La lutte sénégalaise est un sport traditionnel très populaire au Sénégal, tout particulièrement dans les régions du Sine-Saloum et de la Casamance. Il est également pratiqué en Gambie. Au départ sport amateur, la lutte sénégalaise est devenue un sport professionnel qui attire de plus en plus de jeunes sportifs ainsi que de spectateurs, et les cachets des lutteurs s’élèvent à des dizaines de millions de FCFA.
Extrêmement populaire dans ce pays d’Afrique de l’Ouest, les origines de la lutte sénégalaise remontent aux cérémonies célébrant la fin des récoltes dans les ethnies sérères et diolas. Chaque soir, les habitants d’un village donné, se donnant rendez-vous au beau milieu de la place, où les gaillards, encouragés par les acclamations des femmes, se jaugeaient. Si à l’époque la lutte se faisait sans frappe, aujourd’hui, la discipline a évolué. En plus d’être devenue un business, la lutte sénégalaise intègre la frappe. Les lutteurs se battent à mains nues et parfois au sang.
Une tradition devenue un véritable business
La lutte est auréolée de nombreux rituels mystiques, qui sont autant de chants de bravoure censés galvaniser les lutteurs, mais aussi de danses. Le tout est suivi par des cérémonials pour conjurer le mauvais sort avant chaque combat. Lors des combats qui se livrent dans le stade, avant de s’empoigner, les combattants, portés par les chants des griots, suivent un long et minutieux rituel, au cours duquel ils s’enduisent entièrement le corps de « liquide magique ». Ils nouent également des gris-gris à leur taille, autour des poignets et des biceps ou des chevilles.
Avant chaque confrontation, le lutteur se livre à des séances de tousse (danse) ou au bakk qui consiste à chanter ses prouesses en vue d’intimider l’adversaire et de séduire son public, tout en dansant au rythme des tam-tams. Lors des combats, quand un combattant renverse son adversaire, les cris des supporters rivés à leur poste de télévision s’élèvent des maisons, comme lors des matches de l’équipe nationale de football, seule discipline capable de rivaliser avec l’appel des arènes dans le cœur des Sénégalais. La vie s’arrête pratiquement lors des grandes confrontations, annoncées des semaines voire des mois à l’avance, par des affiches et des spots publicitaires.
Ainsi, au fil du temps et du succès, les combats deviennent de plus en plus importants, les cachets des lutteurs aussi montent en flèche. De 50 000 FCFA, le cachet d’un lutteur peut grimper jusqu’à 150 millions de FCFA, au bout de quelques deux ou trois ans, compte tenu du talent et/ou de la popularité de l’athlète. Dans la lutte sans frappe, qui se pratique toujours au Sénégal, le vainqueur du tournoi peut emporter avec lui du bétail, des céréales et d’autres biens en jeu, en plus d’une somme d’argent pouvant aller jusqu’à 5 millions FCFA. Quant à la lutte avec frappe, ce sont des victoires directes avec des cachets après chaque combat livré.
De véritables montages financiers
Si la lutte a atteint un certain niveau, c’est en grande partie grâce aux bailleurs. Ceux-là qu’on appelle les promoteurs. Ils sont les financiers de la lutte, gérée par un Comité provisoire qui est délégataire de pouvoir attribué par le ministère sénégalais des Sports. Il s’agit du CNG (Comité national de gestion) de la lutte, dont le siège se trouve au niveau du stade Léopold Senghor. C’est dans ces locaux que les combats sont régularisés. Les cachets des lutteurs y sont consignés avant la confrontation. Le lutteur empoche la moitié du cachet au moment du montage et le solde après le combat. Certains lutteurs qui enfreignent les règles peuvent perdre une partie de leur cachet, pouvant aller jusqu’à la moitié du reliquat. Des mesures visant à calmer l’ardeur des mastodontes qui peuvent s’adonner à des pratiques dangereuses (bagarre avant combat, injures, agressions…). Un retard peut aussi entraîner des rétentions financières chez le lutteur.
Pour monter un combat, chaque promoteur y va de sa stratégie. Certains d’entre eux qui sont liquides peuvent se permettre de financer leur gala sur fonds propres et inviter des sponsors. D’autres par contre sont obligés d’avoir la garantie de leurs différents sponsors avant de penser monter un combat de lutte, surtout lorsqu’il s’agit des combattants dits VIP dont les cachets individuels peuvent tourner autour de 150 millions FCFA. Organisation qui nécessite donc près de 500 millions de FCFA. De gros paquets d’argent. Les recettes tirées des ventes de billets d’entrée au stade complètent les gains du promoteur qui prend des risques énormes, car pouvant perdre, en une seule soirée, des dizaines de millions.
« Les Sénégalais aiment la lutte, et chaque génération a son champion, avec un style, une vivacité, où une tradition qui a un peu changé… Aujourd’hui les sponsors ont un peu fait dévier la tradition, en faisant porter aux lutteurs des survêtements par exemple, alors que nous avions les tenues traditionnelles. C’est le côté marketing de la lutte, mais sans sponsor on ne peut atteindre des cachets de l’ordre de 50, 80, 100 millions de francs CFA ! », souligne l’ancien lutteur sénégalais Hyacinthe Ndiaye alias Manga 2, un colosse de plus de 130 kg, terreur à son époque, ayant reçu le prestigieux titre de « roi des Arènes », en 1984.
La lutte, dans ses origines traditionnelles, est inscrite comme sport national au Sénégal et elle se professionnalise à un niveau international grâce à des investissements importants. Malgré son évolution, elle continue à faire vibrer les générations. Aujourd’hui, ils sont nombreux les jeunes à s’adonner à ce sport qui nourrit bien son homme. Puisqu’un lutteur, en un seul combat, peut gagner trois ans de salaire d’un ministre de la République.
Avec AP21