La rébellion centrafricaine souhaite toujours prendre Bangui


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La rébellion centrafricaine n’a pas riposté aux tirs de l’aviation française afin de laisser le temps à Paris de comprendre où est l’intérêt du pays, selon son chef d’état major, Abdoulaye Miskine. L’ancien officier assure néanmoins qu’une nouvelle attaque est à l’étude pour prendre Bangui et renverser François Bozizé, qu’il accuse de clanisme. Interview exclusive.

La rébellion centrafricaine n’a pas l’intention d’entrer dans une confrontation armée avec les forces françaises, qui l’ont bombardée à plusieurs reprises la semaine passée. Pas dans l’immédiat en tout cas. C’est ce qu’Abdoulaye Miskine, qui se présente comme le président du Front démocratique du peuple centrafricain (FDPC) et le chef d’état major de l’Union des forces démocratiques pour le rassemblement (UFDR), joint sur téléphone satellitaire, a déclaré à Afrik. L’ancien officier de l’armée centrafricaine, fait « Commandeur de l’ordre du mérite » par le président déchu Ange Félix Patassé, en 2002, explique diriger la rébellion centrafricaine depuis près d’un an. Date, selon lui, de son retour d’exil du Togo (il y a été exilé en 2002, dans le cadre d’un accord régional, en même temps que Bozizé l’a été vers Paris). Il est décidé à prendre Bangui et à renverser le président général François Bozizé, qu’il a déjà combattu en 2001 et 2002 et qu’il accuse de gérer le pouvoir de façon clanique. Mais il souhaite auparavant convaincre Paris de l’utilité d’une telle opération. Martin Koumta Madji, de son vrai nom, réfute les accusations de crimes de guerre prononcées contre lui par la FIDH (Fédération internationale des Ligues des droits de l’homme), notamment, et réclame des enquêtes indépendantes pour prouver la culpabilité de l’armée régulière dans le massacre de Paoua, perpétré à la fin de l’année 2005.

Afrik : Comment réagissez-vous à l’attaque des Mirage F1 français et aux déclarations du Premier ministre Dominique de Villepin, qui a mis en garde jeudi les rebelles centrafricains et tchadiens ?

Abdoulaye Miskine :
Lorsque j’ai constaté que la France nous attaquait et nous bombardait, j’ai demandé à nos troupes de ne pas répondre car nous pensons qu’elle finira par comprendre que c’est un problème interne. J’ai demandé à nos troupes de se retirer des villes que nous tenions. Mais les avions français ont continué à suivre mes hommes, parfois jusqu’à 100 Km des villes. Les soldats m’ont appelé pour me dire ce qui se passait et me demander de les laisser riposter, mais je leur ai dit d’exécuter les ordres.

Afrik : Les forces françaises disent avoir tiré en état de légitime défense…

Abdoulaye Miskine :
C’est faux.

Afrik : Combien d’hommes avez-vous perdu dans les combats ?

Abdoulaye Miskine :
72 hommes sont morts, dont 52 tués par les tirs français. Les avions ont tiré sept fois, à Birao, à Ndélé, à Ouadda-Djalle, à Sam-Ouandja…

Afrik : Dans un communiqué, le ministère centrafricain de la Défense affirme qu’« il s’agit là d’une victoire sans conteste des forces armées centrafricaines »…

Abdoulaye Miskine :
C’est nous qui nous sommes retirés, afin de préserver les populations civiles. Et je confirme que l’attaque était celle des Français et des forces de la Cemac (Communauté Economique et Monétaire des Etats d’Afrique Centrale), pas celle de l’armée centrafricaine. Seule, elle ne peut pas faire face à nous.

Afrik : Le discours que vous tenez vis-à-vis de la France, concernant l’absence de riposte, est-il le même vis-à-vis des troupes de la Cemac ?

Abdoulaye Miskine :
Moi-même, je n’ai pas tiré sur elles car la présence française m’a beaucoup dérangé. Si les forces de la Cemac avaient été seules, je pense que nous aurions dû faire quelque chose.

Afrik : Pourquoi cette différence de traitement ?

Abdoulaye Miskine :
Car les forces de la Cemac sont des forces africaines. Pas celles de la France. Nous avons été colonisés par la France, c’est comme « notre père », il faut lui faire comprendre d’abord la situation. Si les forces de la Cemac doivent jouer un rôle dans un pays africain, cela doit être en tant qu’arbitre, pas comme une partie prenante. Les pays membres de cette organisation savent que Bozizé est arrivé au pouvoir par un coup d’Etat et qu’il a renversé un président élu (Ange Félix Patassé, ndlr). Si finalement ils veulent construire quelque chose pour le peuple, ils devraient chercher à résoudre les problèmes. Mais François Bozizé ne pense qu’à son ethnie baya. Seul le clan de Bozizé est au pouvoir. Nous autres sommes abandonnés. Il y a près de quarante ethnies en Centrafrique. Cela ne peut pas continuer comme cela.

Afrik : C’est pour cela que vous avez pris les armes ?

