Dans l’enceinte même de La Mecque (Arabie Saoudite), premier lieu saint de l’Islam, les indigents sont essentiellement des Africains subsahariens. Certains mutilés, furètent même dans les ordures pour se rassasier. La mendicité est monnaie courante chez les femmes, tandis que leurs époux tentent, tant bien que mal, de gagner quelques deniers.
Nassim Zerrouki
Le « rêve saoudien » fait des émules parmi certains Africains qui n’hésitent pas à traverser la mer Rouge, pour y construire une vie meilleure. La Mecque (Arabie Saoudite) est une destination très prisée par les émigrants d’Afrique noire. Mais à défaut d’un bel accueil, d’indulgence et de générosité, ils sont en proie à l’indigence et à l’opprobre d’une société hypocrite et arrogante.
La débonnaire Arabie Saoudite est la garante des deux premiers lieux saints de l’Islam, La Mecque et Médine, elle est réputée pour sa rigueur quand à l’application stricto sensu du dogme islamique. Par son discours religieux idéaliste, elle se veut leader du monde musulman et paraît un havre de paix et de justice pour qui à la chance d’y vivre. On est loin de s’imaginer qu’une ploutocratie gavée surplombe une plèbe. Khaled Slama, un jeune français d’origine tunisienne nous révèle, avec beaucoup de tristesse, son désenchantement il y a cinq ans, à la fin du ramadan, lors d’une umra (‘petit pèlerinage’). « Quel choc pour la vue et pour le cœur quand à l’approche du lieu saint on découvre des trottoirs bondés de mendiants essentiellement d’Afrique noire, en général des femmes et des enfants », explique-t-il avec émoi. « Il y a de quoi être déçu des instances religieuses et des dirigeants musulmans », poursuit-il avec écœurement. « ‘ C’est ça La Mecque !’, me suis-je dis après l’impact que mon âme ‘corrompue’ d’occidentale ait subit à la vue de ces images. Je venais de France, pays qualifié de ‘mécréant’ par certains théologiens musulmans et j’ai vu des scènes de désolation en lieu et place du berceau de l’Islam, religion où l’on n’est croyant que si on aime pour son frère ce que l’on aime pour soi ».
Principalement issus du Nigeria et du Niger
Mohamed Ibn Mustafa, d’origine soudanaise, a vécu jusqu’à l’âge de 24 ans à La Mecque. Il confirme posément les dires de Khaled et affirme avec peine : « Il y a pas mal de Noirs qui viennent principalement du Nigeria et du Niger, nombre d’entre eux sont mutilés, il leur manque un bras ou une jambe. Personne ne s’en occupe. On peut aussi voir des enfants fouiller dans les poubelles ou même voler, au risque de sévères châtiments, pour trouver de quoi manger ». L’Arabie Saoudite avec ses pétrodollars est loin d’être une sinécure, les hommes occupent des portefaix, font du porte à porte pour vendre des broutilles, effectuent des heures de ménages peu rémunérées. Pour autant, Mohamed souligne que certains arrivent à tirer leur épingle du jeu, notamment en lavant des voitures, un secteur apparemment florissant dans le pays.
« Connaissant la mentalité des Saoudiens, aveuglés par les richesses provenant de l’or noir, cela ne m’étonne pas. Ils se concurrencent dans l’hédonisme, c’est à qui aura la plus belle voiture, la plus belle demeure ou même la plus belle favorite. La consommation engendre l’égoïsme, l’arrogance et l’orgueil, commente Mohamed désabusé. C’est une société hypocrite où l’on exploite l’image d’une religion afin de masquer des malaises sociaux qui pourraient déstabiliser le Pays. Tout y existe homosexualité, prostitution, consommation de drogue et d’alcool, etc. Mais tous ne sont heureusement pas comme ça », affirme t-il.
Un quartier nommé Chari’ 60
Le ghetto africain de La Mecque s’appelle Chari’ 60 (la 60ème rue). Un endroit scabreux et malfamé. « Ce sont apparemment des Nigérians qui y vivent », témoigne Khaled. Mohamed, lui, connaît bien ce quartier qui jouxte l’enceinte du haram (mosquée sainte). « Ils s’adonnent aux trafics en tout genre, trafic d’êtres humains, drogue, vol, etc », assure t-il. Les habitats informels constituant ce quartier sont de petites maisons délabrées. Le petit camion citerne, aux allures de brouette motorisée, qui ravitaille les populations, a du mal à passer entre les ruelles étroites et caillouteuses.
« Parfois des débordements ont lieu avec la police lors de contrôles d’identités ou de provocations de la part des autorités », dit sévèrement M. Ibn Mustafa. Les contrôles d’identités sont toujours très tendus, car l’issue peut être une reconduite à la frontière en cas d’irrégularités de la part des immigrants. Certaines fois les choses peuvent aller très loin, comme en témoigne Amnesty international. L’organisation explique qu’en Arabie Saoudite : « Il arrive (…) que la condamnation repose uniquement sur des ‘aveux’ obtenus par la contrainte, par la torture ou par des moyens fallacieux ». Certains procès d’immigrés se feraient même sans avocat, sans représentant consulaires et les discussions se feraient uniquement en arabe.
Une main d’œuvre corvéable à merci
Beaucoup d’Africains en situation irrégulière sont expulsés. Il est toutefois très difficile d’appliquer une politique d’immigration efficace. Chaque année des candidats à l’immigration clandestine débarquent par milliers pendant la période du pèlerinage. Toutefois, Mohamed explique que, comme dans beaucoup de pays, ces populations immigrées en situation irrégulière arrangent les classes sociales dirigeantes, car ces migrants s’occupent des corvées dont personne ne veut. « Ils ne sont sous la protection d’aucune législation, on peut en faire ce que l’on veut et ils doivent se soumettre pour ne pas avoir de problèmes avec la police, par exemple. Ils sont ignorés et méprisés en même temps », soutient-il avec abattement.
« Il est compréhensible qu’un Etat aussi attractif de par ses richesses prenne des dispositions pour régler les flux d’immigration. Cependant l’état de précarité des populations négro-africaines est alarmant. La monarchie Saoudienne devrait appliquer au sein du lieu saint les préceptes de l’Islam appelant à l’égalité et à la fraternité. N’est-il pas étonnant de laisser se propager tant de souillure en terre pure ? », s’interroge Kahled.