Nago Seck est sans doute l’un des plus grands musicologues en musiques africaines au monde. Issu d’une famille de griots sénégalais, il a parcouru toute l’Afrique à la recherche de l’histoire musicale du continent. Connu de tous les artistes, l’esprit toujours aux aguets, il brille par un savoir aussi pléthorique que discret. Interview.
Nago Seck est une bibliothèque vivante des musiques africaines. A 50 ans, le musicologue sénégalais, issu d’une grande famille de griots, n’a de cesse d’approfondir ses connaissances musicales. D’Alpha Blondy à Papa Wemba en passant par Salif Keita ou Manu Dibango, il connaît personnellement tous ceux qui ont fait et font la musique africaine contemporaine. Homme de radio et journaliste, il est aujourd’hui conférencier et se rend partout où l’on fait appel à son savoir. C’est chez lui, dans le bouillonnant quartier de Château-Rouge à Paris, qu’il nous a reçu en toute simplicité. Pour lui, nous sommes tous ses » petits frères « . L’homme, à la sagesse humble et débonnaire, nous raconte son parcours et analyse l’évolution de la perception des musiques africaines en Occident.
Afrik : Comment êtes-vous devenu musicologue ?
Nago Seck : Je suis né dans une famille de griots, l’une des plus grandes de Dakar. D’ailleurs notre maison s’appelle Ngëwel, » Chez les griots » en wolof. J’ai croisé à la maison tous les grands artistes sénégalais. J’ai toujours baigné dans la musique et les rythmes. J’ai appris très tôt les percussions. J’avais d’ailleurs monté une troupe de théâtre au lycée, puis une en France – parallèlement à mes études d’électronique -, quand je suis monté à Paris après mon bac. J’étais aussi disc-jockey à mes heures perdues.
Afrik : Un parcours relativement classique jusque-là…
Nago Seck : Tout a véritablement commencé avec l’arrivée des radios libres en 1981. A côté de mon travail, j’animais une émission sur Radio Tomate : » Musiques d’Afrique « . Puis j’ai abandonné l’électronique pour me consacrer à la musique. Je me débrouillais pour vivre en animant des soirées. A partir de là, j’ai cherché à exploiter mes connaissances musicales. A mieux comprendre les différentes musiques. Alors je suis allé à la rencontre des artistes, je me suis documenté. Pour comprendre les rythmes et la construction des musiques.
Afrik : Est-ce pour faire partager votre savoir que vous avez également décidé d’écrire ?
Nago Seck : Je me suis aperçu qu’il n’y avait aucun livre qui témoignait des musiques africaines contemporaines. Alors j’ai décidé, avec Syvie Clerfeuille, de m’atteler à la tâche pour laisser une trace de tous ces artistes. C’est en 1986 que nous avons sorti Musiques africaines des années 80. Et c’est à partir de là que mes activités de conférencier ont commencé. Après notre second livre, Les Musiciens du beat africain, je suis parti pendant deux ans pour faire le tour de toute l’Afrique, aller directement à la rencontre des artistes et de leurs musiques. Il en résultera un troisième livre, Les Grandes Figures de la musique africaine, qui a été décliné en une exposition itinérante (actuellement en Belgique, ndlr) et une compilation.
Afrik : Vous avez été témoin de l’arrivée des musiques africaines en France et en Occident. Comment étaient-elles perçues au départ ?
Nago Seck : Les musiques africaines étaient uniquement considérées comme des musiques de fête. Des musiques » bamboula « . Et non comme un art, comme quelque chose émanent d’une véritable activité de création artistique. Dans les émissions que j’animais (après les radios libres, il a officié entre autres sur RFI puis sur Africa N°1, jusqu’à cette année où il a décidé d’arrêter momentanément la radio, ndlr) j’essayais d’expliquer toutes ces musiques. Je tentais d’expliquer les différentes nuances. Il n’y a pas une, mais des musiques africaines. L’arrivée de la gauche au pouvoir (1981, ndlr), et notamment de Jack Lang (ancien ministre de la Culture, ndlr) a beaucoup fait pour les artistes africains. Les mentalités ont évolué. Et on a plus de respect aujourd’hui pour ces musiques. Il faut dire également que les grandes villes jouissent d’un important métissage culturel, ce qui a d’autant plus favorisé l’ouverture musicale.
Afrik : Quelle évolution notez-vous chez les artistes africains ?
Nago Seck : Même s’il reste encore beaucoup de travail à faire, l’univers de la musique africaine est mieux structuré. Grâce notamment à une meilleure organisation de la diaspora. De plus en plus de structures, en matière de production et management, se sont créées. Les artistes eux-mêmes commencent à acquérir certains réflexes professionnels de base. Beaucoup, par exemple, n’avaient pas de biographie disponible pour accompagner leurs productions.
Afrik : Quelle différence faites-vous entre les musiques africaines et les musiques occidentales ?
Nago Seck : Les musiques occidentales reposent sur la verticalité. Elles sont très codées. Tandis que les musiques africaines reposent sur l’horizontalité. Un instrument commence et un autre arrive, puis un autre…Il y a une toujours une place laissée à l’improvisation. Et puis les musiques africaines sont polyrythmiques c’est-à-dire qu’il y a plus de variations de rythmes qu’en Occident.
Photos
Ismael Lô.
Geoffrey Oryema.
Wendo.
Bibliographie
1986 : Musiciens africains des années 80 : Commander le disque.
1993 : Les Musiciens du beat africain.
1997 : Les grands courants des musiques urbaines africaines.