Après 30 ans de lutte, les Chagossiens, exilés à Maurice, viennent d’obtenir la nationalité britannique. La colonie anglaise des îles Chagos, en plein océan indien, avait été vidée de ses autochtones pour y installer des bases militaires. Interview d’Olivier Bancoult, leader du Groupe réfugiés des Chagos.
Les Chagossiens, anciens autochtones de la colonie anglaise des îles Chagos en plein coeur de l’océan indien, peuvent devenir, depuis le 21 mai dernier, des citoyens britanniques à part entière. Forcés de quitter leurs terres il y a 30 ans pour que la Grande Bretagne puisse y installer une base militaire américaine, les apatrides, réfugiés à Maurice, militaient pour recouvrir une réelle reconnaissance juridique. Artisan de la lutte juridique auprès des tribunaux anglais, Olivier Bancoult, leader du Groupe réfugiés des Chagos, savoure la victoire mais ne compte pas en rester là.
Afrik : Qui sont officiellement les Chagossiens ?
Olivier Bancoult : Ce sont des Mozambicains, des Malgaches, des Mauriciens qui, après l’esclavage, se sont installés les îles Chagos alors territoire mauricien. En 1814, l’archipel a été cédé par les Français aux Anglais qui, en 1965, ont détaché les Chagos des îles mauriciennes pour que les Américains puissent y installer une base militaire. Un lieu stratégique pour contrôler l’océan indien, l’Asie, et même les pays du golfe. Officiellement, jusqu’au 21 mai dernier nous étions des Mauriciens. Pour les Anglais nous n’étions pas considérés comme un peuple à part entière.
Afrik : Les Chagossiens peuvent désormais devenir citoyens anglais. Pourtant ils disposaient déjà d’un passeport britannique. Comment expliquer cette contradiction ?
Olivier Bancoult : Nous disposions simplement d’un passeport de Territoire britannique de l’Océan Indien. Ce n’était pas un passeport 100% britannique. Nous ne pouvions rester que 6 mois en Grande Bretagne. Nous ne pouvions pas y travailler, nous n’y avions aucun droit. Le passeport n’était même pas reconnu dans les autres pays européens.
Afrik : Vous avez été chassés de vos terres. Obtenir la nationalité britannique ne règle rien. Pourquoi avoir mené un tel combat ?
Olivier Bancoult : Notre combat avait plusieurs objectifs. Le plus important était le droit fondamental que nous avons gagné à vivre chez nous. A être reconnu comme un peuple. Droit que nous avons retrouvé en novembre 2000 quand la Haute cour de Londres a reconnu que nous avions été bel et bien des résidents permanents des îles Chagos et qu’en tant que tel nous pouvions désormais retourner sur nos terres. Ce qu’une ordonnance de 1971 nous empêchait de faire jusque là. Ils nous ont pris nos terres. Et il est normal que la Grande-Bretagne nous considère comme des sujets britanniques.
Afrik : Est ce vous pouvez aujourd’hui retourner librement sur vos terres ?
Olivier Bancoult : Sur toutes les îles sauf celle de Diego Garcia, la plus importante de l’archipel (60% des terres chagossiennes), parce qu’elle abrite toujours la base américaine qui pourtant n’occupe qu’un tiers des terres de l’île. Nous ne pouvons même pas y travailler. Il y a des Philippins, des Singapouriens et même des Mauriciens qui sont employés sur la base américaine, aucun Chagossien. Ils ont peur que nous ne voulions rester sur place.
Afrik : Comment ont réagit les autorités mauriciennes à l’annonce de la nouvelle citoyenneté possible pour les Chagossiens ?
Olivier Bancoult : Les autorités mauriciennes ont toujours revendiqué la souveraineté des îles Chagos, mais le fait que nous puissions avoir la nationalité anglaise ne les gêne absolument pas car la loi autorise la double nationalité. Le reste est une histoire entre Port-Louis et Londres et ne nous concerne pas.
Afrik : Vous avez remporté une importante victoire. Est-ce que le combat est aujourd’hui terminé ?
Olivier Bancoult : Nous avons intenté une action en justice devant les tribunaux anglais pour demander des réparations et des dédommagements quant aux préjudices subit par les Chagossiens. Les îles ont été abandonnées depuis plus de 35 ans. Nous souhaitons y retourner mais à l’heure de l’Internet nous ne voulons pas retourner 35 ans en arrière. C’est à la Grande-Bretagne de prendre en charge l’installation des infrastructures de base. Et c’est en bonne voie, puisque les autorités britanniques sont en train de réaliser une étude de faisabilité qui sera rendue publique le mois prochain.
Afrik : Les Etats-Unis n’ont-ils pas eux aussi leur part de responsabilité dans la situation actuelle ?
Olivier Bancoult : Nous avons également lancé des poursuites contre le gouvernement américain. Il est aussi responsable de notre exil forcé. L’armée a menti au Congrès pour pouvoir faire leur base militaire en lui faisant croire que les îles Chagos étaient inhabitées. Nos avocats ont demandé 2 millions de dollars de dommages financiers par personne (les Chagossiens sont aujourd’hui au nombre de 8 600, ndlr). Une réunion est actuellement en cours à Washington entre nos avocats, les Anglais et les Américains.