La mémoire transpercée de l’Algérienne Nadia Matoub


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Nadia Matoub
Nadia Matoub

La jeune veuve du chanteur Lounès Matoub avait été laissée pour morte par les assassins de son mari, en juin 1998. Comment oublier l’horreur, comment se rappeler la joie ?

La vie de Nadia Matoub a filé comme un météore : de sa naissance, en 1976, jusqu’à sa rencontre en mai 1997 avec Lounès Matoub, le chanteur symbole de l’identité berbère, qu’elle épouse quelques mois plus tard, et qui est assassiné le 25 juin 1998, dans un attentat où elle est laissée pour morte et où deux de ses soeurs sont grièvement blessées. Dans son livre « Pour l’amour d’un rebelle », elle retrouve le sens de cette course.

Arton 758Nadia Matoub a grandi au sein d’une famille unie et droite, au coeur de cette Kabylie dont la jeunesse avait un peu de mal à se couler parfaitement dans le moule officiel qu’elle devait proclamer en classe : « Ma langue c’est l’arabe, ma religion c’est l’Islam, mon pays c’est l’Algérie ». Va, bien sûr pour l’Algérie, terre aimée, revendiquée. Mais que dire de l’arabe, langue importée, dans ces hautes régions d’Algérie où elle est peu parlée ? Et de l’Islam, pour une génération qui croit plus en elle-même et en son affirmation qu’en Dieu ?

« Lounès, notre conscience »

Nadia Matoub offre des événements qui jalonnent cette jeunesse en pays berbère un tableau sans apprêt : de la progressive installation de sa famille, au fil de ses déménagements, et de la réussite professionnelle de son père, sa mère restant au foyer pour élever ses deux fils et ses sept filles… Du fossé creusé entre les générations sur la question kabyle : « Pourquoi, étant kabyles, n’avions nous pas le droit d’étudier dans notre langue ?… Ce qui donnait une force particulière à ce combat naissant, c’est que nos parents n’en étaient pas partie prenante. Il s’agissait d’une affaire d’enfants, nous complotions entre nous, exaltés, transportés par la voix de Lounès. »

Mais les enfants grandissent, et les années passant, Lounès Matoub se retrouve le porte-parole d’une revendication identitaire de plus en plus ferme, et l’idole inaccessible de Nadia, qui ne pense qu’à lui, ne chante que sa musique, n’écoute que sa voix. Ses études mêmes lui permettent de conforter ses messages, lui offrant les références historiques et culturelles nécessaires, de Jugurtha à Mouloud Mammeri dont le gouvernement décide de supprimer la chaire de berbère à l’Université d’Alger, provoquant une grève générale en Kabylie, réprimée brutalement par l’armée le 20 avril 1980 – Nadia avait 4 ans.

Un homme usé

« Lounès était notre conscience, son charisme était immense, bien supérieur à celui de nos leaders politiques, y compris du plus célèbre d’entre eux, Hocine Aït Ahmed, l’un des pères de l’indépendance algérienne ». D’autant que la Geste de Lounès Matoub le fait surmonter plusieurs épreuves terribles, auxquelles s’exposait, au cours de cette décennie terrible qui ensanglanta l’Algérie, toute parole libre mettant en cause à la fois l’autoritarisme de l’Etat et l’intolérance de l’Islam : son premier « assassinat », perpétré par des gendarmes, le 9 octobre 1988, lui vaudra deux années d’hôpital et de multiples interventions, et son rapt le 25 septembre 1994 par un commando du G.I.A. s’achève par une sentence de mort à son encontre, sentence qui ne sera pas immédiatement exécutée, devant l’immense émotion soulevée par son enlèvement. « Ne croyez jamais en eux, chantait-il, ils sont les massacreurs de la vie ! »

C’est cet homme menacé, malade, usé, dont Nadia Matoub a choisi d’épouser le destin. Il ne lui a rien caché de cette vérité, qu’elle connaissait, mais peut-on résister à épouser son rêve ? Et les mois de bonheur sont passés très vite, jusqu’à l’attentat par le récit duquel son témoignage bouleversant s’ouvre.

La force de ce petit livre, qui est tout à la fois un cri de désespoir et un acte d’amour, un gage de fidélité et la trace d’un deuil, c’est qu’il est tout entier écrit du côté de la vie, sans pathétique et sans effets de manche : le naturel y croise le tragique, tous les choix s’imposent d’eux-mêmes, rien de ce qui était prévisible ne peut être évité, la mort survient, au moment attendu.

Du coup, la vie d’une femme singulière témoigne pour celle de milliers d’autres femmes algériennes : il y a eu Lounès Matoub, bien sûr, qui témoignait par ses chansons, comme il y eut plus de cent journalistes et employés de presse, en Algérie, qui payèrent de leur vie la liberté de leur plume, au long de cette décennie noire. Et comment oublier, à chaque fois, l’horreur ?

Commander « Pour l’amour d’un rebelle », éd. Robert Laffont, avril 2000

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