Les aventures de vrais bronzés au ski. C’est ce que propose La Première étoile, le premier film de Lucien Jean-Baptiste, en salle ce mercredi. Entretien avec le cinéaste qui donne chair et vie, dans le cinéma français, à une comédie pionnière en noir et blanc, aussi profonde que légère.
Jean-Gabriel, marié et père de trois enfants, décide d’aller skier. Idée saugrenue à plus d’un titre car il n’en a pas les moyens et des Noirs au ski, ça ne se voit pas très souvent. C’est une aventure poudrée qui commence alors pour la petite famille, notamment pour Bonne maman, la mère de Jean-Gabriel, interprétée par la tonique Firmine Richard. La Première étoile, le premier film de Lucien Jean-Baptiste, qui tient également le premier rôle masculin, est un prétexte pour évoquer le racisme latent dont son victimes les Noirs et un clin d’œil appuyé à la mère antillaise dans toute sa splendeur. Mais c’est surtout le récit des efforts d’un père qui tente, pour sa famille, d’être justement la figure paternelle qu’il n’a pas connue. Pour son premier long métrage, Lucien Jean-Baptiste a réalisé une belle comédie, à la fois singulière et universelle, servie par des personnages attachants portés par un joli casting. La Première étoile n’est pas un film novateur dans le cinéma français parce qu’il fait la part belle à des personnages noirs, mais parce qu’en les mettant en avant, il raconte avant tout une histoire qui fait écho.
Afrik.com : Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire ce film sur les pérégrinations d’une famille de Noirs au ski ?
Lucien Jean-Baptiste : C’est un souvenir d’enfant. Dans les années 80, ma mère n’avait pas beaucoup d’argent, mais elle voulait poursuivre « ce travail d’intégration » qu’elle avait commencé depuis notre arrivée des Antilles (de la Martinique, ndlr). Les autres enfants partaient au ski et elle s’est dit que les siens partiraient aussi à la neige. La situation devenait drôle parce qu’on n’avait pas d’argent, c’était l’école de la débrouille. Vingt ans après, je me demandais si ce Mont Blanc n’était finalement pas un monde blanc, s’il n’y avait pas un parallèle, une histoire à raconter. Jusqu’au jour où j’ai rencontré la productrice du film, Marion-Castille Mention-Shaar, sur le tournage d’Emmenez-moi. Je lui ai raconté cette histoire et elle m’a dit que cela pouvait faire un film. Nous nous sommes mis à écrire le scénario. Cette histoire est un hommage à ma mère et une façon de parler de l’absence du père. Il était temps de faire cette expérience chimique au cinéma : prendre un père noir, le plonger dans cette solution blanche qu’est la neige et montrer comment il se débrouille avec sa famille, face à ses responsabilités.
Bio express
Lucien Jean-Baptiste, 44 ans, a rendez-vous avec la comédie très tôt. Entre huit et neuf ans, sa mère l’inscrit dans une agence de casting où il participe à de nombreux spots destinés à l’Afrique, réalisés à Paris. « Après, dit-il, la banlieue a broyé tous mes rêves. (…) A l’époque, il n’y avait pas de Jamel Debbouze, d’Omar Sy… Il y avait vraiment peu de Noirs dans la comédie. On n’avait pas de modèles qui auraient pu nous encourager à suivre cette voie.» Lucien Jean-Baptiste opte alors pour la publicité, un secteur dans lequel il opère durant une dizaine d’années en créant sa propre structure. Elle est spécialisée dans la conception de produits dérivés pour les artistes. Michel Jonasz, qui fait partie du casting de La Première étoile, est le premier à s’assurer les services de la jeune entreprise. Puis à 31 ans, Lucien Jean-Baptiste décide enfin de « vivre ses rêves ». Il abandonne tout et s’inscrit au Cours Florent pour faire l’apprentissage de la comédie, sa passion depuis douze ans maintenant. Après une première et brillante réalisation, l’acteur Lucien Jean-Baptise n’a qu’une hâte : jouer de nouveau. La parenthèse nécessaire, conclut-il, pour « laisser naître une nouvelle histoire qui me concerne et qui concernera peut-être ceux qui ont la même couleur de peau que moi. » |
Afrik.com : Vous parlez de racisme, de cette confusion qui s’opère souvent entre les Antillais et les immigrés africains alors que les premiers sont Français. Vous interrogez sur la place des Antillais dans la société française et en cela votre film rejoint une certaine actualité ?
Lucien Jean-Baptiste : Dans ma vie d’homme, je me suis retrouvé face à cette problématique. Comment trouver sa place dans cette société ? Je n’ai mis dans mes dialogues que des choses que j’ai entendues ou vécues. Depuis que je suis petit – je suis arrivé à Paris à l’âge de trois ans -, on me demande de quel pays d’Afrique je suis originaire. Je n’en veux à personne parce que, pour beaucoup de gens, Noirs = Afrique. Au final, nous étions particulièrement déséquilibrés dans la mesure où nous connaissions à peine les Antilles. La plupart des jeunes, quand on leur demande d’où ils viennent, ils répondent : De Créteil, de Saint-Denis, des Lilas ou d’Alsace comme Abd Al Malik. Maintenant, il va falloir que la France prenne conscience de ça, du fait qu’il y a des couleurs supplémentaires dans son drapeau.
