Le projet d’Addax Bioenergy soulève de nouveau la question sensible de la culture d’agrocarburants en Afrique. La filiale du groupe suisse Addax et Oryx a prévu de louer 57 000 hectares de terrain en Sierra Leone abritant 13 000 personnes pour une période de 50 ans. Sécurité foncière et alimentaire versus développement énergétique, la polémique est (r)ouverte.
Développer de l’énergie verte, du biocarburant, lorsque des terres cultivables sont impliquées est devenue une question sensible sur le continent africain. Addax Bioenergy, une filiale de la compagnie suisse d’Addax et Oryx projette de cultiver de la canne à sucre en vue de produire de l’éthanol et du biocarburant en Sierra Leone. La société a signé le 17 juin un contrat de 258 millions d’euros (368 millions de dollars) avec sept banques de développement européennes et africaines.
Cependant, le projet fait polémique. En effet, Addax et Oryx a prévu de louer 57 000 hectares de terrains abritant 13 000 personnes pour une période de 50 ans à Makeni, dans le nord du pays. Des organisations locales s’opposent à cette décision, d’autant plus que seul 10 000 hectares seront véritablement utilisées pour la culture de canne à sucre. Le Réseau pour le droit à l’alimentation a estimé dans un rapport publié le 15 juin que « beaucoup de paysans » ne pourront plus accéder à « leurs terres fertiles ». L’association affirme qu’Addax leur a fournis des terres de remplacement au rendement plus faible, ce qui accroît l’insécurité alimentaire dans la région.
Sécurité foncière et alimentaire menacés
Le groupe a expliqué que l’acquisition des terres s’est faite en accord avec les chefs locaux. Mais l’association Suisse Pain pour le prochain (Bread for All) dirigée par Beat Dietschy, s’est dite «choquée» que les propriétaires « aient donné leur accord à Addax sur la base de promesses verbales qui n’ont pas encore été réalisées ». La compagnie aurait, selon certains habitants de Makeni, promis de construire des bâtiments publics, rapporte l’AFP. Addax Bioenergy a rejeté ces accusations.
Les questions foncières et alimentaires sont au cœur des débats autour du choix des biocarburants comme alternatives aux énergies fossiles. Dans son communiqué, le groupe suisse a mentionné que le projet, qui se concrétisera en 2013, comprend des mesures pour assurer la sécurité alimentaire et le développement socio-économique de la région. Il prévoit de créer 2 000 emplois supplémentaires. Au final, 20% de l’énergie qui sera produite sera destinée à un usage domestique, le reste sera exporté.
Utiliser des terres agricoles pour produire de l’énergie consommée majoritairement par les pays développés a fait dire le 27 juin dernier, à l’ancien secrétaire des Nations Unies, Koffi Annan qu’ « il n’est ni juste, ni soutenable que des terres agricoles soient ainsi mises à l’écart des communautés locales, et que des denrées alimentaires soit exportées quand la famine guette à chaque pas de porte. Les populations ne supporteront pas ces abus, et nous ne le devrions pas non plus ».
3,2 millions d’hectares en Afrique subsaharienne pour la production de biocarburants
Un rapport d’Oakland Institute publié le 7 juin dernier affirme que l’acquisition de terres africaines par des fonds d’investissements, qui ne se fait pas toujours toujours dans le strict respect de la loi, exclut des milliers de petits paysans de leurs terres. Elle favorise la spéculation sur les prix des matières agricoles, toujours d’après le rapport. Conséquence : les risques d’émeutes de la faim au niveau mondial vont augmenter. En outre, les retombées économiques sur les populations locales ne sont pas nécessairement au rendez-vous, notamment en matière d’emplois et de salaires, affirme l’institut.
Une enquête publiée par The Guardian le 31 mai indique que 3,2 millions d’hectares de terres en Afrique subsaharienne, recensés par le quotidien, sont destinés à la production de biocarburant. Plus de la moitié sont « liés à onze sociétés britanniques », toujours selon le journal. The Guardian affirme avoir repéré 100 projets de production de biocarburants dans une vingtaine de pays du continent. Les projets seraient le fait d’une cinquantaine d’entreprises étrangères et le groupe anglais Crest Global Green Energy, la plus importante de ces entreprises, selon The Guardian, détiendrait 900 000 hectares au Mali, en Guinée et au Sénégal.