Nouveau dérapage de Dieudonné, accusé d’antisémitisme à la suite de propos tenus lors d’une conférence de presse donnée à Alger, mercredi 16 février. Aujourd’hui, l’humoriste français pourrait risquer de un à cinq ans de prison et une forte amende pour avoir qualifié de « pornographie mémorielle » la mémoire de la shoah. De retour en France, il a tenté de se défendre samedi au théâtre de la Main d’Or.
Par Smahane Bouyahia
La shoah, « pornographie mémorielle ». Le discours de l’humoriste Dieudonné à propos de la mémoire de la shoah a suscité un tollé en France, où il est accusé d’antisémitisme. Le ministre français de la Justice et Garde des Sceaux, Dominique Perben, a aussitôt demandé au parquet de Paris l’ouverture d’une enquête préliminaire pour « contestation de crime contre l’Humanité ».
Le dérapage de trop…
En présentant son spectacle « Mes excuses » à Alger, Dieudonné a une nouvelle fois été mis sous le coup de l’accusation d’antisémitisme en s’exprimant sur l’exploitation de la shoah faite par la France. Selon le journal en ligne Proche-orient.info, le comique aurait dit en parlant de la shoah qu’il s’agissait d’une « pornographie mémorielle ». Propos qu’il réfute aussitôt. « Je n’ai pas qualifié la shoah de ‘pornographie mémorielle’, j’ai parlé de l’exploitation du souvenir de la shoah et j’ai cité l’historienne israélienne Idith Zerthal ». A Paris, Dominique Perben, ministre de la Justice, demande une enquête préliminaire du Parquet visant à établir les propos précis du comique et à déterminer dans quelle mesure ils sont susceptibles de poursuites, puisque prononcés à l’étranger. Dans les colonnes du site Proche-orient.Info, Dieudonné a critiqué « la soumission totale des dirigeants et responsables français à la volonté du Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France, ndlr) ».
Il surenchérit en accusant ouvertement Jean-Pierre Raffarin, le Premier ministre français, de « lécher le cul à cette équipe de malfrats, de mafieux (les sionistes, ndlr) qui est en train d’entraîner la République française dans la guerre civile ». De leur côté, des collectifs comme le Mrap (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples), SOS Racisme, la Licra (Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme) et l’UEJF (Union des étudiants juifs de France) étudient la possibilité d’engager des poursuites judiciaires.
« Incitation à la haine raciale »
Pour Dieudonné, les condamnations tombent comme un couperet : François Hollande, le secrétaire général du parti socialiste n’a pas tardé à réagir, rappelant que « les propos de Dieudonné sur la shoah tombent sous le coup de la loi. Ils sont déshonorants pour celui qui les exprime. Il y a une tragédie du peuple noir liée à l’esclavage, elle doit être reconnue. Il y a une tragédie du peuple juif. La minorer, la sous-estimer, la disqualifier en parlant de pornographie mérite non pas simplement l’accusation judiciaire, mais l’accusation politique ».
Les déclarations fusent : « Ces propos sont une nouvelle preuve de dérive antisémite (…), c’est une volonté d’inciter à la haine raciale qui favorise une opposition entre juifs et Noirs qui est inquiétante, d’autant que, contrairement à Jean-Marie Le Pen, il tient ses propos au nom de l’antiracisme », estime pour sa part Dominique Sopo, président de SOS Racisme. « On fera ce qu’il faut faire, trop c’est trop. Mes avocats (dont Me Zaoui) sont dessus », a déclaré Patrick Gaubert, président de la Licra. Pour Yonathan Arfi, président de l’UEJF : « Dieudonné a définitivement sombré dans la paranoïa et l’obsession antisémite » et « doit être marginalisé ». « L’ensemble de ces propos incite à la haine raciale. Il banalise le fait d’être antisémite, en donnant l’idée que l’antisémitisme n’est pas un délit, c’est une opinion », a-t-il ajouté.
« Je n’ai fait que citer une historienne israélienne, Idith Zertal »
Samedi dans son théâtre parisien La Main d’Or, l’humoriste a tenté de se défendre en convoquant la presse, pour écouter l’enregistrement de son intervention à Alger, mais reste sur une pente glissante et risque très gros d’un point de vue judiciaire. Entouré d’une trentaine de supporters venus se mêler à la foule des journalistes, Dieudonné se lance dans ses explications : « Je conteste formellement cette phrase, je ne l’ai jamais prononcée ». La shoah est « un drame que je n’ai jamais remis en cause, qui appartient à l’histoire de l’Humanité, qui est terrible ». Puis il revient sur l’expression qui a secoué pas mal de monde : « pornographie mémorielle »… « Je n’ai fait que citer une historienne israélienne, Idith Zertal ».
