Le tribunal de Dakar, au Sénégal, a relaxé vendredi l’homme d’affaires Bara Tall et ses trois co-accusés, que l’Etat poursuivait pour détournement de deniers publics, faux et usage de faux. La fin d’un long feuilleton politico-judiciaire démarré en 2005.
De notre correspondant
Le verdict est tombé. Dans l’affaire opposant l’entrepreneur Bara Tall à l’Etat du Sénégal, le patron de Jean Lefèvre Sénégal et ses co-prévenus ont été relaxés. Bara Tall, Marwan Zakhem, El Hadji Seyni Seck et Massamba Sall Samb étaient poursuivis pour détournements de deniers publics, surfacturation de plus de 10 milliards de francs CFA (environ 15 millions d’euros) et escroquerie dans le cadre des chantiers de Thiès. Le 17 avril dernier, après trois jours d’audience, le parquet avait requis cinq ans de prison ferme et une amende de cinq millions de FCfa contre Bara Tall, le principal prévenu dans ce dossier. Les quatre accusés ressortent finalement libres. Le président du tribunal a même ordonné la restitution des cautions versées par les prévenus.
Pour soutenir Bara Tall, de nombreux travailleurs de l’entreprise Jean Lefèvre, des membres de la société civile et des ténors de l’opposition avaient fait le déplacement jusqu’au Palais de Justice. Tôt le matin, les partisans de Bara Tall ont pris d’assaut les bancs de la troisième chambre du tribunal correctionnel de Dakar. Une affluence des grands jours qui a même obligé le tribunal à refuser du monde à l’entrée. À l’annonce du délibéré, un grand soulagement a parcouru les rangs de l’assemblée.
« La victoire du peuple »
Pour les leaders de l’opposition présents à l’audience, la relaxe de Bara Tall sonne comme une victoire de la mobilisation du peuple sénégalais derrière l’ancien magnat du BTP. « Je pense que le droit a été dit et appliqué à travers ce verdict rendu par le tribunal. C’est le résultat d’une mobilisation des politiques, de la société civile et de l’ensemble des populations », se félicite par exemple Moustapha Niasse de l’Alliance des forces de progrès (AFP). Abdoulaye Bathily, secrétaire général de la Ligue démocratique (LD), y voit lui « la victoire du peuple qui s’est mobilisé comme un seul homme pour que la justice soit restaurée dans ce pays ». Les barons de l’opposition restent toutefois mesurés. « Le combat n’est pas encore terminé, nuance Abdoulaye Bathily. Ce n’est qu’un premier round qui a été remporté par ceux qui luttent pour l’indépendance de la justice ».
Au Sénégal, le secteur de la Justice connaît actuellement une crise profonde. Et, depuis le début du mois, une grève des magistrats paralyse le fonctionnement du système judiciaire, empêchant la tenue des audiences et la délivrance de documents administratifs. Le verdict dans l’affaire Bara Tall était d’ailleurs attendu pour mardi avant d’être reporté. Outre une hausse de leur indemnité de logement et de meilleures conditions de travail, les magistrats réclament le respect de l’indépendance de la Justice, la fin de l’impunité et « la fin de l’ingérence de l’Exécutif ».
Un procès politique ?
Récemment, la presse avait d’ailleurs fait état de l’existence de « deux réquisitoires contradictoires » du procureur de la République dans l’affaire des chantiers de Thiès. L’hebdomadaire sénégalais La Gazette a ainsi publié le fac-similé d’un réquisitoire du parquet qui demandait le non-lieu pour Bara Tall. Réquisitoire auquel a finalement été préféré, deux mois plus tard, un autre totalement inverse. Le procureur avait immédiatement convoqué une conférence de presse pour démentir.
Depuis le départ de cette affaire, l’entrepreneur a toujours expliqué que le dossier avait été monté de toutes pièces et qu’on lui faisait payer les refus successifs qu’il a opposés au pouvoir, notamment quand on lui demandait d’être complice de l’élimination politique d’Idrissa Seck. Accusé de détournement de fonds, corruption, faux et usage de faux, l’ancien Premier ministre avait passé sept mois derrière les barreaux avant d’être blanchi par la Haute cour de Justice en mai 2009 dans ce qui constitue le premier volet de l’affaire des chantiers de Thiès. Le patron de Jean Lefebvre Sénégal a lui été placé en détention préventive après son inculpation entre décembre 2006 et fin janvier 2007. Privé par la suite des marchés publics, Bara Tall a dû se résoudre à déclarer son entreprise en faillite.
Lors du procès, la partie civile s’est appuyée sur un rapport de l’inspection générale d’Etat (IGE). Selon celui-ci, l’entrepreneur Bara Tall aurait surfacturé des travaux qu’il devait effectuer à Thiès. La partie civile estimait alors qu’il s’agissait d’une « escroquerie générale » montée par Bara Tall, qu’elle accusait d’avoir profité d’un marché de gré à gré. À la barre, 15 témoins ont tout à tour contesté ce rapport. Si la défense se déclare « soulagée », la partie civile « prend acte de cette décision » et salue dans ce verdict un signe de « l’indépendance de la justice ».
De son côté, Bara Tall sort blanchi de son long bras de fer avec l’Etat sénégalais et doit savourer. Réputé fier, le Toucouleur avait fait de cette bataille judiciaire une question d’honneur. Mais, la guerre n’est pas pour autant finie. Désormais engagé dans un combat avec les tenants du pouvoir, l’homme d’affaires a annoncé l’année dernière son intention de mettre en place un mouvement pour « fédérer toutes les forces de la société civile qui aspirent à un Sénégal gouverné autrement ». Propriétaire du groupe de presse Info 7, l’entrepreneur peut au moins compter sur le soutien de centaines d’anciens employés de Jean Lefèvre Sénégal aujourd’hui au chômage. En favorisant une alternance au sommet de l’Etat l’an prochain, Bara Tall pourrait bien tenir sa revanche.