La rébellion qui sévit au nord de la Centrafrique est « tout à fait légitime » mais le président Ange Félix Patassé n’y est en rien impliqué, selon Lin Banoukepa, le représentant du chef de l’Etat déchu. Lundi, l’armée française a permis aux troupes régulières centrafricaines de reprendre l’aérodrome de Birao. Lin Banoukepa, également président de la fédération du MLPC à l’étranger, dénonce l' »ingérence » française dans un conflit « entre Centrafricains ». Interview.
En quelques mois, les coupeurs de route qui commettaient des violences au nord de la Centrafrique se sont transformés auprès de l’opinion en une rébellion armée qui vient de prendre plusieurs villes. Lundi, l’armée française, renforcée de 100 hommes (ils sont désormais 300) depuis une semaine, a permis à son homologue centrafricaine de reprendre l’aérodrome de Birao, une ville sous contrôle rebelle. Elle a même été amenée à ouvrir le feu, selon elle, en état de « légitime défense ». Me Lin Banoukepa, avocat et représentant du président déchu Ange Félix Patassé, dénonce « une ingérence » dans un conflit « entre Centrafricains ». Au président de la FIDH (Fédération internationale des ligues des droits de l’homme), l’avocat sénégalais Sidiki Kaba, qui en appelait sur Afrik à la Cour pénale internationale (CPI) de la Haye contre Ange Félix Patassé, il répond que François Bozizé est le premier Centrafricain qu’il faudrait traduire devant la justice. Egalement président de la Fédération du MLPC (Mouvement de libération du peuple centrafricain ) en Amériques, Asie, Europe et Moyen-Orient, Lin Banoukepa nie toute implication d’Ange Félix Patassé dans la rébellion mais la légitime.
Afrik : Le président Patassé a-t-il un lien avec la rébellion qui sévit au nord de la Centrafrique ?
Lin Banoukepa : Le président Patassé est le président du MLPC, un parti légal, reconnu en Centrafrique et qui dispose dans son statut d’une point précisant que le pouvoir ne se conquière que par la voie des urnes. Nous restons attachés au légalisme et ne pouvons empêcher des hommes se revendiquant du MLPC de rejoindre la rébellion au nord. Mais Patassé n’est ni de près ni de loin impliqué dans la rébellion. Les rebelles au nord du pays sont des Centrafricains. Des jeunes Centrafricains que Bozizé a initié à la désobéissance civile et à l’usage des armes pour communiquer. Il a été peu reconnaissant avec eux lorsqu’ils l’ont porté au pouvoir et ils ont eu à reprendre les armes contre lui.
Afrik : Souhaite-t-il rentrer en Centrafrique, depuis Lomé, où il a pris ses quartiers ?
Lin Banoukepa : Le président Patassé a été réélu en juin 2004 à la tête du MLPC. Il brûle d’envie de rentrer dans son pays, de répondre à la justice si le peuple le met en cause. Pour moi, il est le président en exercice de la Centrafrique. La Constitution de 1995 refuse la reconnaissance à tout individu qui prend le pouvoir par les armes. Bozizé n’a pas de fondement légitime. Il n’existe que par les armes.
Afrik : La République de Centrafrique et la FIDH ont demandé à la CPI d’ouvrir une enquête sur les violations des droits de l’homme qu’Ange Félix Patassé aurait commises, notamment en 2003…
Lin Banoukepa : Le président ne peut être mis en examen ni par la Cour criminelle de Bangui, comme cela a été fait, ni par la CPI. Il faudrait pour cela déterminer qu’il a été l’initiateur des actes ayant entraîné des crimes de sang, des crimes économiques… Sous couvert de son pouvoir régalien de président de la République, il était en droit d’en appeler à toute force pouvant permettre la protection de la population. Il a eu recours à la France, qui a refusé, à la Cemac, qui est intervenue selon ses possibilités, et à la Libye.
Afrik : La FIDH vise le président Patassé en fonction du soutien qu’il a reçu de la part d’Abdoulaye Miskine et Jean-Pierre bemba, deux chefs de guerre qu’elle souhaite aussi voir jugés…
Lin Banoukepa : Patassé, en toute légitimité, a appelé Bemba non pas pour détruire la Centrafrique, mais pour la protéger de Bozizé. On lui reproche aujourd’hui d’avoir protégé les biens de la Centrafrique au détriment des putschistes. On se plaint du recours à Miskine, mais Miskine est un Centrafricain, non un Tchadien. Il vient de prendre Birao et il était militaire au moment des faits. Bozizé est arrivé avec le soutien de plus de 2 500 Zaghawas, mis à sa disposition par Idriss Déby, pour tuer et réduire à néant tout le tissu économique dans le nord.
