L’Europe des droits de l’homme, l’Europe des valeurs démocratiques, l’Europe des libertés, est complice de la mort de milliers de personnes en Méditerranée.
Ces jeunes gens fuyant une situation intenable bravent les houles et les déchaînements de la mer pour tenter d’arrimer leur espoir sur cette côte qu’on dit pourtant clémente. Ils ne sont pas très nombreux à accoster, mais ils sont trop nombreux à se perdre en cours de route engloutis par la colère de Poséidon, emportant leurs rêves, leurs espoirs et, plus précieux encore, leur vie. La forteresse Europe, qui leur refuse le refuge, les pousse à miser sur des embarcations de fortune pour un voyage à la destination non garantie. Deux ONG, Forteresse Europe et United for Intercultural Action, ont fait le décompte des réfugiés disparus en mer durant les cinq premiers mois de l’année en cours, et le résultat est des plus terribles. «De janvier à juin, entre 1500 et 1800 migrants au moins sont morts en tentant de venir se réfugier en Europe, laissant augurer que l’année 2011 sera la plus mortelle pour les réfugiés», indique le rapport des deux ONG. Une moyenne qui dépasse de loin le macabre décompte «habituel» par année.
«En 2006, 2000 morts avaient été recensés, pour toute l’année, et 1785 en 2007. Toutes les autres années, le nombre de morts répertoriés était inférieur à 1500», souligne le même rapport. L’impact de la situation qui prévaut en Afrique du Nord, cette année, n’est pas étranger à cette hausse du nombre de réfugiés en partance vers l’Europe. Une Europe, on ne cessera jamais de le rappeler, qui ferme ses frontières à ces réfugiés. Les deux ONG, qui ont établi leur rapport en scrutant depuis des mois tous les comptes rendus de presse et rapports officiels, qualifient cette situation de «guerre aux migrants». A l’occasion de la Journée mondiale des réfugiés, célébrée chaque année le 20 juin, le rapport estime que la situation n’a jamais été aussi désastreuse que cette année. «Depuis janvier, United a recensé 1478 morts aux frontières, dont 1387 noyés en tentant de fuir la Tunisie ou la Libye, portant à 15 551 le nombre de morts recensés depuis 1993. Fortress Europe évoque, de son côté, 1802 décès, soit 17 627 depuis 1988.» Il est utile de noter que les chiffres avancés ne sont l’estimation que des cadavres repêchés, l’ONG United précise que «le total peut être multiplié par trois».
Etayant le rapport en citant des exemples concrets, il est noté qu’en mars dernier «un navire en partance de la Libye pour Lampedusa, avec à son bord 308 personnes, a été déclaré manquant. Deux autres bateaux ont ensuite coulé, entraînant la mort de 251 migrants, puis 251 autres en avril, 270 en juin…». Chaque mois porte son lot de victimes à la recherche de l’asile européen. Outre la noyade, des harraga, comme c’est ainsi qu’on nomme de ce côté-ci de la Méditerranée les réfugiés, meurent aussi par suicide, quand ils apprennent leur refoulement, une fois arrivés sur les côtes européennes. Les dictatures du Sud et les difficultés économiques sont les premières causes de ce drame humain qui se déroule en pleine mer Méditerranée, mais la fermeture des frontières européennes et le barrage à la libre circulation des personnes en est aussi une cause importante. Le nombre de décès en mer – dont les corps ont été repêchés – qui avait connu une tendance baissière en passant de 1785 en 2007, à 1430 en 2009, et 208 en 2010, enregistre une hausse très importante durant seulement ce premier semestre 2011. Les naufragés, fuyant les garde-côtes des deux rives de la Méditerranée, meurent seuls en mer. Même les pêcheurs refusent de les secourir.
Le site internet Owni cite des pêcheurs qui disent que «parfois des cadavres humains s’accrochent aux filets. Généralement, on a ordre de les rejeter. Ce qui vient de la mer, on le rend à la mer : c’est ce que dit le capitaine». L’azur de la Méditerranée se referme sur des vies humaines dont le crime est de réclamer un meilleur vivre. Les yeux de ces milliers de jeunes se referment en ayant, pour dernière image, une vue d’un ciel sous lequel ils voulaient vivre. Fuyant l’intenable vie de leur pays d’origine, ils se retrouvent face à un vieux continent qui leur nie le droit de fouler son sol. Entre les deux, c’est la Méditerranée vorace qui leur ouvre ses bras de Faucheuse.
Nadjia Bouaricha, pour El Watan