La justice relaxe les rebelles du vol Paris-Bamako


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Le tribunal correctionnel de Bobigny a relaxé, ce mardi, deux Français qui comparaissaient pour « incitation à la rébellion » suite à leur opposition à l’expulsion violente de deux sans-papiers maliens. Selon le syndicat de pilotes Alter, ce verdict « va forcément faire jurisprudence » et donne de l’espoir contre l’instauration officieuse d’un « délit de solidarité ».

Youssouf Soumounou et Marie-Françoise Durupt ont été reconnus non coupables d’« incitation à la rébellion ». Le tribunal correctionnel de Bobigny a relaxé ces deux Français, qui s’étaient verbalement opposés, le 28 avril, sur un vol d’Air France Paris-Bamako, à l’expulsion musclée de deux clandestins maliens. La juge a estimé que les propos tenus par les accusés avaient un « caractère discutable et excessif » et qu’ils témoignaient de l’« expression d’une vive émotion et d’une grande désapprobation ». Cependant, la présidente de la 11e chambre a conclu que, s’ils avaient « participé à l’échec de la reconduite à la frontière » pour deux des trois personnes en cours d’expulsion, ils « ne démontrent pas la volonté de s’opposer de façon violente à l’action de la police ».

Interrogé par le quotidien Libération, Richard Moyon, du réseau Réseau éducation sans frontières, a expliqué que Youssouf Soumounou, qui ne s’est pas présenté à l’audience, « n’assume plus aujourd’hui son acte, il ne veut pas communiquer dessus ». Tout l’inverse de son ex-co-accusée, qui serait prête, toujours selon Libération, à recommencer si elle était confrontée à la même scène.

« Méthodes inhumaines »

Le verdict est bien éloigné des réquisitions que le procureur avait faites le 3 juillet. Il avait demandé contre Youssouf Soumounou une amende de 500 euros et le double contre Marie-Françoise Durupt, soulignant que les policiers accomplissent le travail de reconduite « dans une situation déjà humainement difficile ». Mais ce que les deux Français blanchis ont vu leur aurait surtout paru « humainement difficile » pour les personnes raccompagnées.

Le Franco-Malien a assuré qu’il n’avait fait que s’interposer entre les Maliens scandalisés et les policiers. Quant à Marie-Françoise Durupt, qui devait effectuer un voyage professionnel dans la capitale malienne, elle a déclaré avoir « honte de la France » et dénoncé que les forces de l’ordre avaient fait usage de « méthodes inhumaines ».

Et de citer le fait que des « coussins » ont été mis « sur la tête » de deux sans-papiers « pour les empêcher de crier » et que l’un des hommes en uniforme s’est « assis sur un Malien ». Des comportements qui auraient participé à liguer les passagers contre les policiers et à retarder le vol de deux heures. Un vol qui a d’ailleurs pris la direction de Bamako sans Youssouf Soumounou, Marie-Françoise Durupt et deux des clandestins.

Colère des syndicats

Plusieurs syndicats d’Air France ont fait valoir leur opposition à l’utilisation des vols commerciaux pour raccompagner des sans-papiers. Parmi eux, le syndicat de pilotes Alter. Dans une lettre datée du 6 juin dernier, son président, Marcel Thibault, a averti à Jean-Cyril Spinetta, président directeur général d’Air France, que « les méthodes brutales employées par les forces de police pour contraindre ces passagers particuliers à voyager contre leur gré sont incompatibles avec le bon ordre et la salubrité à bord ».

Il a ajouté que les passagers réguliers n’avaient pas à voyager « dans un fourgon cellulaire » et a appelé Jean-Cyril Spinetta à prendre exemple sur « Air Canada [qui] a décidé dernièrement de refuser tout reconduit sur ses vols arguant, entre autres, qu’elle était « juste » une compagnie aérienne censée apporter un service à ses « clients » et pas un auxiliaire de police ». « A ce jour, nous n’avons reçu absolument aucune réponse, a assuré Marcel Thibault à Afrik. C’est le dialogue social façon Air France : il faut envoyer une lettre, mais on ne nous répond jamais. »

Le président d’Alter se dit cependant « ravi pour ces passagers. Ce jugement nous revigore car il va faire jurisprudence et montrer qu’il n’y a pas de « délit de solidarité » ». L’avocate de Marie-Françoise Durupt, Catherine Herrero, a par ailleurs déclaré à Libération qu’« au-delà de la question des expulsions, c’est une décision qui consacre notre liberté d’expression. (…) Nous sommes dans une démocratie, et en tant que citoyens actifs, quand des policiers agissent de cette manière, nous avons le devoir de le dire ». « D’autre part, cette décision est le signe que la justice commence à prendre en compte nos revendications et le fait que les expulsions se passent dans des conditions assez horribles, que les méthodes utilisées sont pour le moins barbares », poursuit Marcel Thibault.

« Besoin de plus d’effectifs »

Lorsqu’on lui demande s’il a constaté une hausse des contestations des expulsions, le commandant de bord de 747 se montre catégorique : « Mathématiquement, il y a de plus en plus de contestations car il y a de plus en plus d’expulsions. C’est aussi dû à la médiatisation de ces affaires. Il y a quatre ou cinq ans il y avait aussi des expulsions mais il n’y avait pas un tel battage médiatique. Aujourd’hui, les gens se sentent un peu plus concernés ». Une analyse que partage Pierre Willem, le secrétaire général à Union nationale des syndicats autonomes-Police (Unsa-Police) que nous avons interrogé.

Les scénarii catastrophes pourraient se multiplier, si l’on se base sur le quota de 25 000 expulsions pour 2007 fixé par le ministère de l’Immigration. Pour l’éviter, Pierre Willem recommande une hausse des effectifs policiers, et pourquoi pas des avions spécialement affrétés où « la sécurité des expulsés et des policiers serait assurée ». En 2006, la France avait envisagé des reconduites qui grouperaient les expulsés de l’Hexagone et d’autres pays européens. Mais l’affaire n’était pas rentable pour les compagnies concernées : les vols étaient aux trois-quarts vides.

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