Amadou Toumani Touré, dit ATT, est l’un des grands favoris de l’élection présidentielle de dimanche au Mali. Après s’être retiré de la vie politique malienne il y a dix ans, il y revient en force et en pleine forme.
Rencontre entre deux meetings.
De notre envoyée spéciale à Bamako
Amadou Toumani Touré sort d’un bain de foule mouvementé. Sa caravane est partie à 10 heures ce matin de son quartier général pour sillonner une dernière fois Bamako, avant la clôture de la campagne électorale, ce soir à minuit. A son passage, les femmes se pâment, drapées dans des pagnes à l’effigie de l’ex-général, les adolescentes ont le regard brillant lorsqu’elles parlent d’ATT et les hommes sont survoltés, hurlant et scandant le nom de leur candidat. L’ambiance est chaude, mais ATT garde la tête froide. Retour sur un programme.
Afrik.com : Vous avez été accueilli dans tout le pays par des démonstrations de joie populaire. Quel bilan tirez-vous de cette campagne?
ATT : J’avais besoin, comme les autres candidats, de ce contact physique avec la population. Du nord au sud, je n’ai pas ménagé mes efforts, avec mon équipe, pour aller à la rencontre des gens. Par le train, nous nous arrêtions dans chaque gare, en automobile, nous faisions halte dans chaque village. Les Maliens avaient juste envie d’une poignée de main. Ils n’attendaient pas de grands discours. C’est comme s’ils avaient déjà fait leur choix.
Afrik.com : Vous vous êtes retiré de la vie politique malienne il y a dix ans, pourquoi vous êtes-vous porté candidat en 2002 ?
ATT : En 1991, j’étais soldat. Je ne me suis donc pas senti impliqué dans la vie politique du pays. En tant que chef d’Etat, j’avais une mission, que j’ai menée à bien : la mise en place des institutions de la troisième République et d’élections libres et transparentes. Aujourd’hui, j’ai quitté l’armée, acquis une expérience dans la médiation internationale en travaillant pour l’Onu ou l’OUA et je pense que le fait que le Mali compte 87 partis politiques n’est pas un signe de
vitalité. Au contraire. Il y a un manque de cohésion politique que j’aimerais combler. Le Mali a besoin d’une démocratie apaisée, plus ouverte, plus participative. Le défi du développement ne peut être relevé que grâce à une synergie entre les partis politiques. Il faut un rassemblement. C’est pourquoi ma candidature est non-partisane.
Afrik.com : Quels sont les grands thèmes de votre programme politique ?
ATT : J’en ai 16, mais ma priorité est l’emploi massif des jeunes. Je pense que la bombe sociale qui peut exploser à la figure des dirigeants africains, c’est ce nombre incalculable de jeunes diplômés sans emploi ou de jeunes sans qualification. Je souhaite revitaliser l’école malienne qui connaît une crise endémique depuis trop longtemps. Ce qui permettra de mieux
préparer la jeunesse. J’ai insisté également sur l’amélioration du pouvoir d’achat et le bien-être du Malien, avec un meilleur accès à l’éducation et aux soins (développement des établissements publics, des postes de santé communautaires et villageois, promotion des médicaments traditionnels),sur la place des femmes, qui ont acquis de nombreux droits depuis l’indépendance, et sur le développement humain et social.
Afrik.com : Sur le plan économique ?
ATT : Pour un développement durable plus équilibré, je préconise moins d’Etat et plus de privé. Nous devons prendre des mesures incitatives en matière d’investissements et de douanes par exemple et développer nos deux filières principales, l’or et le coton. Le désenclavement est l’une de nos préoccupations majeures. Le Mali est un pays très vaste et très aride et le développement du pays ne se fera pas sans voies de communication (routes,voies ferrées.).
Afrik.com : Et à l’étranger ?
ATT : Je souhaite une diplomatie plus engagée, plus dynamique, tournée vers le développement et donc vers la coopération. Je suis africaniste. Je crois au Nepad, je crois à l’Union africaine. Dans la Constitution malienne il est d’ailleurs spécifié que le pays peut renoncer à une partie de son intégrité au profit de l’unité africaine. Quant aux Maliens de
l’extérieur, ils méritent toute notre attention. Un cinquième de l’électorat se trouve hors du Mali. Nous devons nous assurer qu’eux et leurs biens sont en sécurité dans leur pays d’accueil puis les inciter à investir au Mali. Il faut faire appel à l’élite malienne de l’étranger pour qu’elle s’implique ici dans les universités et les écoles.
Afrik.com : Quel jugement portez-vous sur la décennie Konaré ?
ATT : J’ai conservé tout au long de ces 10 ans d’excellentes relations avec le président Konaré, ce qui n’est pas courant entre un ancien président et son successeur ! Je ne porterai donc aucun jugement sur le plan politique, je laisse ça à d’autres candidats, plus enclins à critiquer ! Il a donné du Mali une excellente image à l’extérieur et c’est important. Je note
juste deux points d’ombre : la situation catastrophique de l’école, qu’Alpha Oumar Konaré a reconnue avec courage, et la fraude et la corruption. Mais là encore, le président a demandé un audit de la Banque mondiale sur le sujet et a osé publier les résultats, pourtant très mauvais. A la suite de quoi, il a commencé à poursuivre les fraudeurs.
Afrik.com : Que préconisez-vous pour combattre la fraude ?
ATT : Il faut aller plus loin et changer de méthode. Je souhaite un système comme au Canada où la Vérification nationale est une institution indépendante, qui a un mandat de 5 ans et peut enquêter dans les plus hautes sphères de l’Etat. Elle peut rendre publics les résultats et saisir
la justice. Mais je crois que le plus important est de montrer l’exemple. Sans l’intégrité, la probité et l’exemplarité des dirigeants, on ne peut pas lutter contre la corruption et la fraude.