Le Maroc s’apprête à réécrire une page importante de son histoire sociale. La révision de la Moudawana, ce code de la famille qui encadre les relations familiales dans le royaume, ravive les passions et cristallise les tensions entre traditionalistes et progressistes. Pour comprendre l’enjeu de cette réforme attendue, il faut remonter aux origines d’un texte qui a profondément marqué la société marocaine.
En 1958, dans un Maroc fraîchement indépendant, la première version de la Moudawana ancrait la famille dans une vision résolument patriarcale, inspirée du droit musulman malékite. Il faudra attendre 2004 pour voir souffler un vent de changement. Sous l’impulsion de Lalla Salma, porté par les revendications des mouvements féministes, le texte connaît alors une première modernisation significative. L’âge du mariage est relevé à 18 ans, la polygamie est strictement encadrée, les femmes obtiennent de nouveaux droits en matière de divorce et de garde d’enfants. Une petite révolution qui, pourtant, laissait encore de nombreuses questions en suspens.
Quand tradition et modernité s’entrechoquent. Vingt ans plus tard, la société marocaine a changé. Dans les rues de Casablanca ou de Rabat, les jeunes femmes aspirent à plus d’égalité. L’héritage reste le point le plus sensible : pourquoi, en 2024, une fille devrait-elle hériter de la moitié de la part de son frère ? La question de la filiation hors mariage, véritable tabou social, ne peut plus être éludée. Les violences familiales, la précarité des mères célibataires, la complexité des procédures de divorce : autant de sujets qui appellent des réponses juridiques adaptées.
Le regard tourné vers Tunis
À quelques centaines de kilomètres à l’est, l’expérience tunisienne fait figure de laboratoire. Dès 1956, la Tunisie prenait les devants en adoptant un Code du Statut Personnel révolutionnaire pour l’époque, abolissant la polygamie et instaurant l’égalité devant le divorce. Plus récemment, le pays s’est attaqué au dernier bastion des inégalités : l’héritage. Si la proposition d’égalité successorale portée en 2018 par le président Béji Caïd Essebsi n’a pas abouti, elle a eu le mérite d’ouvrir un débat jusqu’alors tabou dans le monde arabe.
Le gouvernement marocain s’est lancé dans une vaste consultation nationale : associations féministes, oulémas, partis politiques : chacun y va de sa contribution. L’exercice est délicat. Comment moderniser le droit familial tout en respectant les sensibilités religieuses ? Comment faire évoluer les mentalités sans brusquer une société attachée à ses valeurs traditionnelles ?
Un exercice d’équilibriste
Le projet de réforme du Code de la famille a enfin été présenté le 24 décembre 2024, et il introduit des changements significatifs même si une fois de plus les avancées ne vont pas jusqu’au bout.
- Égalité en matière d’héritage : le texte propose d’accorder aux femmes le droit d’hériter de la même manière que les hommes dans certains cas spécifiques, notamment lorsque le défunt ne laisse ni ascendants ni descendants. Cependant l’égalité totale n’est pas encore atteinte. Dans la majorité des cas lorsqu’il y a un héritier, la règle de la double part pour l’homme est maintenue, en conformité avec l’interprétation traditionnelle de l’Islam.
- Reconnaissance timide de la filiation hors mariage : le projet de loi prévoit la reconnaissance de la filiation paternelle pour les enfants nés hors mariage, mais sous certaines conditions, notamment la reconnaissance volontaire du père. La stigmatisation sociale des mères célibataires et de leurs enfants reste donc un obstacle majeur à la pleine reconnaissance de leurs droits.
- Protection des enfants : le texte prévoit des sanctions plus sévères contre les auteurs de violences à l’égard des enfants, et renforce les mécanismes de protection de l’enfance. L’introduction de la notion d' »intérêt supérieur de l’enfant » dans les décisions de justice relatives à la garde et à la tutelle est une avancée notable.
Une multitude de petites avancées
La nouvelle Moudawana met l’accent sur la simplification des procédures, notamment pour le divorce par consentement mutuel qui, dans certains cas, ne nécessitera plus de passage devant le juge. L’ère du numérique s’invite également dans le Code de la famille avec la possibilité d’effectuer certaines démarches administratives en ligne, comme la demande d’acte de mariage.
Par ailleurs, le texte maintient le cap sur des acquis importants : la polygamie reste fortement encadrée, le mariage des mineurs est strictement interdit et si la tutelle paternelle est maintenue, les droits de la mère en cas de divorce sont renforcés.
Ainsi, cette nouvelle réforme du Code de la famille au Maroc est une avancée importante, même si elle ne satisfait pas toutes les attentes.