Les représentants de sept pays d’Afrique étaient réunis le 16 mars à Alger. Ils ont manifesté leur volonté de renforcer la coopération en matière de lutte contre le terrorisme.
Les chefs de la diplomatie de l’Algérie, du Burkina Faso, de la Libye, du Mali, de la Mauritanie, du Niger et du Tchad ont évalué la situation sécuritaire dans la région sahélo-saharienne. Outre la mise en commun de moyens militaires et de renseignements, les pays participants ont insisté sur le fait qu’il faut privilégier le développement économique de la région. Un processus sans lequel une réelle paix au Sahel ne saurait aboutir. Décryptage d’Antonin Tisseron, chercheur associé à l’Institut Thomas More.
Afrik.com : Que faut-il retenir de la conférence, tenue à Alger le 16 mars dernier, sur la sécurité au Sahel ?
Antonin Tisseron : Cette conférence, qui réunissait les ministres des Affaires étrangères de 7 pays de la zone sahélo-saharienne, n’est pas la première initiative dans la région. Par exemple, en juillet 2009, lors du sommet de l’Union africaine à Syrte, l’Algérie, la Libye et le Mali ont annoncé mettre en commun leurs moyens militaires et de renseignements. Aussi bien du point de vue du nombre de pays associés que des mesures annoncées, cette dernière conférence va néanmoins dans le bons sens. D’une part, la lutte contre le terrorisme ne pourra se faire sans approche globale unissant les acteurs de la région. D’autre part, outre le projet d’organiser des réunions entre les responsables politiques et militaires des sept pays, les participants à la conférence tenue à Alger ont souligné, qu’au delà des problématiques sécuritaires, la lutte contre le terrorisme et la criminalité doit s’appuyer sur le développement économique. On ne peut en effet avoir de sécurité réelle et durable sans s’attaquer aux racines de la violence. Par contre, il faut aussi souligner le caractère inabouti de la démarche en raison de l’absence de pays pourtant concernés par la problématique du terrorisme. C’est en premier lieu le cas du Maroc, mais aussi d’autres pays comme la Tunisie ou le Sénégal, dont le président a appelé le mois dernier à une lutte régionale contre Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI, ndlr).
Afrik.com : Pourquoi le Maroc, pourtant concerné par la problématique, n’a-t-il pas été convié à la rencontre d’Alger ?
Antonin Tisseron :Le ministère des Affaires étrangères marocain a effectivement publié un communiqué dans lequel il déplore avoir été mis à l’écart de la conférence d’Alger alors qu’il avait officiellement demandé à y participer. Ce refus d’Alger est bien entendu inséparable de l’antagonisme entre le Maroc et l’Algérie autour du Sahara Occidental depuis 1963. La réunion organisée à Alger, tout en cherchant à répondre à l’un des enjeux importants de la région pour demain, relève indubitablement d’une tentative de la diplomatie algérienne pour marginaliser son voisin, pourtant lui aussi en première ligne dans la lutte contre le terrorisme dans le Sahel. L’attitude d’Alger est malheureusement révélatrice de la force des logiques politiques qui gangrènent l’intégration régionale et la construction de l’UMA (Union du Maghreb Arabe, ndlr). Des logiques qui font que l’on ne peut parler aujourd’hui que de « non-Maghreb » et sont contraires aux impératifs de la lutte contre le terrorisme à court, moyen et long terme, notamment en raison de leur impact sur le développement de la région.
Afrik.com : D’où vient l’AQMI et pourquoi a-t-elle investi le Sahel ?
Antonin Tisseron :La menace de l’islamisme radical et du terrorisme est ancienne pour les Etats du Maghreb. Avec les attentats du 11 septembre 2001 et l’invasion de l’Irak en 2003, les mouvements terroristes ont trouvé un nouveau souffle et cherché à se donner une nouvelle dimension, tant régionale qu’internationale. Dans cette perspective, le Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat en Algérie s’est rallié à Al-Qaïda et a pris, en janvier 2008, le nom d’AQMI. Après une explosion des violences entre 2001 et 2008, l’année 2008-2009 a marqué une rupture dans le développement d’AQMI. Deux raisons peuvent notamment être évoquées : l’islam modéré du Maghreb n’a pas permis un ancrage solide du discours islamique et l’Algérie a enregistré plusieurs succès contre les groupes terroristes. Le déplacement du terrorisme vers le Sahel est en cela une conséquence de l’absence de prise du terrorisme au Maghreb. Profitant de la porosité des frontières et des manques de contrôles, les mouvements djihadistes se sont redéployés dans ce sud du Maghreb où ils ont développé des activités criminelles, comme l’enlèvement suivi d’une demande de rançon, devenu un véritable business fort lucratif. Lors de la conférence d’Alger, les participants ont d’ailleurs réaffirmé toute opposition au paiement de rançons, criminalisé par l’ONU en décembre 2009 à la suite d’une demande de l’Algérie. Cet enjeu est en effet crucial car les rançons, tout comme les libérations de terroristes, renforcent le terrorisme. A ce propos, la libération de l’otage français Pierre Camatte en échange de celle de quatre terroristes, a suscité de fortes critiques de la part de l’Algérie et de la Mauritanie. En demandant la libération des otages, les Etats européens risquent selon eux de nourrir le terrorisme et de relancer une mouvance pourtant mise à mal ces dernières années.
Afrik.com : Un certain nombre d’observateurs craignent que les interventions étrangères, celle des Etats-Unis notamment, ne poussent les groupes armés à plus de radicalisation. Qu’en pensez-vous ?
Antonin Tisseron :La radicalisation des groupes armés a été nourrie par la politique étrangère américaine des années 1990 et 2000 et le conflit israélo-palestinien. D’ailleurs l’un des espoirs lié à l’élection de Barak Obama était de voir changer l’image des Etats-Unis dans le monde, mais je serai assez nuancé sur ce point malgré le discours du Caire. Quoi qu’il en soit, les pays du Sahel ont tout à gagner dans la lutte contre le terrorisme à s’appuyer sur les financements et l’expertise américaine, et même européenne. En effet, les Etats-Unis et l’Europe n’ont pas la même vision du monde et leur approche peut être complémentaire. D’autant que le meilleur moyen de lutter contre la radicalisation, dans des pays où la population est majoritairement jeune et dans lesquels le chômage est important, est de privilégier le développement économique et l’ouverture politique. C’est la condition d’une pacification et d’un renforcement de la région sahélo-saharienne.