Le styliste camerounais Anggy Haïf est animé d’une rare force créatrice. Deuxième prix Jeunes créateurs au Festival international de la mode africaine en 2003, ses créations utilisent autant des matériaux naturels que des matières plus classiques. Mais son inspiration ne s’arrête pas là. Interview.
Totalement autodidacte, Anggy Haïf, jeune créateur de mode camerounais et bien plus encore, nous fait entrer dans son univers en nous parlant de son métier avec passion et amour. Il désire que les artistes africains soient mieux considérés. Rencontre avec un homme au talent multidimensionnel.
Afrik.com : Il y a un véritable travail de recherche dans vos créations. Quel est votre parti pris ?
Anggy Haïf : Je fais un travail de recherche sur le textile et les fibres naturelles telles que le raphia, l’écorce d’arbre, les lianes, la toile de coco ou la toile de rônier. J’essaye un peu d’utiliser tout ce qui existe comme matières naturelles afin d’apporter un plus à la mode africaine. J’utilise beaucoup de produits artisanaux. Pas mal de tisserands ou de perliers ne vivent pas encore de leur art. Depuis que j’utilise ce matériel, les artisans s’intéressent davantage à mes créations parce que la clientèle se confirme et parce qu’il a de plus en plus de commandes.
Vous n’utilisez que des matières naturelles ?
Non, je fais un alliage de textiles modernes et artisanaux pour apporter une touche personnelle et nouvelle à mon travail.
Vous avez plusieurs types de collections : urbaines, ethniques et branchées. De quoi s’agit-il précisément ?
Les collections ethniques ont été créées sous l’idée : « l’Afrique vous appelle ». Ce sont des collections qui fusionnent avec les cultures africaines par souci de vendre l’image de l’Afrique ou du matériel africain à une échelle nationale et internationale. Elles ont aussi pour but de convaincre les Africains que nous pouvons créer des vêtements aussi confortables et seyants que ceux produits pas les grands groupes mondiaux.
Quelle clientèle ciblez-vous en priorité ?
Je suis un créateur qui a plusieurs activités : je travaille déjà dans le septième art où je suis costumier. Je travaille un peu au théâtre pour certains artistes pour lesquels je conçois les collections et tenues de scènes. À côté de cela, j’ai une ligne de prêt-à-porter classique pour des gens qui, par exemple, travaillent dans des bureaux, des citoyens standard tout simplement.
J’ai une autre ligne de vêtements signée Lady, groupe qui participe à plusieurs concours de beauté. Au Cameroun, j’habille actuellement Miss Cameroun. J’habille la plupart des filles qui participent à des concours sur le plan international. D’ailleurs, tout récemment, j’ai habillé Miss Africa internationale. Je développe donc plusieurs lignes de vêtements pour satisfaire la clientèle et par rapport aux tendances.
Travaillez-vous en partenariat avec des stylistes européens, voire français ? Des projets vont-ils voir le jour ?
Pour l’instant, il n’y a pas encore de projets car je débute seulement dans le milieu. J’ai par ailleurs plusieurs ambitions car je devrais normalement organiser courant 2006, un festival au Cameroun (le Festival Racine) qui fait découvrir des jeunes créateurs de mode. Ce festival a lieu tous les deux ans. Lors de la dernière édition, on avait notamment invité des créateurs français.
Je veux instituer une alliance pour que les jeunes puissent se retrouver et pour que la mode change car l’Afrique en a besoin. Malheureusement, aujourd’hui on constate encore un large fossé entre la mode européenne et la mode africaine.
Vous considérez-vous comme un styliste africain ?
Je me revendique ni créateur africain, ni créateur international, mais simplement créateur universel. Tout le monde ne considère pas cet état de fait puisque lorsque j’ai été invité dernièrement à l’Institut Français de la Mode, on a dissocié les créateurs africains des créateurs français. On veut que l’on ne serve uniquement que la communauté africaine pour ne vendre qu’une identité africaine.
Nous souhaitons être respectés de la même manière que des Jean-Paul Gauthier ou des Paco Rabanne. Si on parvient à trouver cet équilibre, la création africaine aura sa place dans le gotha de la mode et nos collections deviendront universelles.
Vous avez gagné en 2003, le deuxième prix Jeune créateur au Festival international de la mode africaine (Fima). Allez-vous y participer cette année ?
Cette année, je vais encore y assister et ce sera grandiose, car le Fima est soutenu par l’Association Française des Actions Artistiques (AFAA, ndlr) du Ministère des Affaires Etrangères. Dix créateurs, dont un par pays sollicités, ont été sélectionnés et je représenterai donc le Cameroun.
Pour couronner le tout, les trois lauréats auront la chance de suivre des stages de formation chez les grands créateurs de la place parisienne. C’est Alphadi, un créateur qui fait beaucoup pour l’évolution de la mode africaine, qui est à l’initiative de ce Festival. C’est d’ailleurs grâce à lui que j’ai pu obtenir une bonne partie des contrats que j’ai signés jusqu’à présent.
Vous avez également une agence de mannequins au Cameroun, BMA…
J’ai mis sur pied l’Agence alors que je n’en étais encore qu’à mes débuts en création. Ce fût mon premier défi à relever. BMA est un institut qui comprend une centaine de mannequins seulement au Cameroun. Notre travail est aujourd’hui bien reconnu puisque nous apparaissons dans la plupart des publicités, et nos mannequins participent à presque tous les castings des grands défilés. Nous étions déjà au Fima en 2003.
Au-delà de la mode, vous avez une carrière d’artiste dans la musique. Les deux sont-elles liées ?
C’est grâce à la musique que je suis devenu créateur. Ma première collection de vêtements « Retour aux Sources » a été présentée lors de mon premier grand spectacle où j’ai eu la chance de faire la première partie d’une artiste camerounaise très connue Sally Nyolo, qui m’avait déjà remarqué. La collection était rythmée par des chansons que j’avais composées et que j’interprétais en live. La collection était faite en toile de coco. Les choses se sont enchaînées très rapidement puisque, dans la salle, un homme m’a accosté et proposé ensuite de présenter cette collection en défilé.
C’est ainsi que ma carrière dans la mode s’est lancée. Maintenant que j’ai pu franchir pas mal d’étapes, je consens à poursuivre dans la musique. C’est la raison pour laquelle je prépare un album qui doit sortir en février 2006. Cet album est pour moi comme une création de mode : il s’apparente à une fusion de styles.
Quels sont aujourd’hui vos rêves ?
J’ai un grand rêve, qui je l’espère deviendra réalité : tirer la mode Africaine vers le haut.
Par Cédric Reine