En reprenant cette expression, il explique qu’il a voulu faire entendre « qu’il y a une hypertrophie dans la communication sur la commémoration de la shoah. Cela devient effectivement pornographique ». « Comment se fait-il qu’il n’y ait pas de commémoration aussi importante des 400 ans d’esclavage ? Pourquoi cette classification, cette différence de traitement dans la mémoire ? ». Il s’en prend également au journal Proche-orient.info, en lâchant que tout ce qui a été dit est faux. Dieudonné se dit victime « d’une affaire bis du RER D »[[<*>Une jeune femme, déclarant avoir été agressée sur la ligne du RER D et avoir été victime de propos antisémites, a reconnu que son histoire a été montée de toutes pièces]]. Dans la salle, des anti-sionistes notoires comme Nouari Khiari, proche du Front national, et Bagdad Maati, dirigeant de la Ligue internationale de défense de l’Islam et des musulmans étaient présents.
« Je ne suis pas antisémite, je suis politiquement antisioniste »
Dans une interview qu’il a accordé au journal algérien l’Expression, Dieudonné affirme que le président de la Fédération sioniste de France a demandé son éradication du paysage audiovisuel. « En plus, il n’est pas le seul. Jusqu’à Raffarin qui s’est montré choqué et qui a appelé au boycott de mon spectacle. Cela dit, s’il n’y a pas de lois pour interdire les spectacles, il faudra les créer. Ils sont en train de se pencher sur mon cas. On le sait tous. Et à travers moi, c’est toute une partie de la population de la France qui est touchée. C’est-à-dire : taisez-vous. Soyez déjà content d’avoir à manger, de pouvoir travailler pour ceux qui ont un travail. J’ai l’impression qu’il y a eu l’abolition de l’esclavage, la liberté de penser. Mais finalement, je crois que la liberté se gagnera. Elle ne se demande pas poliment (…). Raffarin dit que je suis un hors-la-loi. Malgré les 17 procès que j’ai gagnés, je reste hors-la-loi. C’est-à-dire, [que] face au lobby sioniste et au Crif, notamment, il admet qu’en France il n’y a pas vraiment de justice. Il faut que cette justice soit validée par le Crif. Aujourd’hui, les sionistes ont une sorte d’impunité ». Dieudonné refuse de se dire antisémite, mais affirme être « politiquement antisioniste ». « Pour moi, le sionisme c’est le sida du judaïsme ». Selon lui, ceux qui vivent le racisme en France ce sont plutôt les communautés noires et arabes et SOS Racisme est complètement manipulé.
« Aujourd’hui, politiquement, il y a une sorte de réveil. Si vous regardez à l’Assemblée nationale, les Français d’origine franco-antillaise représentent plus de 10% de la population. Largement. D’un point de vue électoral c’est énorme ! Je crois que face à ce lobby raciste, il n’y a pas d’autres possibilités que de rentrer dans un rapport de force. Ils n’écoutent rien. Ils commencent à gangrener la politique. On le voit avec Sarkozy, qui est un pantin du sionisme ». Insidieusement, c’est par de telles expressions, ouvertement agressives, mêlant attaques ad hominem et dénonciations caricaturales que le « discours » de Dieudonné change de nature, frôlant l’antisémitisme militant de certains milieux.
« Victime de lobbies » depuis décembre 2003
« Les souffrances subies par les Noirs pendant quatre siècles dépassent de loin celles que les juifs ont subies en sept ans. Mais personne n’a demandé le pardon pour les Noirs ». Dieudonné M’Bala M’Bala, pour l’état civil, s’attache à dénoncer la traite des Noirs et se pose en « victime de lobbies » depuis une polémique liée à son sketch controversé d’un colon sioniste sur France 3, en décembre 2003 au cours de l’émission de Marc-Olivier Fogiel On ne peut pas plaire à tous le monde. Pendant cette émission, dans laquelle était invité le comique Djamel Debouzze, Dieudonné est arrivé sur le plateau à la demande de l’équipe pour faire un petit sketch surprise…
Il apparaît, cagoulé, avec sur la tête un chapeau et des « papillotes » de juifs orthodoxe, pantalon de treillis, blouson de camouflage, pour jouer le rôle « du plus grand terroriste de la planète ». Il lance face à Djamel : « Je suis scandalisé par la présence d’un musulman à la télé(…), ce Moudjahidine du rire ». Et de dire : « Oui c’est dégueulasse. Regardez, après vous vous étonnez que dans les quartiers, les jeunes commencent à bouger. Je suis là pour dire aux jeunes : ‘réveillez-vous ! rejoignez l’axe du bien américano-sionistes ! Devenez des citoyens honnêtes, vous roulerez en Ferrari’ ». Le moment choc de ce sketch est celui où il tend le bras à la façon du salut hitlérien tout en scandant « Israël ». Sur le coup, cette plaisanterie fait rire son camarade. Mais le lendemain, la « blague » prend des proportions importantes. Jusqu’à présent, Dieudonné a été relaxé par la justice des accusations d’antisémitisme formulées contre lui. Son dernier spectacle, ironiquement intitulé « Mes excuses » a rempli les salles. Au point de le convaincre d’exploiter encore la même veine?
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