Le 28ème anniversaire du Printemps berbère est commémoré en grande pompe dans les régions berbérophones d’Algérie, particulièrement à Tizi-Ouzou, où cet événement présente un cachet spécial. C’est cette ville « martyre » qui a été, un certain 20 avril 1980, le théâtre d’affrontements entre des centaines d’étudiants, refusant le déni identitaire et les forces de l’ordre qui ont choisi le langage de la force pour les violenter.
La Kabylie, à l’instar des autres régions berbérophones du pays, commémore le 28ème anniversaires du Printemps berbère qui reste une date symbole à travers l’histoire. Des conférences retraçant la genèse et l’évolution du mouvement berbère et des expositions ont marqué la semaine.
L’une d’entre elles a été organisée ce jeudi 17 avril par le leader du parti du rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), Saïd Sadi, à l’institut national des techniques hôtelières (INTHT) de Tizi-Ouzou était la plus significative. Lui qui est l’un des principaux artisans de ce mouvement a tenu, devant une assistance composée essentiellement de cadres de partis politiques, d’hommes de cultures et des témoins privilégiés des événements, à rendre un vibrant hommage à ceux et à celles qui se sont donnés corps et âmes pour l’ouverture démocratique dans le pays.
« Sans mémoire, on ne peut construire l’histoire » a-t-il rappelé, non sans suggérer qu’ « il faut que l’Algérie se dote d’un pouvoir politique qui soit le résultat de l’expression des citoyens ». Saïd Sadi selon lequel « Avril 80 est un moment structurant de l’Algérie démocratique assumé par un mouvement de fécondation politique majeur et porteur d’une alternative démocratique » demande à ce que cette date « soit assumée par les institutions ». « La génération de Tasfut Imazighen (Printemps berbère, ndlr) a le mérite historique d’avoir inventé l’idée de lutte pacifique dans un pays régi par la violence », a-t-il indiqué non sans parler de la situation politique en Algérie qu’il estime « inquiétante ».
Dans la droite ligne du Printemps bèrebère, le septième anniversaire des douloureux événements du printemps noir de 2001, qui avait endeuillé Tizi-Ouzou ont été commémorés vendredi. Plusieurs délégations issues des différentes tendances du mouvement citoyen des Archs de la Kabylie ont tenu à déposer une gerbe de fleurs sur la tombe du jeune Guermah Massinissa, assassiné en avril 2001 dans les locaux de la brigade de la gendarmerie de Béni Douala. La maison de la culture Mouloud Mammeri De Tizi-Ouzou abrite, dans cette même perspective, des expositions retraçant la genèse de ce mouvement qui remonte dans le temps à la période coloniale.
Une histoire tumultueuse
Le mouvement berbère, qui date des années 1940, est ancré dans toutes les mémoires, dans les régions berbérophones d’Algérie. Durant les années 1970, des lycéens, universitaires et même des émigrés osaient braver la peur, instaurée en système de gouvernance par les maîtres inamovibles du pays. Ils s’inscrivaient héroïquement dans une démarche de promotion de la langue et culture amazighe et portaient clandestinement des documents écrits en cette langue millénaire alors frappée du sceau de l’interdit.
A cette époque, plusieurs cercles et espaces d’expression existaient et contribuaient pleinement à l’éveil des consciences. L’académie berbère du défunt Mohand Arab Bessaoud, officier de l’ALN (armée de libération nationale), l’illustre écrivain kabyle d’expression française et amazighe, Mouloud Mammeri, les célèbres chanteurs Slimane Azem, Lounis Ait Menguelet, Lounes Matoub et même le club de la jeunesse sportive de Kabylie dont les rencontres sportives étaient considérées comme espaces d’expression, jouaient un rôle moteur et catalyseur dans la promotion de cette culture.
Alors que le climat politique bouillonnait; les autorités locales de l’époque avaient procédé à l’interdiction, le 10 mars 1980, d’une conférence de Mouloud Mammeri sur les poèmes kabyles anciens à l’université de Tizi-Ouzou qui porte aujourd’hui son nom. Le lendemain, les étudiants de ladite université passeront à la vitesse supérieure. Bravant la répression, ils décideront de tenir un sit-in devant le siège de la wilaya et de la mouhafadha du parti unique de l’époque. Parallèlement, une grève était déclenchée et qui s’élargit au deuxième jour, c’est-à-dire le 12 mars aux différents lycées. Lorsque la nouvelle de l’interdiction atteint toutes les localités de la Kabylie, la réaction de la rue s’est exacerbée.
Le Anarez walla aneknu (plutôt rompre que plier) s’érigeait en principal mot d’ordre et le président Chadli Benjedid annulât sa visite du 15 mars à Tizi-Ouzou. Ce mouvement fit tache d’huile et atteint Alger, où plus de 200 étudiants manifestèrent leur solidarité à leurs frères de Kabylie le 16 mars. Ils s’attirèrent la foudre de la répression des services d’ordre alors que le comité de défense des droits culturels en Algérie était né (CDDCA). Le wali de Tizi-Ouzou en visite à Azazga, 40 km à l’est du chef lieu de wilaya quittât les lieux devant la grogne populaire. A Ain El Hammam ex Michelet, le siège du parti unique FLN était mis à sac et la population manifestait dans d’autres localités comme Draa El Mizan, les Ouadhias. Le 26 mars les étudiants de Tizi-Ouzou envahissent de nouveau la rue et décideront, à l’issue d’une assemblée générale, tenue le 6 avril d’une manifestation pour le lendemain à Alger. A la place du 1er mai, plusieurs centaines d’étudiants et d’enseignants dénonçaient le déni identitaire. En Kabylie des milliers de jeunes étaient empêchés par les forces de police de se rendre à Tizi-Ouzou.
Le 15 avril 1980 le CDDCA appelait à une marche pacifique pour le 16 avril devant l’ambassade d’Algérie à Paris alors que, le lendemain, la journée du savoir était boudée et une grève générale paralysait la région. Le 20 avril vit Tizi-Ouzou être le théâtre d’affrontements entre les forces de l’ordre et les milliers de jeunes qui réclamaient ouvertement la reconnaissance de la langue amazighe et le recouvrement de la liberté d’expression. En 2001 la commémoration de cette date en Kabylie a été marquée par la mort 127 jeunes lors des affrontements avec les forces de l’ordre qui avaient fait usage de balles réelles. Rappelons que, désormais, le 20 avril en Kabylie est chômé.