Les mélomanes sont aussi des électeurs. C’est ce que continuent de penser de plus en plus de dirigeants des deux Congos, surtout à Brazzaville. Ils se mettent ainsi à créer leurs propres orchestres, invités obligés de tous les meetings politiques ou rencontres officielles. Au départ simple propagande, la musique est devenue aujourd’hui un outil marketing convivial pour travailler son image.
Les médias nationaux publics ne suffisent pas souvent à certains dirigeants africains désireux de rassembler leurs électeurs. Aussi recourent-ils à la puissance mobilisatrice de l’art d’Orphée pour mobiliser les foules. Sur les deux rives du grand fleuve Congo, plusieurs éminents artistes ont loué leurs services aux hommes politiques pour les aider à faire campagne ou pour entretenir une image populaire.
Outil de propagande
Au plus fort de son règne, le président Mobutu avait initié dans l’ex Zaïre toute une institution qu’on appela « Mopap » : mobilisation, propagande, animation politique. Dans toutes les provinces du pays, d’éléphantesques groupes d’hommes et de femmes chantèrent les prouesses du Guide et Président-Fondateur. Cela dura environ une vingtaine d’années. Parallèlement, de grandes vedettes de la variété zaïroise, notamment Franco Luambo et Tabu Ley, créaient des chansons dites révolutionnaires magnifiant « L’homme du 24 Novembre 1965 ». La pratique ne s’estompa qu’en 1990, au lendemain du vent démocratique.
Sous le règne de Laurent-Désiré Kabila, cette tendance remonta à la surface avec, entre autres figures de proue, Tabu Ley, Tshala Muana. Ici, l’on parle désormais de « chansons patriotiques ». Mettant à contribution tout ce que la RDC a de célèbres, en termes d’artistes-musiciens, chanteurs et arrangeurs, ces chansons, exclusivement collectives, font alors la part belle à la cause nationale et populaire. L’on citera par exemple : « Franc congolais », « Débat national », « Tokufa po na Congo » (« Mourons pour le Congo »). Autant de commandes passées par les autorités où chaque artiste avait droit à son couplet sur le titre.
Outil marketing
Par le passé, le Congo-Brazzaville avait lui aussi connu des artistes qui s’étaient fait les chantres des causes politiciennes. Lors de la campagne présidentielle de 1993, Denis Sassou N’Guesso avait réalisé un spot télé sur une chanson de Koffi Olomidé au titre évocateur de « Papa Bonheur ». Un surnom que Sassou N’Guesso gardera longtemps. Ayant compris la force de la musique en tant qu’outil marketing, il a également utilisé les mêmes ficelles pour les élections de 2002 en se payant les services de Werra Son, l’un des ténors de la musique congolaise, pour une série de concerts de soutien. Le président-candidat pouvait ainsi récupérer à son compte, dans certains milieux de jeunes, le surnom de l’artiste : « Le roi de la forêt » et bénéficier de la popularité du chanteur.
Beaucoup d’élus et d’hommes de pouvoir ont compris et adaptent la formule, en créant leurs propres formations musicales. Depuis une dizaine d’années, les Brazzavillois s’étaient habitués à écouter les œuvres poétiques de Sebas Enemen, général à la retraite, louant entre autres les aspects touristiques de la capitale. Ce dernier vient de créer son groupe musical, en vue de productions scéniques. Un autre militaire, le général Dabira, s’est également lancé depuis quelques temps dans la production, en implantant au pays un studio d’enregistrement, puis, récemment, une structure pour la duplication de cassettes audio. L’album « Matiti Mabe » y a, par exemple été enregistré courant 2001-2002. L’œuvre du groupe « Bana Poto Poto », lequel a pour particularité d’avoir (eu) comme fondateur, leader et un des chanteurs, le maire-administrateur de Poto-Poto (l’un des arrondissements les plus importants de Brazza-la-Verte). Le groupe du regretté Bienvenu-Roland Faignond a été au rendez-vous de toutes les cérémonies importantes liées à la vie nationale ou au parti politique du Chef de l’Etat (le PCT : Parti Congolais du Travail). Malheureusement, cet artiste nous a quitté le 10 janvier dernier. Mais son œuvre a fait école.
Dans un autre arrondissement de Brazzaville, Makélékélé, une autre orchestre a vu le jour, sous l’appellation de son fondateur et chanteur-leader, qui n’est autre que maire-administrateur du lieu précité : Look Maurel. Effet boule de neige, une troisième commune, Ouenzé, vient de suivre la même démarche en créant en son sein l’orchestre « Bana Ouenzé », lequel serait dirigé par un homme du sérail. Le groupe Watikanya, existant depuis près de cinq ans, vient d’être rebaptisé Sacramento, sous la houlette d’un autre ponte de Brazzaville. Quant au studio Eben Ezer, l’un des plus grands de la capitale, il serait la propriété d’un membre du gouvernement congolais.
Sous cette lumière, plusieurs observateurs avertis spéculent sur les intentions réelles de cette nouvelle « armada » d’ensembles musicaux aux couleurs politico-militaires. Avec une si belle simultanéité, beaucoup doutent que cela soit la résultante d’une génération spontanée. Pour d’aucuns, ces nouveaux hobbies « made in Brazza » cacheraient plutôt de réels calculs et agendas de politiciens et autres personnalités influentes. Avec en ligne de mire les futures élections générales ?