Plus de show que de musique, Tabu Ley Rocherau, une des légendes vivantes de la musique africaine porte un regard critique sur la génération nbombolo. À 61 ans, l’artiste zaïrois, inventeur de la soukous, évoque la responsabilité perdue de ses pairs à égayer l’oreille. Interview.
Guitariste, chanteur, compositeur Tabu Ley est un gourou de la musique africaine. Il a été l’un des premiers artistes afro à faire la mythique salle de l’Olympia à Paris en 1973. Inventeur avec le grand Franco de la soukous, mélange de rumba et de sébène, l’artiste zaïrois est toujours dans le circuit. Il était l’un des invités de marque du Fespam 2001. Simple et accessible, il nous a reçus dans sa chambre d’hôtel à Brazzaville. Il jette un regard lucide sur la génération actuelle de la musique congolaise. Et s’il salue les jeunes autodidactes de la scène, il regrette toutefois qu’ils fassent tous primer le spectacle sur la musique.
Afrik : Quel regard portez-vous sur les artistes congolais ?
Tabu Ley : C’est cette génération qui doit assurer la continuité de ce qui a été fait jusque là. C’est sur elle que reposent tous nos espoirs. Mais j’ai un énorme regret car nous, les anciens, nous n’avons pas suffisamment pris la responsabilité de leur passer le témoin. Aucun des jeunes d’aujourd’hui n’a fait partie des grands orchestres (Ray Lema, Koffi Olomidé et Papa Wemba, par exemple, sont passés par l’orchestre de Tabu Ley, ndlr). Ils ont dû se débrouiller seuls pour se frayer leur chemin. A l’époque, à travers les grands orchestres, il y avait un relais direct entre les anciennes et les nouvelles générations. Il n’y avait pas de rupture artistique.
Afrik : Que reprochez-vous aux groupes actuels ?
Tabu Ley : Les Werra Son, les Extra Musica sont des autodidactes et je les en félicite. Ce sont les premiers à manier l’animation et le spectacle. Simplement, c’est la partie artistique la plus facile dans la musique. Ils font des choses pour contenter les yeux, mais ils ont perdu la responsabilité d’égayer les oreilles (Tabu Ley a pourtant été le premier à introduire la notion de show dans la musique zaïroise. S’appuyant sur l’exemple de Claude François en France avec ses Claudettes, il aura ses « Rocherettes » pour animer la scène, ndlr).Il y a également un problème de rythme dans les spectacles actuels. Les artistes sont tout le temps à fond. Le public ne peut pas soutenir l’élan. Le secret c’est de commencer en trombe, puis de faire une accalmie pour terminer en force. Là vous possédez votre public et il vous suivra de bout en bout.
Afrik : Aujourd’hui, la concurrence entre les artistes congolais tourne souvent à la violence. Qu’en pensez-vous ?
Tabu Ley : Du temps de Franco (artiste congolais qui formait pendant les années 50, à côté de celle Tabou Ley, la deuxième grande école de la musique zaïroise. La polémique perdure sur le point de savoir qui, de Franco ou de Tabu Ley, a véritablement inventé le soukous, ndlr), malheureusement décédé, nous avions une très grande rivalité. Mais ce n’était pas une rivalité criminelle.
C’était une concurrence loyale et constructive. Elle nous stimulait chacun de notre côté et nous nous battions pour dépasser l’autre au niveau des œuvres. Nos balles et nos munitions n’étaient qu’artistiques. En dehors de la scène nous avions une certaine complicité, il n’y avait pas d’animosité entre nous. Il est regrettable aujourd’hui que la rivalité entre les artistes dépasse le cadre artistique et qu’il y ait un tel fanatisme autour des groupes. C’est tout au préjudice de la musique et de ce qu’elle doit représenter.
Pour en savoir plus sur l’œuvre de Tabu Ley et son influence majeure sur la musique zaïroise, nous ne saurions trop vous conseiller la lecture de l’excellente Bible des artistes africains : Les musiciens du beat africain par Nago Seck et Sylvie Clerfeuille aux éditions Bordas.
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