Le plus africain des Français ou le plus français des Africains? Hervé Bourges signe cette année un nouvel essai percutant, rapide comme un coup de poing, profond comme sa mémoire d’éléphant, décapant comme son humour. A lire en priorité par tous ceux qui n’ont pas encore saisi que l’avenir se joue désormais en Afrique.
Le titre résume le thème de l’essai : « L’Afrique n’attend pas ». Elle n’attend pas d’avoir convaincu les afro-pessimistes éternels. Elle n’attend pas les anciennes puissances coloniales, renvoyées à leurs vieilles lunes et à leurs tristes gesticulations identitaires… Elle n’attend pas les aides, elle n’attend pas les conseils. Elle est désormais en position d’inventer, de donner des leçons, de prendre la tête du peloton.
Après l’étouffoir de la dette, l’élan de la croissance
Les dix dernières années ont été pour le continent dix années de croissance forte, contre dix ans de stagnation en Europe. L’Afrique s’est libérée, pour l’essentiel, des chaînes de la dette, astucieuse méthode par laquelle les financiers de la planète lui maintenaient la tête sous l’eau dans les années 1990. Entre 1970 et 2002, l’Afrique a en effet bénéficié de 540 milliards de dollars de prêts… Mais dans le même temps elle en a remboursé 550 ! Et elle devait encore près de 300 milliards. Belle générosité occidentale qui s’est payée au double de ce qu’elle a prêté. Le scandale sera bientôt terminé, les annulations de dettes se succèdent. Autant dire que l’étouffoir financier disparaît. Avec des conséquences immédiates en termes de croissance !
Un continent de création
Du coup, l’Afrique révèle sa prodigieuse fécondité. Continent des origines de l’humanité, par définition continent de création et de génèse, l’Afrique est aujourd’hui terre nourricière pour la production artistique et culturelle du reste du monde, ses artistes innovent dans les genres les plus divers, musique, peinture, sculpture, architecture, littérature, théâtre, danse, mode, toutes les muses se sont données rendez-vous sur cette terre si bien chantée par Senghor. Révélation pour un marché de l’art qui tourne en rond en Europe et singulièrement en France : les inventeurs de nouvelles esthétiques sont africains, ou nourris par l’Afrique, et Hervé Bourges les évoque avec justesse et gourmandise.
Un continent carrefour où le monde entier se retrouve
Cette nouvelle ère des cultures africaines possède une caractéristique déroutante : c’est tout, sauf un repliement sur les expressions du passé, une réduction rétrospective aux identités minimales, comme ce que vivent nombre de pays d’Europe… L’Afrique qui se lève devant nous est toute tournée vers l’avenir, décomplexée de son histoire, elle coïncide à notre futur mondialisé. Dans un monde multipolaire, elle brise les relations bilatérales héritées d’un temps honni, et elle adhère à ce qui fera la spécificité du siècle qui s’ouvre : la communication mondiale, l’ouverture des marchés et des esprits, le métissage des influences. Ce qu’Hervé Bourges décrit parfaitement, par l’exemple, c’est une Afrique partenaire du Brésil de l’Iran, de la Chine, de l’Inde, première bénéficiaire des nouveaux courants économiques mondiaux qui ne passent plus par l’Amérique du Nord ou l’Europe de l’Ouest.
Communication mondiale et Francophonie rayonnante
L’Afrique décomplexée, c’est aussi une Afrique qui s’assume francophone, anglophone, lusophone, et qui ne crache plus sur les langues internationales qu’elle s’est appropriée. Cinéastes et créateurs de mode nigérians circulent de New-York à Sidney, réalisateurs et publicitaires sénégalais s’affirment de Montréal à Genève… Les langues internationales sont un « butin de guerre », selon l’expression de Kateb Yacine, et elles portent les jeunes africains vers une mondialisation pleinement vécue. Une chance d’expression globale leur est donnée par les nouveaux réseaux qui décuplent aujourd’hui leur parole, dès lors qu’ils en possèdent les clefs. Or justement, montre Hervé Bourges, ils en possèdent les clefs. Et ce n’est pas sur AFRIK.COM que l’on dira le contraire, à la veille de lancer L’AGENCE AFRIK.TV, qui fédère déjà l’énergie, la créativité et la force d’affirmation d’une quinzaine de jeunes journalistes africains !
Et Hervé Bourges de se faire l’écho, avec une délectation jubilatoire, de la manière dont le français devient langue souche, en se frottant aux différentes lagues, cultures, mentalités africaines, pour essaimer en une multitude de langues soeurs, charriant expressions locales, populaires, locutions nouvelles, expressions familières : c’est le nouchi à Abidjan, le sénéfrançais de Dakar, le bledi d’Alger… Où Bourges prouve qu’il est de toutes ces terres à la fois, et qu’il parle bledi, sénéfrançais, nouchi, aussi bien que le français de Yaoundé.
S’il y a une leçon ultime à ce livre chaleureux et entraînant, c’est surtout une leçon à la France : « l’Afrique n’attend pas », cela veut dire « Ouvrez les yeux », réveillez vous, regardez ce qui se passe ici. On s’y occupe à « inventer l’avenir », selon la belle formule de Thomas Sankara – que chante aujourd’hui le rappeur sénégalais Didier Awadi dans son disque « Présidents d’Afrique », disque encore non distribué en France… mais nominé pour les Emmy Awards 2011, comme meilleur chanteur francophone ! Hervé Bourges a décidément raison, il se passe quelque chose en Afrique et il serait temps qu’on en prenne conscience partout.