Avec un taux de mortalité maternelle estimé à 1099% décès pour 100 000 naissances, le Tchad se trouve en neuvième position dans le monde en ce qui concerne ce phénomène. Dans l’Est du pays, à Abéché, reportage sur les pas d’une sage-femme qui lutte au quotidien contre les mentalités pour sauver les femmes… et les enfants.
Notre envoyée spéciale au Tchad
Dans l’Est du Tchad, seuls 10% de la population ont accès aux centres de santé. L’hôpital d’Abéché, troisième hôpital du pays, a été construit en 1976 par l’Allemagne et compte 197 lits mais seulement cinq médecins. C’est l’hôpital de référence pour les 4 hôpitaux de district mais les gens viennent de régions plus lointaines et de localités se trouvant parfois à 400 ou 500 km de là, à pied, à dos d’âne ou de chameau… Le personnel, peu nombreux, se bat chaque jour pour sauver des vies dans un contexte où la tradition et les coutumes pèsent lourd sur la santé, surtout celle des femmes et des enfants. Une situation que gère Fatimé Mahamat Maloum, sage-femme et responsable de la salle d’accouchement de l’hôpital, malgré le manque de matériel et de personnel : cinq sage-femmes pour quelque 160 accouchements par mois !
« Les femmes en milieu rural nous posent beaucoup de problèmes », explique-t-elle. « Le mariage précoce prédomine, à partir de 12 ans, avec tous les problèmes de santé qu’il engendre. Nous avons par exemple 65 fistuleuses enregistrées. L’Est est la région du pays qui compte le plus de fistuleuses mais, malheureusement, elles ne viennent pas consulter. » La fistule, liée au jeune âge des parturientes (14-15 ans dans la région), survient après un accouchement compliqué et entraîne incontinence et problèmes gynécologiques qui mettent la plupart des fistuleuses au ban de leur foyer, voire de leur communauté.
Mortalité maternelle très élevée
« Les femmes enceintes viennent trop tard à l’hôpital, à cause de l’éloignement et du manque de moyens de transport mais aussi parce que ce sont les hommes qui décident », se désole Fatimé. « Si la décision est prise d’accoucher à l’hôpital, il y a 50% de chance pour que la femme ne survive pas. Car, dans les moeurs locales, la femme doit accoucher à la maison. On va à l’hôpital quand on est désespéré ! Elles attendent 5 jours, parfois une semaine, s’en remettent aux accoucheuses traditionnelles… Quand elles ne meurent pas en route, elles rendent l’âme sur la table d’opération. Et quand elles arrivent, on sait que le bébé est mort. » « C’est le drame au niveau de ce pays, car la mort des enfants dépend de la situation de la mère », renchérit le docteur Béchir Aounen, de l’Unicef au Tchad. Avec un taux de mortalité maternelle estimé à 1099% décès pour 100 000 naissances (chiffres de 2004), le Tchad se trouve en neuvième position dans le monde en ce qui concerne ce phénomène. « Ce taux était de 700 à 800 il y a quelques années, il y a eu aggravation du phénomène », précise Béchir Aounen.
Dans une des salles de la maternité, une famille est en deuil. Leur fille de 25 ans est décédée il y a quelques heures. « Après trois jours de travail, elle est arrivée avec 40° de fièvre, presque dans le coma. L’enfant est mort-né », explique Fatimé. Le beau-fils de la défunte, Mustapha, commerçant de 28 ans, raconte : « On savait qu’elle était à terme mais on n’a pas compris qu’elle était en travail ! Elle est tombée évanouie avant-hier à 3h du matin. Au village, il n’y a rien, pas de centre de santé, pas de guérisseur. On est à 60 km d’ici et, comme on n’a pas de voiture, on a dû attendre le véhicule du marché pour venir et on est arrivé ce matin à 5h. C’était trop tard, elle est morte peu après. »
La madonne blessée
Un peu plus loin, une jeune femme de 29 au visage de madone est allongée, entourée de sa mère et de sa tante, qui l’éventent. Elle a le regard dans le vide. Absente à elle-même et aux autres, elle n’aura pas un mot durant notre visite. A 29 ans, elle vient de perdre son premier enfant. « Elle est venue en début de semaine pour accoucher. Tout allait bien sauf que son bassin était tellement rétréci qu’il fallait faire une césarienne. Les parents et les beaux-parents ont refusé. Ils ont signé la sortie et l’ont ramenée pour qu’elle accouche à la maison, dans un quartier proche de l’hôpital. Elle est revenue deux jours plus tard avec des complications. Les parents ont accepté la césarienne malgré eux mais le bébé était mort, déjà en voie de macération. Elle a survécu mais elle sera certainement fistulée. On la garde jusqu’à ce qu’elle récupère. Aujourd’hui, les parents se sentent fautifs, ils s’accusent mutuellement », regrette Fatimé.
La mère explique, d’un ton monocorde et cassé : « Son mari est en voyage, on ne pouvait pas décider à sa place. Ce sont les hommes qui décident. Quand on a enfin eu le consentement de la belle-famille, on l’a ramenée à l’hôpital mais c’était trop tard. Si j’avais pu décider, j’aurais choisi la césarienne tout de suite. » Fatimé n’en est pas si sûre. « La césarienne, c’est la mort pour les villageois ! C’est un handicap car une femme opérée ne pourra pas vacquer immédiatement à ses occupations et reprendre tout de suite le travail au champs. Nous, il nous faut le consentement du mari, du père et des oncles, ce qui retarde la prise en charge. » Conclusion au goût amère : « Il faut attendre, même si la vie de la femme est en jeu. »