Charles est Zaïrois. Il a fui son pays et vit clandestinement en France depuis plus de quatorze ans. Avec sa voix et sa guitare, il écume les rames du métro parisien. La musique l’aide à panser les plaies d’une vie de bohème qu’il n’a pas choisie. Portrait.
» La musique panse la blessure de n’être rien, d’être quelqu’un qui n’existe pas « , confie Charles. Les mots sont durs. Aussi durs que sa vie. A 33 ans, Charles est Sans Papier. Il vit en France depuis près de quatorze ans. De son Zaïre natal, il ne conserve plus que des souvenirs. Derrière son éternel sourire et ses petit yeux rieurs, une histoire. Celle d’un homme marqué par les vicissitudes d’un passé tourmenté. Son âme mélomane forgée par l’adversité. Il vit au jour le jour, offrant ses mélodies aux usagers du métro parisien.
» J’admire son enthousiasme et son optimisme forcené « , confie Anne, son ancienne compagne, mère de sa fille. » Charles a une force intérieure incroyable, pour moi c’était trop dur de partager sa vie, j’ai abandonné « , explique-t-elle.
Charles n’a pas toujours été un saint. Dix-huit ans. Kinshasa. Le quartier chaud de Kasavubu. Il vend de l’essence. Il est de toutes les combines de la rue. Les échauffourées avec la police se multiplient. Tant et si bien qu’il est obligé de quitter le pays pour fuir une justice qui pourtant le rattrapera en France quelques années plus tard.
L’exode et la galère
Du Nigeria, pays de sa mère, il arrive en France via l’Espagne. 1986. Point de chute : un squat parisien. Un contexte qui n’est pas pour améliorer ses fréquentations. Le bizness. Corollaire d’une galère qui pourtant n’avait fait que montrer le bout de son nez. Elle ne tardera pas à montrer son vrai visage. La prison. Deux ans fermes et surtout dix ans d’interdiction de territoire. » C’est là que ma vie a vraiment changé « .
Si la prison rassure la société, Charles assure » qu’elle n’arrange rien « . Il a beau rencontrer Anne et l’amour, c’est l’engrenage. Deux ans après sa sortie, il replonge. La maison d’arrêt de Bois d’Arcy, deux ans, encore. Anne le suit, le soutient dans l’épreuve. » Elle m’a toujours accompagné « , témoigne-t-il, reconnaissant.
Charles est lucide et ne se cherche aucune excuse. » Sans papier, tu marches ou tu crèves. Moi j’avais décidé de marcher « . Pas forcément droit. Aujourd’hui, à trente-trois ans, il s’est assagi. » Il a pris beaucoup de recul, même si il garde beaucoup de révolte à l’intérieur « , analyse Anne. Il veut voir grandir sa fille. Née après son deuxième séjour derrière les barreaux, elle est le symbole d’une liberté retrouvée qu’il entend bien garder.
La musique comme soupape de sécurité
Pas de papier, pas de travail, si ce n’est au noir. Son regard se voile quand il se souvient. Tous ses petits boulots, les abus contre lesquels il n’a aucun recours. Pour lui, » être Sans Papier c’est pareil que la prison « . Mais heureusement, il a sa guitare. Elle est sa compagne, l’essence de son optimisme. » Elle me parle, elle me dis calme-toi, viens on sort. Sans elle, je ne vis pas « . Plus encore, elle est son tranquillisant. Elle soigne sa » blessure de n’être rien, quelqu’un qui n’existe pas « .
La musique, il l’aura découverte en prison où il fait la connaissance de Richard. Richard est batteur, Charles guitariste. Autodidacte, il joue, » comme ça » pour lui, depuis son adolescence. A deux, ils composent, sans pour autant rêver à plus. Le vrai déclic se produira dehors. A la faveur d’un concert d’amis communs au New Morning (salle de spectacle parisienne), ils jouent pour s’amuser dans les loges des artistes. Une femme les écoute, elle pleure. Elle pleure ? Oui, elle se dit touchée par la musique qu’elle entend.
» Je ne savais pas que ma musique pouvait toucher les gens comme ça « , s’étonne-t-il. Il découvre la grisante sensation de pouvoir susciter des émotions. Il décide donc de jouer » pour que les gens l’entendent « . Richard, désormais un des plus grands batteurs français, l’a oublié. Il a joué, entre autres, avec toute la scène rap française, le Secteur A, les NTM, les Neg’marrons et évolue maintenant aux côtés des mythiques Wailers du grand Bob Marley.
Donner, c’est exister
Le conte de fées n’est pas pour Charles. Mais, qu’importe, il compose et écrit. Sa scène, le métro, son public, les usagers. Bizarrement, il ne demande pas d’argent. » Je joue pour les gens, ça me fait du bien. Grâce à ma guitare, je donne aux gens : c’est ma façon d’exister « . » La musique, c’est comme parler ou respirer pour lui, il exprime à travers elle toutes ses émotions « , ajoute Anne.
Si » il faut que les sons sortent « , Charles regrette de ne pouvoir jouer sa musique comme il l’imagine. Sans choristes, qu’il remplace lui même, sans véritable accompagnement, si ce n’est sa petite boîte à rythme, les chansons qu’il a en lui perdent à son sens » beaucoup de leur force « . » Si on me donne l’occasion de jouer avec des musiciens, ça va être balèze « , promet-il dans un grand sourire. A l’écoute des quatre morceaux qu’il nous a laissés, on le croit sans peine.
Quatre morceaux, sommairement enregistrés par Afrik dans un coin de salle, d’une traite, sans répétition, avec un Charles intimidé par ce micro, qui pour une première fois, immortalisait des mélodies jusque-là éphémères.
Qu’attend-il de l’avenir ? Pas grand chose. Persévérer, encore et toujours. Pour récupérer une identité. Et puis jouer et chanter. » Un plaisir indéfinissable. Une victoire pour moi, même si je sais que ça ne va pas plus loin « .