de cerner la place qu’il occupe au sein de sa famille. Puis nous allons ensemble voir les parents pour amorcer un dialogue. Il faut établir un contact, écouter, les laisser déverser leur colère pour essayer d’aboutir à une réconciliation.
Afrik : Ne dépossédez-vous pas les parents d’une partie de leur autorité en leur expliquant ce qu’il convient de faire au sein de leur famille ?
Moussa Sow : Nous veillons à agir dans le respect des valeurs des parents. Nous ne leur enlevons pas leur prépondérance dans l’éducation de l’enfant. S’ils battent l’enfant, par exemple, nous essayons de savoir pourquoi. Est-ce parce qu’ils le détestent ou bien ont-ils peur de l’échec de leur enfant ? Les parents utilisent la violence parce qu’ils ne connaissent souvent pas d’autres méthodes éducatives. Il est symptomatique qu’en wolof, le mot » yar » signifie à la fois éduquer et cravache. Nous travaillons pour que l’éducation prenne le dessus sur la cravache.
Afrik : Y a-t-il des enfants qui préfèrent rester dans la rue plutôt que de regagner la cellule familiale ?
Moussa Sow : La rue est une drogue sociale. La fugue est un acte inconscient suscité par la peur. Passée la peur, le séjour peut être une attitude consciente. La rue est un espace de reconnaissance et un enfant peut décider d’y rester s’il se sent plus reconnu dans la rue que chez lui. Une fois que le rôle identitaire lui a été donné par la rue, nous avons beaucoup plus de mal à lui faire comprendre que la rue n’est pas un exemple. Et puis il y a le « guinz » – diluant cellulosique utilisé pour diluer la peinture- que certains enfants se mettent à sniffer. Et ceux-là deviennent dépendants du milieu où ils évoluent.
Afrik : Quel est le taux de réussite de vos actions ?
Moussa Sow : Sur les 156 nouveaux cas en 2002, 95 enfants sont retournés chez leurs parents.
*Anciennement membre de l’équipe de L’Empire (cinéma dakarois réhabilité en centre d’accueil pour les enfants des rues), il a tenu à préciser qu’il ne fait désormais plus partie du projet.
ONG » Avenir de l’enfant «