Le metteur en scène franco-congolais Hugues Serge Limbvani et sa troupe, Boyokani Company, s’attaquent à un monument de la littérature africaine : Les bouts de bois de Dieu. Le roman de Sembène Ousmane (1923 – 2007), dont ils présentent une adaptation pour la scène au théâtre de la Tempête, à Paris, jusqu’au 20 décembre.
« Vive la grève ! » Un cri s’élève de la foule. Les travailleurs des chemins de fer sont en colère. Sur scène, dix-sept comédiens, musiciens et danseurs. Ils nous font revivre, au théâtre de La Tempête, la révolte des « Bouts de bois de Dieu », les cheminots du Dakar-Niger et leurs familles qui, pendant cinq longs mois, du 10 octobre 1947 au 19 mars 1948, ont tenu tête à leur patron et au pouvoir colonial. Une histoire vraie, immortalisée par le romancier et réalisateur sénégalais Sembène Ousmane, en 1961, et adaptée au théâtre par Hugues Serge Limbvani.
Pour le metteur en scène, qui a découvert le texte alors qu’il était élève, au Congo, en classe de seconde[[Le roman de Sembène Ousmane est au programme, au lycée, dans plusieurs pays d’Afrique]], il était impératif de rappeler au monde combien l’Afrique avait été capable, dans son histoire, de s’élever contre l’oppression et de mener des combats pour sa dignité. « J’ai voulu mettre en scène ce roman parce qu’il fait partie de notre patrimoine et que les gens ne savent pas qu’à cette époque-là, l’Afrique avait un niveau extraordinaire. Elle était capable de faire front et de gagner devant le colon. Mais maintenant, j’ai l’impression qu’on a reculé… », nous a confié Hugues Serge Limbvani, qui a créé cette pièce au théâtre Sorano de Dakar en 2000[[Sembène Ousmane a assisté à l’une des premières représentations de l’adaptation. Par la suite, le vieil homme pourtant avare en témoignages d’affection a appelé Hugues Serge Limbvani « Mon neveu »]].
« Quand vous savez que la vie des autres dépend de votre courage, vous n’avez pas le droit d’avoir peur… »
L’action des Bouts de bois de Dieu se déroule pendant la période coloniale, une décennie avant la proclamation des indépendances. Cependant, elle amène inévitablement les spectateurs à se questionner sur le monde d’aujourd’hui et la permanence de l’injustice et du préjugé de race. « Dans cette période où on sent qu’il y a un décalage entre ce qui se passe en France et aux Etats-Unis, je suis super fière de participer à cette pièce », déclare Delphine Nyobé, alias Delphine II, l’une des comédiennes de la troupe, pour qui le message véhiculé par le spectacle comme la victoire de Barack Obama à l’élection présidentielle des Etats-Unis devraient faire évoluer les consciences dans l’Hexagone.
Dans Les Bouts de bois de Dieu, l’on suit, jour après jour, les efforts des cheminots et de leurs épouses pour se faire respecter par le patronat raciste et le pouvoir colonial français. La scène est organisée sur trois niveaux, représentant symboliquement la hiérarchisation de la société. Au sommet, évoluent les blancs ; en dessous, sur la deuxième marche de la pyramide, leurs collaborateurs autochtones ; et tout en bas les grévistes – le petit peuple stimulé par son leader, Ibrahima Bakayoko – qui à force de courage et d’abnégation obtiennent la satisfaction de leurs revendications.
Les Bouts de bois de Dieu est une pièce chorale qui, sans tomber dans le travers d’une moralisation excessive, exalte les idéaux de solidarité et d’égalité. Un spectacle plein d’énergie et d’humour, habité par une troupe de comédiens et de musiciens issus d’horizons divers qui parvient, en nous faisant revivre un épisode tumultueux de l’histoire africaine, à réveiller ce qu’il y a de meilleur en nous.
Pour plus d’informations:
Le site du théâtre de La Tempête
Les bouts de bois de Dieu, mis en scène Hugues Serge Limbvani.
Au théâtre de La Tempête. Cartoucherie, Route du Champ de Manoeuvre. 75012. Paris. France. Jusqu’au 20 décembre. Du mardi au samedi 20h30, dimanche 16h.
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