Afrik.com : Firmine Richard dans le rôle de Bonne maman, votre mère, c’était une évidence ?
Lucien Jean-Baptiste : Pour faire un film, il faut des gens connus : Firmine Richard l’est. J’ai eu la chance de la rencontrer avant au théâtre et je la voyais déjà à la télé. Elle a cette authenticité de femme antillaise en elle.
Afrik.com : A travers elle, vous évoquez la préséance de la figure maternelle dans la société antillaise qui écrase presque l’homme ?
Lucien Jean-Baptiste : Chez nous, ce ne sont pas des patries, ce sont des « matries ». L’homme a perdu de sa force et on dit que ça remonte à l’esclavage. Dans l’histoire, le père bouge aussi souvent. Il part pour aller trouver du travail, est ensuite rejoint par sa famille, s’il ne fait pas de rencontre entre-temps. Les familles ont été souvent déconstruites. Les femmes ont toujours pris les choses en main et leur rôle s’est renforcé avec le chômage des hommes qui ne sont pas toujours prêts à prendre la pelle et la pioche pour subsister. Il y a des intellectuels africains ou antillais qui sont dans ce cas et qui finissent dans l’errance. Mon personnage, Jean-Gabriel, finit par le faire parce qu’il a une famille a nourrir, mais il garde ses rêves.
Afrik.com : Vous parlez d’individus, certes avec des réalités particulières, mais qui n’en restent pas moins des êtres humains. Les Noirs, du moins les comédiens, doivent-ils raconter leurs histoires pour exister dans le cinéma français : votre film est à la fois un exemple et un contre-exemple ?
Lucien Jean-Baptiste : Je n’ai pas cherché à écrire une histoire de Noirs. J’ai écrit mon histoire et il s’avère que je suis Noir. Je vois des films où les gens se sont trompés parce qu’ils ont voulu raconter justement un histoire de Noirs. Il faut tout simplement raconter Son histoire. C’est la raison pour laquelle il n’y a pas en vouloir au cinéma français. Tous ses acteurs travaillent avec leur imaginaire. Mais de temps en temps, il faut écouter les autres imaginaires. C’est pour cela que j’aime le cinéma américain, dans la mesure où il démontre qu’un comédien noir, peut avoir un premier rôle. Aujourd’hui en France, on n’imagine pas un Noir dans un premier rôle.
Afrik.com : La production de ce film s’est-elle avérée difficile ?
Lucien Jean-Baptiste : Mes producteurs m’ont suivi tout de suite. Il y avait deux fous sur Terre qui se sont dit : « Il est Noir, il est pas connu, il a jamais rien tourné, il veut mettre cinq Noirs dans les rôles principaux, on va le produire ». En France, on rencontre de temps en temps des gens qui sont volontaires. S’il n’y a pas ce type de volonté en face, on peut ramener le plus beau dossier, ça ne marchera pas. Il faut qu’il y ait une main tendue qui veut bien aller défendre le bébé avec vous. Et de votre côté, il faut être prêt à le développer. Autrement, ce n’est pas possible. Les femmes ont le droit de vote en France depuis 50 ans, on a fait des lois sur la parité, mais elles continuent d’être payées 30% de moins que les hommes. On peut légiférer tant qu’on veut, s’il n’y a pas de volonté, rien ne changera.
Afrik.com : Grâce à vous et à La Première étoile, les Noirs se laisseront peut-être tenter par le ski…
Lucien Jean-Baptiste : Il y a une organisation américaine dénommée National Brotherhood of Skiers qui milite et œuvre pour qu’il y ait des champions de ski noirs. Depuis 30 ans, ils organisent des manifestations dans les stations de ski afin de récolter des fonds pour sponsoriser de jeunes talents. Aujourd’hui, ce sont les stations qui font appel à la National Brotherhood of Skiers pour attirer les membres de la bourgeoisie hispanophone ou afro-américaine qui n’a pas l’habitude de fréquenter les pistes. J’aimerais que mon film donne ce genre d’idées, qui se répercutent, par exemple, dans le monde du travail où des entreprises donnent la chance à des talents de s’exprimer. Il faut qu’il y ait des Harry Roselmack qui donnent envie aux jeunes de devenir journalistes par exemple, de découvrir qu’ils peuvent devenir autre chose que musiciens ou footballeurs, même si je n’ai rien contre. Il faut ouvrir les imaginaires comme l’a fait M. Barack Obama.
La bande annonce
La Première étoile, un film de Lucien Jean-Baptiste,
avec Firmine Richard, Lucien Jean-Baptiste, Anne Consigny, Michel Jonasz, Bernadette Lafont, Edouard Montoute
Durée : 1h30
Sortie française : 25 mars 2009