La revendication sociale prend le pas sur les prétentions identitaires. Les jeunes émeutiers s’en sont pris autant aux symboles de l’Etat qu’aux notables locaux. Les défenseurs de l’identité berbère devront s’en souvenir : la langue tamazight a également besoin de pain.
Plus qu’une revendication identitaire (elle n’a jamais faibli) la révolte de la jeunesse kabyle germe sur les ferments d’une misère sociale qui n’a pas régressé avec l’embellie économique que connaît l’Algérie depuis un an.
Les slogans des émeutiers, qui mettent en cause le favoritisme, les passe-droit (dans l’attribution des logements par exemple) rappellent plus ceux d’octobre 1988 que ceux du » Printemps berbère » de 1980 – lequel a d’ailleurs recueilli une très faible mobilisation cette année. En s’en prenant aux bâtiments publics, aux villas des notables locaux, les jeunes kabyles pointent une » malvie » qui a atteint l’intolérable dans cette région, concentrant les pires fléaux de la société algérienne : une démographie galopante, un taux de chômage qui dépasse largement les 20% officiels, une terre pauvre frappée par une immigration massive…
Une réalité devenue insupportable alors que l’Algérie, dopée par l’exportation des hydrocarbures, les hausses du dollar et du cours du baril de brut, a terminé l’année sur un excédent budgétaire de 200 milliards de dinars (2, 6 milliards de dollars).
Oubliés de l’embellie économique
La hausse du billet vert par rapport à l’Euro a eu pour effet d’augmenter le
pouvoir d’achat du pays auprès de ses fournisseurs européens. Or, cette embellie n’a touché que certains et la plupart des » hittistes » (jeunes désoeuvrés) ont vu le niveau de vie des privilégiés du système croître sans constater une quelconque amélioration de leur sort.
La nomination d’Ali Benflis à la tête du gouvernement, il y a six mois de
cela, consacrait un virage brutal vers une libéralisation de l’économie
algérienne que Benbitour, son prédécesseur, aurait souhaité plus douce.
En un an, ces ajustements structurels, voulus par le Fonds Monétaire International, ont laissé 1000 entreprises locales sur le carreau et, avec elles, 400000 travailleurs licenciés. Sachant que la reprise d’activité ne touche que 4% des chômeurs algériens, la nouvelle génération arrivant sur le marché du travail est restée reléguée en queue du peloton des bénéficiaires de la croissance.
» Comment le nouvel et salvateur apport financier va être géré ? »
s’interrogeait – non sans une certaine perfidie – en septembre un
éditorialiste du quotidien national El-Watan. A l’évidence la jeunesse de
Tizi Ouzou croit avoir la réponse. Et elle ne lui plaît pas du tout. L’enjeu crucial des prochains mois sera donc l’accompagnement social des réformes structurelles qui remettront l’économie algérienne en selle.