Abdoulaye Miskine :
Oui. Toutes les autres ethnies abandonnées se retrouvent dans la rébellion. Nous sommes en train de nous concerter, nous préparons une nouvelle offensive depuis le nord, l’est, l’ouest et le sud, où nous sommes également. Nous ne pouvons accepter que Bozizé reste au pouvoir. Que ce soit pour les fonctionnaires, les civils ou n’importe qui… rien n’a marché depuis qu’il est là.

Afrik : Etes-vous en contact avec les autorités françaises, que vous souhaitez convaincre ?

Abdoulaye Miskine :
Nous faisons actuellement les démarches pour cela, afin qu’elle comprenne. Il faut que cela passe.

Afrik : Et si l’aviation française vous prend de nouveau pour cible lors de votre prochaine offensive ?

Abdoulaye Miskine :
Nous allons voir comment nous réagirons selon leur réponse… Ils ne doivent pas oublier que les fils du pays connaissent le terrain.

Afrik : François Bozizé a tenté de vous approcher par l’intermédiaire de son fils et d’un opposant tchadien. Pourquoi la tentative de discussion a-t-elle échoué ? D’autres ont-elles eu lieu ?

Abdoulaye Miskine :
Nous sommes fâchés contre François Bozizé, le chef de l’Etat. C’est lui qui est le problème. C’est lui qui devrait chercher à nous joindre directement. Nous avons fini par comprendre qu’il envoyait des émissaires pour voir qui était avec qui, non pas pour ouvrir de sérieuses discussions.

Afrik : Dans un discours prononcé jeudi dernier, François Bozizé s’est dit ouvert à « un dialogue constructif qui ne remette pas en cause la Constitution », ce qui vous exclut…

Abdoulaye Miskine :
On ne peut pas l’obliger à discuter avec nous. Mais nous allons continuer la lutte et à un moment, il devra décider de discuter ou non.

Afrik : La FIDH accuse les rebelles d’avoir commis des exactions contre les populations civiles et de se payer sur elles…

Abdoulaye Miskine :
Quand les gens de François Bozizé savent que nous nous trouvons dans une région donnée, ils demandent aux populations « où sont les rebelles ». Ce sont eux qui commencent alors à tirer sur les gens. C’est le gouvernement qui a commis des vexations contre elles, pas les rebelles. Nous avons les preuves de cela. La ville de Markounda est d’ailleurs réputée proche de Patassé… 122 personnes ont été tuées à Paoua. Nous demandons des enquêtes indépendantes.

Afrik : Vous niez toute accusation de violences commises par les forces rebelles contre des populations civiles ?

Abdoulaye Miskine :
Je ne peux nier toutes les accusations. Mais je demande une enquête afin que les choses soient éclaircies.

Afrik : Cela signifie-t-il que des « dérapages » ont pu avoir lieu de la part de rebelles incontrôlés ?

Abdoulaye Miskine :
Justement. Je demande donc que l’on éclaircisse les événements avec une enquête.

Afrik : Cela pourrait être interprété comme un manque d’autorité…

Abdoulaye Miskine :
Je suis « un » pour nous tous. Parmi les troupes, il peut y avoir des éléments incontrôlés.

Afrik : Vous est-il arrivé de punir des éléments de vos troupes ? A quelle peine maximale ?

Abdoulaye Miskine :
Mais cela est arrivé plusieurs fois. Jusqu’à la peine de mort. Tous mes soldats me craignent pour cela.

Afrik : Et en ce qui concerne les violences perpétrées dans la guerre qui a porté François bozizé au pouvoir, en mars 2003 ?

Abdoulaye Miskine :
S’il est question des affrontements de 2001 à 2002, j’ai poursuivi François Bozizé de Bangui à la frontière tchadienne en tant qu’officier de l’armée centrafricaine. Quant aux violences qui ont éclaté lors du coup d’état de Bozizé en 2003, j’étais alors en exil au Togo, comme il aurait lui-même dû être à Paris.

Afrik : François Bozizé accuse la rébellion d’être soutenue par le Soudan. Que lui répondez-vous ?

Abdoulaye Miskine :
J’ai déjà dit que depuis près d’un an où j’ai quitté mon exil au Togo, à l’appel des forces armées centrafricaines, qui en avaient assez de Bozizé, je n’ai jamais quitté le sol centrafricain ou tchadien.

Afrik : Comment la rébellion est-elle financée ?

Abdoulaye Miskine :
Quand Bozizé a pris le pouvoir, mes hommes ont caché des armes et des véhicules en brousse et en ont parfois pris d’autres à l’ennemi. Lorsque je suis arrivé, j’avais déjà des moyens sur moi et nous avons essayé de vivre avec.

Afrik : Ange Félix Patassé n’est pas lié à la rébellion, selon son représentant, Me Lin Banoukepa. Mais l’ancien président entre-t-il dans les plans de l’UFDR ?

Abdoulaye Miskine :
La rébellion ne le concerne pas, ni de près, ni de loin. Il nous a dit qu’il était fatigué et nous savons qu’il l’est. Dans le cadre de notre lutte, nous trouverons un jeune pour le mettre au pouvoir.

Droits photo : Alwihda.com

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