L’abolition de la peine de mort fait débat au Maroc depuis plusieurs années. Les tribunaux marocains continuent à prononcer des peines de mort* mais aucune exécution capitale n’a eu lieu dans le royaume depuis 1993. Depuis cette date le royaume observe un moratoire de fait. De même, le roi Mohamed VI a gracié à plusieurs reprises des condamnés à mort qui ont vu leur peine se transformer en peine à perpétuité.
Chaque année à l’approche de la journée mondiale contre la peine de mort, le débat reprend de plus belle. Mais chaque année le Maroc laisse la communauté internationale avec un sentiment de frustration car chaque année le pays parait tellement proche pour sauter le pas sans qu’il ait suffisamment de courage pour le faire. Les attentes de la communauté internationale peuvent également se comprendre car le Maroc est le seul pays arabo-musulman qui soit candidat pour l’abolition et qui représente par ailleurs la locomotive régionale en matière du respect du droit de l’homme.
En effet, l’abolition de la peine de mort au Maroc ne laissera sans doute pas indifférents les autres pays de la région, notamment la Tunisie dont le modèle est similaire à celui du Maroc. Les tunisiens qui étaient précurseurs en matière du droit de la femme auraient du mal à accepter une telle contradiction. En Algérie qui accuse beaucoup de retard en matière du respect du droit de l’homme, l’abolition de la peine de mort au Maroc permettrait éventuellement d’ouvrir enfin le débat, certainement pas par conviction mais tout simple parce que tout qui se passe au Maroc intéresse forcement ce pays.
Dans les pays du golf comme l’Arabie Saoudite où l’exécution publique au sabre représente encore une attraction populaire, il n’y a aucune chance pour que ce débat ne soit d’actualité un jour. Mais, la Jordanie regarderait sans doute avec attention l’expérience marocaine.
Par ailleurs, le Maroc a ratifié le Pacte International sur les Droits Civils et Politiques, la Convention sur les Droits de l’Enfant, la Convention contre la Torture et les traitements et punitions cruels, inhumains ou dégradants, et a signé le statut de la Cour Pénale Internationale (qui interdit le recours à la peine de mort). Cela signifie qu’en maintenant la peine de mort, le Maroc se retrouve dans l’illégalité par rapport à ses engagements internationaux.
Cette année la pression sur le Maroc pour qu’il abolisse la peine de mort est montée d’un cran. En effet, dans un communiqué l’Union Européenne vient d’appeler le Maroc à abolir la peine de mort en indiquant « qu’une telle décision serait la démonstration de valeurs partagées avec l’Union européenne qui constituent la base du développement de ses relations avec le Maroc, dans le cadre du statut avancé ». L’appel ne peut être plus clair et apporte de l’eau au moulin des abolitionnistes marocains, surtout lorsque l’on sait à quel point le Maroc est sensible aux recommandations de son premier partenaire.
Sur le plan interne, la persistance de la peine de mort représente une aberration juridique et une contradiction flagrante avec le discours officiel pourtant sur le respect du droit de l’homme, la réforme pénale et la réinsertion des détenus.
En 2005, le ministre marocain de la Justice tout en se prononçant en faveur de l’abolition, déclarait que la société marocaine n’était pas encore prête à franchir le pas. Il avait préconisé une abolition par étapes. Depuis cette date le paysage social marocain s’est métamorphosé et les marocains ont gagné en maturité. On assiste à l’émergence d’une classe moyenne, un recul significatif de l’alphabétisme et la consolidation de l’Etat de droit. Aujourd’hui la société marocaine est majoritairement acquise à l’abolition de la peine de mort. Cette adhésion n’est rien d’autre qu’une réponse naturelle à sa propre mutation.
La résistance en faveur du maintien de la peine du mort est jusqu’à présent orchestrée par les islamistes, notamment le Partie Justice et du Développement (PJD), qui surfaient sur une idée manifestement diffamatoire et outrageuse envers l’islam. Selon eux, la peine de mort serait en conformité avec les préceptes de l’Islam qui représente l’un des fondements de la législation marocaine. Curieusement, ces islamistes semblent être absents du débat public actuel sur le sujet. Connaissant le tapage médiatique que seuls les islamistes ont en le secret, cette absence pourrait être interprétée comme un revirement de position, ce qui signifie encore que tout report supplémentaire de l’abolition ne peut désormais être dû qu’à l’inertie et à l’autocensure des politiques.
Dans le passé, certains débats sur du sujets sensibles, comme la Moudawana (le nouveau de la code de la famille), ont pris plusieurs années avant que le roi décide d’y mettre fin. Avec la persistance de la peine de mort dans un contexte qui est favorable à son abolition, les marocains se retrouvent, encore une fois de plus, otages des politiques qui s’installent dans la stérilité du débat et qui se plaisent à se réduire en mineurs en attendant que le roi décide pour eux.
* L’article 16 du Code pénal marocain prévoit la peine de mort par fusillade pour l’homicide aggravé, la torture, le vol à main armée, l’incendie criminel, la trahison, la désertion, et enfin l’attentat à la vie du roi.