Afin de réformer efficacement les institutions sécuritaires en Afrique, une attention particulière doit être accordée à la protection des femmes. Trop souvent en effet, elles sont les victimes de brutalités commises par la police et l’armée. Leur protection suppose, ainsi que le souligne Afrique Renouveau dans cet article, que des mesures énergiques soient prises.
Le massacre fin septembre 2009 de près de 200 manifestants de l’opposition à Conakry (Guinée) a choqué l’Afrique et le reste du monde. Plus que la brutalité même de la répression, une chose a particulièrement frappé d’horreur de nombreux survivants et observateurs – le viol systématique de dizaines de femmes.
Le phénomène est courant dans les pays en guerre. Cependant même dans ceux qui ne sont pas en conflit armé, les femmes sont fréquemment violées, battues et victimes d’autres formes de violence. Il est rare pourtant que la police et la justice se saisissent de tels crimes. Plus grave policiers et militaires figurent souvent parmi les auteurs de ces violences.
Face à cette situation, diverses mesures sont prises pour réformer les institutions sécuritaires africaines et les sensibiliser à la protection des femmes : mise en place d’unités spécialisées dans la violence sexuelle et domestique ; création de tribunaux consacrés à la poursuite des crimes sexuels et recrutement de femmes dans la police et les forces armées.
‘Une double approche’
Mais ces progrès restent limités, note Ecoma Alaga de l’ONG Women Peace and Security Network–Africa, basée à Accra au Ghana. Pour elle, la réforme de la sécurité devrait porter davantage sur la lutte contre la discrimination entre les sexes et la protection des femmes.
Pour se faire, une “double approche” est nécessaire : d’un côté, ceux qui conçoivent et mettent en œuvre les réformes des organes de sécurité doivent mieux tenir compte des différences entre hommes et femmes tout en impliquant ces dernières dans toutes les phases de la réforme. De l’autre côté, les organisations de femmes doivent cesser de considérer la sécurité comme “une affaire d’hommes”.
Purger les organes de sécurité
Dans les pays où l’armée s’est fait particulièrement remarquer par sa brutalité envers les civils, une des mesures les plus évidentes qu’impose la réforme est de se débarrasser des responsables de violences graves. En République démocratique du Congo (RDC), cet objectif s’est révélé difficile à atteindre malgré de nombreux efforts.
Les accords de paix de 2002 prévoyaient la création de nouvelles forces armées, mais la sélection menée lors de recrutement en vue de ne retenir que des candidats non impliqués dans des actes criminels a été très limitée.
De plus, les combats ayant continué dans les provinces de l’Est du pays, les femmes ont fréquemment été victimes de brutalités et de viols. Tout en mettant en cause les groupes rebelles, les défenseurs des droits de l’homme ont régulièrement fait état d’abus commis par les forces gouvernementales. En juin 2009, le Président Joseph Kabila a annoncé une politique de “tolérance zéro” vis-à-vis de tels actes et depuis des dizaines de soldats du rang ont été jugés.
Il reste que l’armée congolaise a encore un long chemin à parcourir. En novembre, des enquêteurs de l’ONU ont confirmé qu’elle avait tué plus de 60 civils au cours d’un seul incident. Après avoir noté – dans un rapport publié en décembre dernier – un “manque de progrès dans le domaine de la réforme du secteur de la sécurité”, le Secrétaire général de l’ONU, M. Ban Ki-moon a appelé les autorités congolaises à traduire en justice les responsables d’actes de violence graves.
Pour le général Monzili Zabili, commandant chevronné de l’armée congolaise, il faudra au moins trois ans de formation intensive et de restructuration pour créer une véritable “armée républicaine.” L’armée actuelle constitue, selon lui, un “regroupement de milices privées”.
À l’opposé de l’expérience congolaise, l’armée libérienne démontre qu’un processus de sélection efficace peut être mené à bien. En 2006, Après plus d’une décennie de guerre civile, le Libéria a entrepris de rebâtir son armée. Des commissions spéciales ont soigneusement examiné les qualifications de chaque candidat et éliminé tous ceux qui avaient commis des violences. Les noms et les photos des candidats ont été publiés et communiqués à la population locale. Le public a été invité à fournir toute information susceptible de disqualifier chacun des aspirants. Ce processus a abouti à l’élimination des trois quarts des candidats.
Formation, recrutement et réforme judiciaire
Cependant, la réussite de la réforme de la sécurité en Afrique dépend aussi de la qualité de la formation offerte aux policiers et aux soldats. Au Congo, des instructeurs de la MONUC et de l’Union européenne dispensent des enseignements sur les droits de l’homme et les problèmes liés au sexisme. Des programmes similaires ont été introduits au Burundi, au Libéria, en Sierra Leone et en Afrique du Sud.
Pour les défenseurs des droits de la femme, il est également crucial de renouveler le personnel des forces de sécurité. Au Libéria, la présidente Ellen Johnson-Sirleaf a souhaité féminiser l’armée dans une proportion de 20 %. Mais peu de femmes satisfaisaient aux conditions requises, dont celle d’avoir atteint le secondaire. L’Afrique du Sud a récemment porté le quota de femmes dans l’armée et la police à 40 %. Huit femmes ont été promues général de brigade en 2007.
Pour combattre le fléau de la violence contre les femmes, la police et les tribunaux doivent devenir plus actifs et les sanctions judiciaires plus efficaces. Mais partout en Afrique, les femmes n’ont toujours qu’un accès limité à la justice. Les tribunaux ont peu de pouvoir (et sont à peine présents en dehors des grandes villes). Les frais de justice sont élevés, la corruption est fréquente. Parties civiles, avocats et juges n’ont souvent qu’une connaissance approximative de la loi. Mais des progrès sont en cours et dans plusieurs pays les lois sanctionnant le viol et la violence sexuelle ont été renforcées.
D’une façon plus générale, la violence contre les femmes est un problème de société qui ne peut pas être combattu par les seuls organes de sécurité, note Anne-Marie Goetz, conseillère au Fonds de développement des Nations Unies pour la femme (UNIFEM). Elle ajoute que la “grande tolérance des violences” qui prévaut dans de nombreuses sociétés rend plus difficile la transformation des organes de sécurité.
L’auteur : M. Ernest Harsch, écrit pour Afrique Renouveau.