Tariq Ramadan, la nouvelle figure médiatique de l’islam en France


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Tariq Ramadan
Tariq Ramadan

Les médias français ne parlent que de lui. Ce qui, a priori, ne semble pas lui déplaire. Tariq Ramadan, le petit-fils de Hassan Al Bana, fondateur du mouvement des Frères musulmans, occupe le devant de la scène médiatique. Accusé d’antisémitisme, celui qui se décrit comme un progressiste n’a pas peur de la controverse et des joutes verbales.

Même si ses propos font polémique et suscitent l’indignation, c’est le genre de personnage controversé que les animateurs de télévision aiment avoir sur leurs plateaux. Il sera un des invités à faire face au ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, lors du «100 minutes pour convaincre» de France 2, jeudi. Excellent débatteur, beau parleur, même si sur le fond, notamment en matière de science religieuse il est loin d’être un spécialiste, il n’hésite pas à affronter ses contradicteurs.

Il adore la polémique, quand il ne la provoque pas, comme lorsqu’il dresse une liste d’intellectuels juifs qu’il accuse de partialité dans le conflit israélo-palestinien, de complaisance envers le gouvernement Sharon et de «communautarisme». Cette liste a déclenché une vive indignation dans les milieux intellectuel, médiatique et politique français. Il se défend d’être antisémite comme il se défend d’être un musulman radical.

Populaire chez les jeunes des banlieues

Tariq Ramadan a su cultiver le mal-être des jeunes de banlieues sur lesquels son influence est ravageuse en exploitant leurs aspirations à être reconnus en tant que citoyens français. S’il rejette le terme de citoyens «issus de l’immigration», il lui accole néanmoins celui de citoyens français musulmans. Une catégorisation contre une autre. Discours est bien rodé. «En France, il y a une révolution silencieuse. Pendant longtemps, on a parlé à la place des Arabes. Pendant longtemps, les Arabes, les musulmans ont été confinés dans des ghettos. Lorsqu’ils sortent des ghettos, on les accuse de communautarisme».

Il refuse le rôle de porte-parole de ces jeunes qu’on lui prête. Il préférerait peut-être représenter les jeunes cadres, ceux qui constituent la classe moyenne. Ses cassettes s’écoulent par centaines de milliers d’exemplaires. Ses conférences sont suivies par des milliers de jeunes. BCBG (bon chic bon genre), dans un excellent français, Tariq Ramadan se dit issu de «l’exil politique».

Accusé d’antisémitisme

Son père, adepte assidu de Hassan Al Bana, était interdit de séjour en Egypte, lui-même est né en Suisse et non de «l’exil économique». Avec beaucoup d’aplomb, il met au défi ceux qui l’accusent d’antisémitisme ou d’islamisme radical de lui en fournir la moindre preuve. Au Forum social européen (FSE) où il est intervenu vendredi matin à Ivry, sur le thème de «Religions, luttes sociales, altermondalisation», il a rejeté les accusations d’antisémitisme portées contre lui à la suite de la publication d’une tribune dans laquelle il mettait en cause «des intellectuels juifs français», parmi lesquels Alain Finkielkraut, André Glucksmann, Bernard-Henri Lévy ou Alexandre Adler, les accusant notamment de «développer des analyses de plus en plus orientées par un souci communautaire».

«Il y a un opprimé aujourd’hui, c’est le peuple palestinien», a-t-il proclamé. «Je me bats depuis des années pour dénoncer l’antisémitisme, et pour dénoncer l’amalgame où critiquer l’Etat d’Israël laisse entendre qu’on puisse critiquer les juifs». Une plainte a été déposée par l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) et l’association J’accuse pour «provocation à la haine raciale». La présence de Tariq Ramadan au FSE en tant qu’animateur de l’association Présence musulmane avait suscité, du reste, une vive controverse. Il se revendique d’un Islam d’ouverture et de tolérance.

« Je suis un musulman progressiste »

«Aux Etats-Unis, je passe pour un féministe», dit-il. «Oui je suis contre la polygamie si l’épouse s’y oppose». «Il faut respecter la femme qui veut porter le voile… Je respecte celles qui ne veulent pas le porter». Dans une interview au Parisien (vendredi 14 novembre), il affirme : «Cessons d’agiter le chiffon rouge sur la question du foulard ! Sur le plan du principe islamiste, on ne peut pas interdire le port du voile à quelqu’un qui le porte librement et en toute conscience. En France, on en fait un problème alors que cela n’en est pas un. L’affaire du foulard est curieusement ressortie du placard au moment où Nicolas Sarkozy a réussi ce que le Parti socialiste avait raté (la création du Conseil français du culte musulman, ndlr). Une loi ne fera pas cesser le communautarisme».

La lapidation des femmes adultères ? Il renvoie le problème à la lettre du texte sacré. Son frère Hani, directeur du centre islamique de Genève fondé par son père, l’avait justifiée dans une tribune dans Le Monde en 2002. «La lapidation des femmes ne doit jamais être appliquée», dit Tariq Ramadan mais il n’en rejette pas le principe, comme pour la polygamie. Il demande un moratoire sur l’application des «peines corporelles dans le monde musulman». Mais pas une suppression. Et il s’affirme comme un «musulman progressiste».

Interdit de séjour en France en 1995

Le travail des femmes ? «Je n’étais pas d’accord avec le Fis (Front islamique de salut) quand il voulait renvoyer les femmes au foyer pour laisser la place aux hommes». Sans préciser la nature des emplois ouverts aux femmes, les conditions d’exercice. Tariq Ramadan ne condamne pas explicitement les crimes des groupes terroristes du GIA (Groupe islamique armé). Il les renvoie «aux violences des généraux». S’il condamne les attentats du 11 septembre 2001, il ne condamne pas formellement Al Qaïda.

Au Parisien qui lui rappelle que son nom est cité dans plusieurs procédures terroristes liées à Al Qaïda, il répond : «J’ai toujours condamné le terrorisme. J’ai dénoncé le FIS dès 1988. Je suis un enfant de l’exil politique. À ce titre, je ne laisserai aucun Etat islamique exempt de mes critiques chaque fois que cela sera nécessaire. Je vais aux Etats-Unis une fois par mois. Je viens de faire une intervention devant le département d’Etat sur la question de l’Islam. S’il y avait eu le moindre soupçon sur moi, cela se saurait (il a été interdit de séjour en France en 1995 par Charles Pasqua, ndlr). Que ceux qui m’accusent viennent avec des preuves ! On veut me décrédibiliser car je suis une voix entendue dans toute l’Europe et aux Etats-Unis. Je sais que je dérange».

« Un intellectuel rusé »

Dans une tribune dans Le Monde, Bernard Henri Levy souligne : «Le vrai problème, c’est le type d’Islam que prône cet intellectuel rusé, champion toutes catégories du double langage, qui va, de plateau en plateau de télévision (…). Le vrai problème, la vraie urgence, c’est de montrer aux altermondialistes qui, de bonne foi sans doute, l’invitent à participer aux travaux du Forum social européen, l’autre face du personnage».

Par Nadjia Bouzeghrane pour notre partenaire El Watan

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