Sam Mangwana est à classer parmi les grands monuments de la musique africaine. Fils d’immigrés angolais à Kinshasa, il a été l’un des acteurs culturels majeurs de l’époque charnière entre la colonisation et l’indépendance. Genèse.
Sam Mangwana est un des pères de la musique africaine contemporaine. Du même calibre que Tabu Ley, Franco ou autre Wendo, il est de ceux qui ont marqué l’histoire culturelle du continent. Qui est Sam Mangwana ? Comment est-il devenu dans les années 70, une star adulée aussi bien en Afrique centrale, qu’en Afrique de l’ouest et aux Antilles. Fils d’immigrés angolais à Kinshasa à l’époque du Congo Belge, l’artiste vient de sortir un album acoustique de toute beauté. Il revient pour Afrik sur la genèse de sa carrière.
Afrik : Quelle a été votre initiation musicale ?
Sam Mangwana : Durant ma jeunesse, j’ai baigné dans un univers musical extrêmement riche. A la maison j’entendais les mélodies fredonnées par ma mère qui était chanteuse et animatrice d’un groupe de femmes angolaises à Kinshasa. Il y avait également les programmes de la radio Congo Belge qui diffusaient à l’époque beaucoup de musiques traditionnelles et de musiques venues d’ailleurs, comme le jazz, la mazurka créole, la biguine ou le calypso. Et dès l’âge de 16 ans j’étais abonné à la revue « Salut les copains » (ancien magazine musical français, ndlr). Quant à nos papas, ils achetaient les disques du label « La voix de son maître » qui distribuait la musique d’Amérique latine et des Caraïbes. D’autre part, l’administration coloniale avait créé la structure « Spectacles populaires » grâce à laquelle nous avons vu débarquer à Kinshasa beaucoup de musiciens venant d’Haïti et des Antilles.
Afrik : Quels ont été vos débuts ?
Sam Mangwana : Je chantais à l’école et je faisais mes propres compositions. Un jour, un ami est venu me voir pour me proposer d’aller faire écouter ce que je faisais à Tabu Ley Rochereau (fondateur du mythique orchestre de l’African Fiesta, ndlr) qu’il connaissait personnellement. Tabu Ley m’a directement proposé de chanter avec lui le samedi même parce que j’avais la même voix qu’un des ses chanteurs qui venait de quitter le groupe. Face à mes réticences il m’a dit que « c’était la chance de ma vie, que c’était un formidable raccourci » et que le salaire qu’on va m’allouer serait « presque celui d’un directeur de société ». J’allais avoir 18 ans dans trois mois. Je me suis laissé tenter.
Afrik : Comment on réagit vos parents ?
Sam Mangwana : Je ne l’ai pas dit à mon père. Il avait entendu un communiqué à la radio selon lequel le petit Sam Mangwana allait chanter avec Tabu Ley, mais il n’avait pas vraiment réalisé. La veille du spectacle, la nouvelle s’est propagée au quartier. J’ai pris mes cliques et mes claques et j’ai quitté la maison pour ne pas avoir à affronter mon père. Le surlendemain, il est allé trouver le commissaire de notre commune qui a envoyé les gendarmes me chercher avec un mandat d’amener. Ils m’ont arrêté et mis en cellule. Monsieur Rochereau est venu à la prison pour demander pourquoi on avait emprisonné son chanteur. On lui a répondu que j’étais mineur et que je n’avais pas le droit de chanter sans l’accord de mes parents. Après quelques discussions, le commissaire a consenti à me relâcher. Il a dit à Tabu Ley : « Je le libère mais débrouillez-vous jusqu’à ce qu’il atteigne 18 ans, je sais quoi expliquer à son père ». Ma carrière était lancée.
Afrik : N’avez-vous pas également joué avec Franco, le grand rival de Tabu Ley ?
Sam Mangwana : J’ai voulu m’émanciper de Tabu Ley. Avec des jeunes du groupe, on a décidé en 1968 de monter notre propre orchestre : « Les maquisards ». Mais le groupe s’est rapidement disloqué. Alors je me suis mis en indépendant. J’avais 23 ans. Puis j’ai eu une proposition de Franco qui voulait changer le style de son orchestre (l’OK Jazz, ndlr). J’ai apporté un coup de pinceau à son style et ça a été le boom. J’étais même à l’origine de signatures de contrats. Nous envisagions de monter un OK Jazz numéro 2 après l’indépendance en Angola. Mais malheureusement la guerre civile a commencé.
Afrik : C’est à cette époque que vous avez décidé de quitter le Zaïre ?
Sam Mangwana : Je n’ai pas supporté le choc de la guerre civile. Je devais m’éloigner du Congo puisqu’à côté de chez moi il y avait ma famille qui se faisait tuer. Notre village avait été bombardé. C’est pour ça que je suis parti. J’ai pris mon bâton de pèlerin pour aller par la route jusqu’à Abidjan. Un périple qui a duré 6 mois. Là-bas j’ai pu poursuivre ma carrière et connaître mes plus grands succès, célèbres jusqu’aux Antilles.
Afrik : Vous revenez aujourd’hui avec l’album « Cantos de esperança ». Comment définiriez-vous la couleur musicale du disque ?
Sam Mangwana : Je ne peux pas donner une couleur à ma musique. Je fais simplement ce que je ressens. A tel point qu’après avoir travaillé sur un morceau, on se demande avec les musiciens comment appeler le rythme que nous venons de jouer. Comme nous sommes des anciens de la rumba, on peut considérer que Cantos de esperança est un disque rumba. Mais pour moi c’est un disque universel. Les spécialistes et les critiques essaient de temps en temps de donner une identité à ma musique mais nous avons été nourris de tant d’influences que je crois sincèrement que c’est au public de juger.
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