Au lendemain de la libération provisoire du journaliste Moussa Kaka, Afrik.com revient sur la liberté de la presse au Niger. Laoual Sallaou Ismaël, secrétaire général de l’ANEPI et directeur de publication de la revue indépendante La roue de l’Histoire, nous parle des conditions de travail des journalistes dans son pays. Il dresse un tableau plutôt sombre.
Pour un pays enclavé au milieu du Sahel, le Niger aura malgré tout réussi à braquer les projecteurs sur lui ces derniers mois. Journalistes emprisonnés, intimidés, mis en demeure ou arrêtés pour avoir évoqué des sujets qui fâchent, fermeture de la Maison de la Presse le 30 juin dernier, la liberté de la presse au Niger a du plomb dans l’aile. Après avoir passé plus d’un an enfermé, Moussa Kaka, le correspondant de Radio France International, Reporters Sans Frontières et directeur de la radio privée nigérienne Saraounia a été remis en liberté provisoire. Accusé de « complicité d’atteinte à l’autorité de l’État » pour avoir interviewé Agaly Alambo, chef du Mouvement des Nigériens pour la Justice (MNJ), il a déclaré à sa sortie de prison : «Je suis très ému car je reviens de très loin, sincèrement à la limite des portes de l’enfer ». Le Niger était classé 89ème sur 169 au classement 2007 de la liberté de la presse de Reporters Sans Frontières. Bien que démocratiquement élu en 1999, le gouvernement nigérien et son président Mamadou Tandja refusent toujours d’entendre certaines vérités et musellent la presse. Impossible par exemple d’évoquer le conflit qui sévit au nord depuis le début des années 1990. Les rebelles touaregs sont régulièrement qualifiés par les pouvoirs publics de « brigands en armes » et de « coupeurs de route ». Sur l’état de la liberté de la presse et la pratique de son métier, Laoual Sallaou Ismaël s’est livré à nous.
Afrik.com : Quelle a été votre réaction à l’annonce de la libération provisoire de Moussa Kaka ?
Laoual Sallaou Ismaël : C’est toujours un soulagement d‘apprendre la libération d’un confrère qui a passé plus d’un an en prison. C’est aussi un soulagement d’apprendre que toutes ces querelles de procédure sont terminées. Notre organisation était très mal à l’aise. Il y a eu toute une campagne de dénigrement de la part du gouvernement et des médias d’Etat qui ont fait pression sur Moussa Kaka. Ça a été très difficile pour lui.
Afrik.com : Quelles pressions ont permis sa libération ?
Laoual Sallaou Ismaël : Il y a eu une conjugaison de facteurs. La campagne de RFI a été payante et déterminante, c’est sûr, mais elle nous a aussi beaucoup nui ici au Niger. Les journalistes ont été encore plus mal perçus qu’avant. L’important est qu’il soit libre en tous cas. La visite du président de l’audiovisuel extérieur français qui s’est entretenu avec Mamadou Tandja a aussi contribué a apaiser la situation.
Afrik.com : Qu’en est-il des conditions du travail des journalistes indépendants au Niger ?
Laoual Sallaou Ismaël : Il y a clairement une entrave à la liberté de la presse. Il nous est impossible de nous rendre sur le terrain. Le gouvernement fait constamment obstruction à notre travail. Nous ne pouvons pas nous rendre dans la région d’Agadez par exemple (au Nord du pays) . Vous avez vu le sort qui a été réservé aux journalistes d’ARTE. Même les journalistes étrangers n’ont pas le droit d’aller dans le Nord du pays. C’est connu, c’est un secret de polichinelle.
Afrik.com : Que pensez-vous de l’affaire Dounia?
Laoual Sallaou Ismaël : L’argument qui a été invoqué, à savoir le « non respect du cahier des charges », était à mon sens très fallacieux. Le gouvernement a dit que la chaîne ne respectait pas sa « mission d ‘information publique ». Le Conseil supérieur de la communication (CSC) a très clairement abusé. La ligne éditoriale ne plaisait pas, c’est tout.
Afrik.com : Est-ce possible de parler de la rébellion du Nord du pays même sans s’y rendre ?
Laoual Sallaou Ismaël : Des confrères ont été accusés de complicité pour avoir publié en une des photos du MNJ, c’est ridicule. La parole vous est accordée uniquement si vous vous attaquez aux rebelles. La réaction des institutions est déséquilibrée. Tout est prétexte à arrêter des journalistes. On arrive presque à une incitation à la haine ethnique envers tous les Touaregs, rebelles ou pas. Les médias d’Etat sont des instruments de propagande. Les hommes politiques peuvent aller dans les journaux d’Etat et écrire leurs éditos. Les médias d’Etat qu’ils soient télévisés, radio, ou écrits n’ont pas de sanction parce qu’ils vont dans le sens du gouvernement.