Afrik : Durant les mois qui ont précédé la prise de pouvoir de Bozizé, des violences commises par les troupes de Bemba et Miskine sur les populations ont pourtant été signalées…
Lin Banoukepa : Le président Patassé n’a pas demandé l’aide de Bemba et de ses hommes pour violenter le peuple centrafricain. Il n’avait aucun intérêt à déstructurer l’ordre social. A l’inverse de Bozizé qui avait intérêt à semer la désolation pour déstabiliser le régime. Le premier défaut de Patassé était l’absence de communication qui caractérisait son régime. Une absence de restitution de la réalité des faits sur le terrain. Bozizé a vite su qu’il prendrait le pouvoir en s’attachant la sympathie des intellectuels centrafricains, comme Karim Mekasoa ou Me Tchangin. Il s’est attaché les services des cadres centrafricains en mal de communication qui s’en sont donné à cœur joie. Ils ont emporté la voix de l’Europe… Depuis trois ans, il n’y a pas eu un début de commencement de remise en cause du pouvoir de Bozizé. Par ailleurs, s’il pense dire que Patassé a mal gouverné, qu’il a été un tyran, il faut lui rappeler qu’il a été son premier conseillé. Quelle a été sa responsabilité en matière de conseil ? Et de ceux qui sont aujourd’hui autour de lui ? Ne sont-ils pas des sujets potentiels devant la Cour criminelle ?
Afrik : Cela signifie-t-il que vous seriez d’accord pour l’ouverture d’une enquête par la CPI ?
Lin Banoukepa : Je suis d’accord. Maintenant, le premier Centrafricain à traduire devant la justice est Bozizé.
Afrik : L’armée française a permis lundi à l’armée régulière centrafricaine de reprendre l’aérodrome de Birao. Que pensez-vous de son intervention dans le conflit ?
Lin Banoukepa : Ce qui se passe en Centrafrique est une ingérence dans un contentieux qui oppose des Centrafricains à des Centrafricains. Les moyens utilisés, armes, munitions, sont pris sur le territoire national. Ce n’est pas une force étrangère en provenance du Soudan, comme le dit Bozizé. Les médias rapportent la prise par les rebelles de quatre villes au nord mais ils oublient Moungouba, au sud, et plusieurs villes au nord… Toute cette zone est tenue par les rebelles, des militaires et des civils qui contestent le régime de Bozizé. En politique, les Etats n’ont pas d’amis mais des intérêts. Mais le fait pour la France de venir en aide à Bozizé ne préservera pas ses intérêts, auprès d’une jeunesse qui ne dispose pas de système de santé, d’enseignement, de travail… Le rôle de la France devrait être un rôle de conseil, de facilitateur de dialogue, pas de renforcement de l’armée.
Afrik : Insister comme vous le faites sur la nature centrafricaine de la rébellion signifie-t-il que vous la légitimez ?
Lin Banoukepa : Elle est tout à fait légitime. C’est une rébellion pour chasser Bozizé et ramener des civils au pouvoir. Leur première démarche a été le dialogue mais Bozizé l’a refusé. Il a dissous la douane, il traite les militaires de paresseux… l’armée ne peut dans ces conditions que rejoindre la rébellion. C’est important que la rébellion soit centrafricaine, car nous allons porter plainte contre les Bongo et Sassou, qui sont en train de mener une opération punitive pour maintenir Bozizé au pouvoir.
Afrik : L’opposition politique, réunie au sein de l’Union des forces vives de la Nation, a lancé un appel au dialogue en Centrafrique le 21 novembre dernier. Y participeriez-vous ?
Lin Banoukepa : J’ai moi-même ouvertement demandé le dialogue. L’absence de dialogue est la cause même de la rébellion aujourd’hui. Le dialogue qui a eu lieu en 2004, à Bangui, s’est tenu sans nous, les fidèles du MLPC. En 2005, Bozizé a interdit à Patassé d’être candidat à la présidentielle alors qu’il a été nommé par le parti. C’est la même chose qui se passe avec les rebelles qu’il a ramené avec lui. Il ne veut pas les écouter et il retourne aujourd’hui d’autres militaires contre eux.
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