« La Nuit de la vérité » de Fanta Régina Nacro


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La nuit de la verite

Pari gagné pour Fanta Régina Nacro. La talentueuse et productive réalisatrice burkinabé livre un premier long-métrage de fiction très réussi, La Nuit de la vérité. Une réflexion tragique sur les conflits ethniques, sorte de « Guerre et paix » africain intense et dramatique. Le film, qui est un succès au Burkina depuis janvier dernier, vient de sortir en France.

La Nuit de la vérité est un film écrit à la mémoire d’un homme. Accusé d’avoir fomenté un coup d’Etat, il fut d’abord torturé et emprisonné. Une nuit, des hommes préparèrent un barbecue, l’attachèrent et le firent cuire à petit feu jusqu’au matin. À sept heures du matin, il mourait atrocement. Cet homme était mon oncle. » Ainsi parle la réalisatrice burkinabé Fanta Régina Nacro, pour expliquer ce qui l’a poussée à écrire le scénario puis à tourner son premier long-métrage, sorti le 6 juillet en France. « Mon oncle est mort quand j’avais 23 ans. Ce n’est pas le fait qu’il soit mort qui soit le plus choquant car c’était un militaire et son métier comportait des risques. Mais c’est la manière dont il est mort qui me tourmente encore. »

Ainsi, dans son film, la réalisatrice analyse les actes individuels et collectifs commis en temps de guerre. Elle explore la violence humaine, le sentiment de haine mais aussi de culpabilité et le désir de vengeance qui peut mener à la folie. La Nuit de la vérité est un drame qui se passe quelque part en Afrique… Pour mettre fin à dix ans d’une guerre civile sanglante entre les Nayaks, ethnie du Président, et les Bonandés, rebelles dirigés par le Colonel Théo, une grande fête de la réconciliation est organisée pour sceller les accords de paix. Mais les atrocités et les massacres commises par les uns et les autres hantent ces retrouvailles tendues. « Tant que leur sang n’est pas vengé, les morts s’attardent sur terre », révèle l’un des personnages…

De la Yougoslavie à la Côte d’Ivoire

On pense immédiatement à la crise ivoirienne mais la réalisatrice précise : « L’idée du scénario est née pendant le conflit en ex-Yougoslavie. J’ai réfléchi aux atrocités commises, au fait que des gens, hier voisins, s’entretuent aujourd’hui. L’histoire s’inspire de cette guerre, de celle du Liberia et du génocide rwandais. Elle ressemble à ce qui se passe en Côte d’Ivoire, pourtant j’ai commencé à l’écrire en 1999 ! ». Un scénario de fiction prophétique donc, avec un réalisme exacerbé dû à la présence de militaires qui jouent leurs propres rôles. « Nous avons eu huit semaines de tournage dont six dans un vrai camp militaire. Le colonel Théo, par exemple, a vraiment ce grade dans la vie. Cela nous a évité de former les acteurs à respirer, bouger, manger comme des soldats », explique Fanta Régina Nacro.

Ce premier long métrage est une réussite pour cette réalisatrice pleine de talent(s), qui a déjà 12 ans de carrière derrière elle et quelque 15 courts et moyens-métrages, largement primés à l’international. Mais ce film est aussi un tournant dans sa carrière, car elle s’attaque au genre de la tragédie après s’être fait connaître avec des scénarios plein d’humour. C’est aussi la première fois qu’elle s’attaque au thème de la guerre, elle qui a longuement filmé le sujet du sida et de la condition féminine en Afrique. Pour autant, on retrouve des traits communs à son travail : elle y prêche la tolérance avec un optimisme sous-jacent et fait une large place aux rôles féminins.

Succès au pays des hommes intègres

Le film est déjà un succès en Afrique. Il est sorti sur les écrans burkinabés dès le mois de janvier 2005. « Nous avons arrêté les projections pendant le Fespaco car il était en compétition. Il a d’ailleurs obtenu le Prix du scénario. Mais nous avons repris après parce qu’il y avait une forte demande ! » se réjouit la réalisatrice. « On avait peur car ce sont les films comiques qui marchent le mieux, mais, dès le premier jour, on a enregistré 3 000 entrées, et plus 25 000 en 10 jours. Certaines personnes ont été le voir plusieurs fois et le bouche à oreille a très bien fonctionné. Nous avons de grands réalisateurs au Burkina mais les films qui ont aussi bien marché au pays se comptent sur les doigts d’une seule main. Les partis politiques, celui du Président comme ceux de l’opposition, veulent même le projeter pendant leurs week-ends de campagne ! Ils pensent que ce genre de films peut éviter aux Burkinabés de vivre ce genre de crise et de guerre civile… »

Suite à sa sortie dans la capitale, Fanta Régina Nacro devrait bientôt organiser des projections numériques en province. Le film est également sorti en mai au Sénégal et en juin à Niamey, au Niger. Après la France, les autres sorties prévues sont l’Angleterre en août, le Mali et le Bénin à la rentrée.

La Nuit de la Vérité, de Fanta Régina Nacro, 1h40, sortie française le 6 juillet.

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