Joachim Benedito Barbosa Gomes est le premier juge noir du Tribunal suprême fédéral, la plus haute instance juridique du Brésil. Il a été nommé en mai 2003 par le Président Lula. A 48 ans, cet homme réservé se défend d’être un exemple. Il pourrait bien, pourtant, redonner confiance à la population noire du pays qui peine à accéder aux postes de pouvoir.
Joachim Benedito Barbosa Gomes est en week-end à Rio de Janeiro. Il a quitté l’âpreté de Brasilia pour retrouver la douceur de la baie carioca qu’il adore. Décontracté, il a abandonné sa robe de juge et évoque avec entrain la cuisine brésilienne et française. Il est docteur en droit mais aujourd’hui, c’est le cassoulet et la feijoada qu’il compare. Derrière de fines lunettes, ses yeux gourmands accompagnent sa description des délices bahianais et des plats de son Minas Gerais natal. On en oublierait presque que ce bon vivant accessible et simple siège le reste de la semaine à la plus haute cour de justice brésilienne.
Joachim Barbosa a été nommé juge du Tribunal suprême fédéral (STF) en mai 2003 par le Président Ignacio Lula da Silva. C’est le premier Noir à accéder à ce poste au Brésil. Une nomination, synonyme de « plus de travail et plus de restriction », qui scelle l’aboutissement d’un destin inédit dans ce pays où le mythe de la « démocratie raciale » a fait long feu. Car si plus de la moitié des 175 millions de Brésiliens se définit comme « noire » ou « métisse », celle-ci n’évolue quasiment pas dans les cercles du pouvoir. « La communauté noire n’a pas les moyens de s’exprimer. Le pouvoir est dominé par les Blancs », regrette Joachim Barbosa, qui a derrière lui un long passé de militant des droits de l’Homme et de défenseur de la cause noire.
« CV extraordinaire »
Né dans une famille pauvre « mais pas misérable » du sud-est du Brésil, aîné de huit frères et sœurs, le futur juge quitte sa ville natale de Paracatu à 16 ans. Brasilia lui offre l’opportunité, rare pour une personne de son milieu et de sa couleur, de faire des études. Diplômé de droit constitutionnel, de droit administratif et de droit public comparé dans la capitale fédérale, il passe son doctorat de droit constitutionnel en France, à la Sorbonne. Il entre dans la fonction publique brésilienne en 1984 et y occupera divers postes jusqu’à être procureur de la République de Rio en 1992. Professeur de droit à l’université de Columbia, aux Etats-Unis, et à l’université fédérale de Rio, c’est un polyglotte accompli, s’exprimant aussi bien en anglais et en français qu’en allemand ou en italien.
« Barbosa Gomes affiche un CV extraordinaire qui renforce la confiance en soi de la population noire et pauvre du pays », expliquait en mai dernier Sueli Carneiro, présidente de Gélédès, une ONG qui défend les droits des femmes noires au Brésil, dans un éditorial de Afirma. « Sa nomination est une performance qui fait voler en éclat les préjugés raciaux ancrés dans notre société. Espérons que ce geste du Président Lula en amène d’autres. Pour que des fils de maçon comme Barbosa n’aient plus à faire des efforts herculéens pour profiter de la même mobilité sociale. »
Juge à vie
Joachim Barbosa ne s’attendait pas à arriver à un tel niveau. « Avant ma nomination, je faisais partie de l’élite économique et intellectuelle du pays mais pas de l’élite dominante du pouvoir. Le ministre de la Justice a entendu parler de moi et a souhaité me rencontrer pour connaître ma vision du droit et du monde… Les gens du pouvoir n’ont pas l’habitude de savoir ce que pense un Noir. La vision des Noirs est inconnue car les Noirs n’évoluent pas dans les cercles de pouvoir au Brésil. Ma nomination est un geste de changement par rapport à la façon dont on nomme les membres des organes de l’Etat. Celle de Gilberto Gil (célébre musicien brésilien noir, ndlr) à la Culture a été perçue comme telle aussi mais être ministre d’Etat, c’est très provisoire. Alors que juge d’une Cour suprême, c’est pour la vie. C’est bien la signification de ma nomination : la société brésilienne va devoir s’habituer à voir quelqu’un comme moi pendant 22 ans si ma santé me le permet ! »
Joachim Barbosa ne se définit pas comme « un exemple ». A 48 ans, cet homme « très réservé », n’aime pas se montrer ni parler de lui. « Je suis là, c’est tout, et j’espère faire de mon mieux. Le plus important, ce sera de bien faire mon travail. » Pourtant, il est en direct deux fois par semaine sur la chaîne TV Justice qui retransmet les séances de travail du STF. S’il n’est pas un exemple, il sera au moins un modèle malgré lui pour ses pairs.
Le vent du changement
Père d’un fils de 19 ans, il se dit plein d’espoir sur l’évolution de la place des Noirs au Brésil. « Depuis 9 ans, on sent le vent du changement. Ça a commencé par la pub, qui a intégré des personnes de couleur. Quelques mois avant ma nomination, il y a eu le premier journaliste noir à présenter le journal télévisé de 20h. Tais Araujo est en ce moment la première actrice noire à tenir le rôle principal d’une télénovela de la Globo… Les choses bougent. Le débat sur la discrimination positive bat son plein, j’ai d’ailleurs été le premier à écrire un livre juridique, en portugais, sur la discrimination positive et ses enjeux aux Etats-Unis, destiné à la classe juridique brésilienne. J’ai essayé d’être neutre même si en général je suis favorable au principe de discrimination positive pour les minorités, que ce soient les femmes, les Noirs ou les handicapés… Il y a un débat profond autour de cette question dans le milieu universitaire. D’un autre côté, il y a peu, un dentiste noir s’est fait assassiner à Sao Paulo par des policiers qui l’ont pris pour un voleur, juste parce-qu’il était noir. Et il y a eu un terrible silence autour de sa mort. »
Ce qui n’empêche pas Monsieur le juge de s’affirmer « optimiste ». C’est pour cela que, dès lundi, il retrouvera son siège au STF. Fidèle à son nouveau poste et conscient de la charge symbolique qu’il comprend. En espérant qu’un jour, il ne soit plus l’exception qui confirme la règle.