La place Maurice Audin inaugurée à Paris


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Une place Maurice Audin, du nom de ce martyr de la guerre d’indépendance algérienne assassiné en 1957, par les parachutistes français, a été officiellement inaugurée ce mercredi dans la capitale française. Une action par laquelle le conseil de Paris devance la justice, qui considère toujours que le jeune mathématicien n’a pas été assassiné.

La place Maurice Audin compte parmi les plus populaires d’Alger. Elle se situe près de la Faculté centrale et de son célèbre tunnel, en plein centre de la capitale, où se rejoignent taxis et transports en commun. Cette place si stratégique, qui sonne tellement « français », célèbre la mémoire d’un jeune militant communiste de l’anticolonialisme, assassiné par des parachutistes français en pleine bataille d’Alger, en 1957, après avoir été torturé. Né en Tunisie en 1932, d’un père métropolitain et d’une mère « algérienne d’origine européenne », il est considéré en Algérie comme un martyr de la guerre d’indépendance. Au même titre que Didouche Mourad, Larbi Ben M’Hidi ou encore Zighout Youcef.

Côté français, quelques communes, telles Saint-Denis, Bures-sur-Yvette ou encore Eschirolles, ont honoré la mémoire du militant du Parti communiste algérien (PCA). Mais nulle rue ou place commémorative dans la capitale française. Jusqu’à ce mercredi, où le maire de Paris, Bertrand Delanoë, accompagné de l’épouse du défunt et de l’ambassadeur d’Algérie, a officiellement inauguré une « place Maurice Audin » dans le cinquième arrondissement.

« L’affaire Audin n’est pas morte »

Il faut dire que la justice, malgré les éléments troublants qui ont accompagné sa disparition et malgré les nouveaux éléments apparus depuis 1967, considère toujours que Maurice Audin a disparu après s’être évadé. Comme l’armée l’a toujours prétendu. Mais l’historien Pierre Vidal-Naquet, présent lors de l’inauguration, a tenu à clarifier les choses. Dès 1958, il avait déjà tenté de rétablir la vérité à travers un livre intitulé « L’Affaire Audin ». Mercredi, il a réaffirmé que « Maurice Audin a été assassiné le 21 juin, entre les mains des officiers paras qui l’ont arrêté le 11 ». En qualité d’historien, il a rappelé que cet événement s’était produit « en pleine bataille d’Alger », dans une situation de violence extrême. Mais, a-t-il précisé, « c’est justement en période de crise que se mesure le respect des Droits de l’Homme proclamés en 1789 ». Quarante-sept ans après les faits, les historiens ont fait leur travail. Mais la justice n’a toujours pas fait le sien. Car « la République », regrette Pierre Vidal Naquet, « n’a pas reconnu l’assassinat de Maurice Audin ».

Lorsqu’ils viennent chercher Maurice Audin à son domicile, le 11 juin 1957, les officiers français assurent à sa femme qu’elle le reverra bientôt. Pendant quatre jours, elle est séquestrée avec ses trois enfants dans son appartement, transformé en souricière. C’est ainsi qu’Henri Alleg, le directeur du quotidien interdit Alger Républicain, sera arrêté le 12 juin alors qu’il rendait visite à son ami. Les seules informations dont Josette Audin dispose alors sur son mari, rassurantes, lui proviennent de ses gardiens. Libre de ses mouvements le 15 juin au soir, elle ne parvient pas à obtenir des informations dignes de foi de la part des autorités. Le 25 juin, elle prend lecture d’un « rapport sur l’évasion du détenu Audin ». Elle n’y accorde aucun crédit, malgré les nombreuses confirmations des autorités militaires.

La plainte en homicide contre X qu’elle dépose auprès du doyen des juges d’instruction d’Alger n’obtiendra aucune suite. De même que celle qu’elle a déposée le 9 mai 2001, en France, six jours après la parution du livre du général tortionnaire Aussaresses. Quant au principal suspect, le lieutenant Charbonnier, il « a continué sa carrière dans l’armée. Il est même mort avec la légion d’Honneur… Je dis bien Honneur », s’indigne Pierre Vidal Naquet. Mais si « l’affaire s’est terminée sur un non-lieu, grâce à vous », ajoute l’historien en s’adressant à la foule, « l’affaire Audin n’est pas morte ».

« Un moment de force »

« C’est un moment d’émotion et un moment de force », a déclaré le maire de Paris à l’entame de son discours. L’émotion, palpable et évidente, et la force, indispensable pour mener à bien cette célébration, décidée le 20 octobre 2003 à l’initiative du Parti communiste français (PCF), encore inimaginable il y a quelques années. Une force qui est également celle de la vérité et de l’histoire sur l’appareil judiciaire, inopérant. Bertrand Delanoë renchérit lorsqu’il estime que cette inauguration « n’est pas une inauguration banale. Quarante-sept ans après », explique-t-il, « il y a des hommes et des femmes qui ne se résignent pas à l’oubli et au trucage de l’histoire ».

Le maire de Paris l’a bien compris, lui qui le 17 octobre 2001 a inauguré une plaque commémorative au pont Saint-Michel, à Paris, « à la mémoire des nombreux Algériens tués lors de la sanglante répression de la manifestation pacifique du 17 octobre 1961 ». Une affaire occultée pendant près de trente ans. Là encore, le Préfet de police en poste à l’époque, Maurice Papon, a échappé à toute poursuite judiciaire. Le 20 avril dernier, c’est également le maire socialiste de la capitale qui a inauguré une « place du 19 mars 1962 », date du cessez-le-feu officiel de la guerre d’Algérie. Une initiative qui avait été vue par certains comme une provocation. Quelques mois plus tôt, le Président de la République, Jacques Chirac, avait institué la date du 5 décembre « Journée nationale d’hommage aux morts pour la France des combats d’Afrique du nord ».

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