Afrik.com : Quels sont vos financements et vos conditions matérielles de travail ?
Laoual Sallaou Ismaël : Il n’y a presque aucun financement pour les médias privés et indépendants par contre tous les médias publics, d’Etat, en ont et même beaucoup. Les conditions de travail matérielles sont difficiles. On fait avec les moyens du bord. On vit de la publicité mais celle-ci est très limitée. Elle augmente un peu grâce aux opérateurs de téléphonie qui se développent au Niger mais ça reste très limité. Les salaires sont très bas. Le Fonds d’aide à la Presse qui a été créé en 2003 n’a pas été libéré avant 2007. Pour y avoir droit, les journaux doivent remplir certaines conditions : paraître au moins 40 semaines sur 52, avoir une comptabilité en règle, du personnel rémunéré. En 2007, 16 journaux privés sur 44 en ont bénéficié. Il n’y a pas de ligne éditoriale à suivre mais 70% des articles doivent respecter la « mission d’information publique ». La Premier Ministre Hama Amadou avait été très clair en disant qu’il ne donnerait pas d’argent aux personnes qui l’accusaient.
Afrik.com : Que pensez-vous de l’arrestation de l’ex-Premier Ministre Hama Amadou, accusé de détournement des fonds destinés à la presse ?
Laoual Sallaou Ismaël : C’est difficile de démêler le vrai du faux. C’est un problème politique. Quand il a été accusé, toute la classe politique a été unanime pour le mettre à l’écart. La presse, qui ne lui avait pas pardonné, l’a enfoncé. La présidence a alors laissé la presse s’exprimer cette fois-ci. Maintenant qu’il y a des doutes qui planent sur sa culpabilité, cela devient un peu plus politique. On ne peut plus tout dire.
Afrik.com : Pensez-vous que la libération de Moussa Kaka va détourner les projecteurs braqués sur le Niger et que le combat pour la liberté de la presse va tomber aux oubliettes ?
Laoual Sallaou Ismaël : Cette mobilisation a eu des effets positifs bien sûr, la libération de notre confrère avant tout. Mais nous étions malgré tout mal à l’aise d’entendre critiquer aussi souvent et de façon si virulente notre pays. Le Niger a été très mal perçu à l’étranger même par des gens qui n’y avaient jamais mis les pieds. J’espère quand même que l’affaire sera suivie. J’ai entendu des gens dire «Pour sa sécurité, il faudrait mieux que Moussa Kaka reste en prison. Il risque d’être intimidé à l’extérieur. » C’est très grave et c’est dommage. La justice doit primer.
Afrik.com : Cette libération est-elle utile aussi au gouvernement ou est-ce plutôt,pour lui, le signe d’un échec ?
Laoual Sallaou Ismaël : Non, cette mise en liberté du journaliste pourrait profiter à l’Etat et au gouvernement. Depuis toute cette histoire, le Niger avait une très mauvaise image. Tout le monde avait l’impression que rien n’allait dans notre pays. Il y a eu un terrible black out sur le Niger. Il y a quand même des progrès, même s’ils sont minces, et c’est encourageant.
Afrik.com : Pensez-vous que cela arrange la France et ses entreprises au Niger que le Nord ne soit pas accessible aux journalistes ?
Laoual Sallaou Ismaël : Il y a souvent des campagnes déployées ici contre l’exploitation minière. Notre sentiment nationaliste est trop exacerbé, je pense. On répète sans cesse que l’ancienne métropole ne se préoccupe pas assez de la population des vieilles colonies mais ce n’est pas ça le problème. Des entreprises comme Areva n’ont pas suffisamment communiqué. Il s’agit d’un ballet diplomatique souterrain et c’est ce qui nous inquiète surtout, l’opacité.
Afrik.com : Combien de journalistes ont rencontré des problèmes avec les autorités nigériennes cette année ?
Laoual Sallaou Ismaël : Moussa Kaka a été le plus médiatique, mais il y a eu aussi le cas d’un directeur de publication qui a fait un mois de prison pour « atteinte à l’autorité de la justice ». Il avait en fait parlé d’une affaire mettant en cause le président de la communauté urbaine de Niamey. Ce sont les deux seuls qui aient fait de la prison à mon souvenir. Il y a eu trois interpellations. Ce qui est courant dans notre métier ce sont les nombreuses sanctions. Celles-ci sont quotidiennes : mise en demeure du média, interdiction de publication, fermeture de chaines, de journaux, arrêt des subventions, amendes… L’année qui s’achève a été la plus dure pour nous, avec des sanctions quotidiennes.
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Réseau des Journalistes pour les Droits de l’Homme