21 novembre : Le matin, des citoyens mécontents incendiaient des voitures, jetaient des pierres et saccageaient les bureaux du maire de Dakar, la capitale. L’après-midi, ils couraient à travers les fumées de gaz lacrymogène et tentaient, les bras devant le visage, de se protéger contre les coups de matraques en caoutchouc que leur assénaient les forces de police.
Le Sénégal, habituellement considéré comme un modèle de stabilité en Afrique de l’Ouest, n’avait pas connu d’émeutes aussi violentes depuis six ans. À l’origine de toutes ces manifestations, un seul et même problème : la pauvreté.
Le 21 novembre de jeunes vendeurs ambulants ont afflué dans le quartier marchand de Sandaga, en centre-ville, pour protester contre une mesure prise par le président sénégalais Abdoulaye Wade en vue de les chasser des rues animées de Dakar, et d’assurer ainsi un trafic plus fluide.
Depuis plusieurs mois, le gouvernement s’efforce de donner un nouveau souffle à Dakar, en construisant de nouvelles routes et de nouveaux hôtels, en vue du sommet de l’Organisation de la conférence islamique, que la ville se prépare à accueillir en mars prochain.
Chaque jour, des milliers de personnes, originaires du Sénégal ou des pays voisins, se bousculent sur les trottoirs de Dakar ; elles y vendent des objets d’art, des chaussures, du matériel électronique et tout ce qu’elles peuvent trouver d’autre, pour pouvoir joindre les deux bouts.
Le gouvernement estime à 100 milliards de francs CFA (226 millions de dollars) les pertes annuelles occasionnées par l’encombrement des rues.
« Nous ne sommes pas contre l’idée du Président, mais à condition qu’on nous laisse un espace pour installer nos étals et vendre nos objets », a expliqué Fallou Seck, délégué du collectif des marchands ambulants. « Nous sommes des citoyens et nous avons le droit de travailler ».
Selon la Banque mondiale, un Sénégalais sur trois vivrait dans la pauvreté. D’après les estimations, le taux de chômage s’élèverait à pas moins de 40 pour cent, et une grande majorité des emplois seraient informels.
Cri de ralliement
À la suite d’une rencontre organisée dans l’après-midi du 21 novembre entre le Premier ministre, le maire de Dakar et une délégation de marchands ambulants, les autorités sénégalaises ont déclaré que le gouvernement permettrait aux vendeurs de s’installer dans deux rues, les week-ends, et autoriserait un certain nombre d’entre eux à s’établir dans trois zones de la capitale, en obtenant au préalable un permis auprès du nouveau bureau créé à cet effet.
Mais l’annonce de cette décision est intervenue après que les émeutiers eurent barricadé les artères principales de la ville, incendiant des pneus et des tas d’ordures et jetant des pierres sur les devantures des boutiques dont les propriétaires avaient refusé de baisser leurs volets et de se joindre aux manifestants.
Les manifestants ont incendié des voitures et brisé des pare-brises, détruit des feux de signalisation et saccagé les bureaux du maire et les locaux de la Senelec, la société nationale d’électricité.
Les forces de police, armées de gaz lacrymogène, ont arrêté environ 200 personnes. Sur les ondes des radios privées, l’on faisait état de deux personnes grièvement blessées par balle.
« Si rien n’est fait, il y aura d’autres grandes manifestations », a prédit M. Galass, qui vend des jouets pour enfants. « Je n’ai pas peur d’aller en prison, parce que nous défendons notre droit au travail. Notre devise, c’est le travail […] Nos pauvres parents qui vivent à la campagne dépendent elles aussi de notre labeur ».
Prix élevés, salaires faibles
Le même jour, les membres des 18 syndicats sénégalais sont descendus dans la rue dans le cadre d’une manifestation préalablement prévue et autorisée pour protester contre le coût élevé de la vie. À la suite des émeutes de la matinée, les autorités locales ont néanmoins interdit le rassemblement à la dernière minute.
Les manifestants, pacifiques pour la plupart, ont malgré tout été accueillis par les gaz lacrymogènes, les coups de semonce et les matraques en caoutchouc des forces de police, qui cherchaient à disperser la foule rassemblée le long de l’avenue du général de Gaulle, une des artères principales de la ville.
« Les prix des denrées de base ont atteint des niveaux incompréhensibles », a déclaré à IRIN Mademba Sock, coordinateur du Front unitaire des centrales syndicales – qui représente 14 syndicats sénégalais – en allusion à la hausse du prix du riz, du sucre, du lait et du pain.
Les représentants des syndicats ont exigé une réduction du prix des denrées alimentaires et du logement, une hausse des salaires et un soutien pour les commerces en difficulté.
Certains des manifestants étaient des professeurs, venus se plaindre des promesses creuses du gouvernement, d’autres étaient des fonctionnaires licenciés sans rémunération, d’autres enfin étaient des citoyens moyens qui n’avaient tout simplement pas les moyens de nourrir leurs familles.
« Les Sénégalais ne font pas trois repas par jour », a indiqué Fatou Samba, ancien professeur. « Le Président dépense des millions de dollars par-ci, par-là tandis que son peuple souffre et meurt de faim ».
« Cela fait un an que je n’ai pas payé mon loyer », a révélé à IRIN Yankhoda Sané – un blanchisseur qui gagne 10 000 francs CFA (23 dollars) par mois – alors qu’il manifestait au beau milieu de la foule.
Mécontentement populaire
Ces manifestations traduisaient le mécontentement croissant de la population vis-à-vis du parti au pouvoir, qui a annoncé récemment qu’il réduirait les salaires perçus par le président Wade et d’autres responsables haut placés au sein du gouvernement.
« Chez moi, nous sommes huit », a expliqué Cissé Sow, professeur. « Je paie l’eau, l’électricité, le téléphone, les frais médicaux et la nourriture. Avec un seul salaire […] Il y a 30 ou 40 personnes qui dépendent de moi ».
« Et à côté, les responsables au pouvoir sont tous au volant de voitures américaines de luxe », s’est plaint M. Sow.
Pour les jeunes qui participaient à la manifestation, la pauvreté est à l’origine de la fuite des milliers de Sénégalais qui risquent leur vie chaque année pour se rendre en Europe, à bord d’embarcations de fortune.
« Si autant de jeunes se rendent en Espagne, c’est parce qu’ici, la vie est trop chère », a estimé Samba Gaye, 26 ans, membre de l’association Halte à l’émigration clandestine des jeunes. « Les jeunes n’ont plus les moyens d’assurer leur propre subsistance ».
Au Sénégal, le taux d’inflation s’élevait à 5,6 pour cent au cours des 10 premiers mois de 2007, selon l’Agence nationale des statistiques et de la démographie.
Des manifestations plus modestes ont également eu lieu le 22 novembre au matin, dans le centre-ville de Dakar. La hausse du prix des denrées alimentaires a récemment provoqué des manifestations semblables en Mauritanie, qui ont fait un mort.