Le mal-être des jeunes français issus de l’immigration a envahi l’école. La Journée de la jupe de Jean-Paul Lilienfeld, en salles depuis ce mercredi, en fait le sombre constat tout en posant les jalons d’une nécessaire réflexion sur les moyens de préserver la vocation de cette institution. Rencontre avec Jean-Paul Lilienfeld.
Une journée ordinaire pour Sonia Bergerac, professeur de français, qui tente de transmettre son amour de la langue à ses élèves dans la cité où elle enseigne. Indisciplinés, impolis parfois terrorisants, ses jeunes disciples lui mènent la vie dure. D’ailleurs, Mouss s’est permis de ramener une arme dans la classe. Elle veut la confisquer, il l’en empêche mais l’adulte finit par avoir le dessus. Surtout maintenant, avec cette arme à la main. La Journée de la jupe illustre la façon dont les problèmes sociaux et identitaires peuvent s’introduire clandestinement dans ce lieu du savoir par essence qu’est l’école au point de lui ôter son pouvoir. Au lieu de contribuer à leur instruction, l’école est un exutoire pour ces adolescents, fils d’immigrés africains dans une classe où toutes les mixités se font rares. Leur professeur est la première victime de leur colère et de leurs frustrations. Si elles sont légitimes, doivent-ils l’exprimer là, dans cette école qui détient la clé du savoir qui leur servira, peut-être, à trouver leur place dans la société française. Eux qui ont déjà tant de mal à construire une identité parce que ballottés entre deux cultures : celle transmise par leurs parents et celle de leur lieu de naissance. Français, ils le sont à part entière mais la couleur de leur peau ou la religion semble être devenu un mur entre eux et leurs concitoyens. La violence, comme les émeutes de 2005 qui ont inspiré le scénario du film à Jean-Lilienfeld, est comparble à un cri d’amour inaudible. Le réalisateur français le rappelle avec empathie et clairvoyance dans une intrigue qui évoque aussi le machisme dont sont victimes les jeunes femmes dans les banlieues. Ces qualités font écho à la sincérité du jeu d’Isabelle Adjani, qui signe avec maestria, son retour sur les écrans français. On ne peut s’empêcher de voir derrière le professeur qu’elle incarne, la fille d’immigrée, qui rappelle en aînée à d’autres le rôle salvateur du savoir et de la connaissance. Il peut parfois faire tomber les barrières pour ceux que l’on discrimine.
Afrik.com : Y aurait-il une urgence à parler de ce malaise qui mine l’école française du fait que la société a du mal à reconnaître son identité plurielle ?
Jean-Paul Lilienfeld : J’ai fait une émission sur la chaîne Ciné Cinéma où ils m’ont fait la surprise de montrer mon film au ministre de l’Education nationale Xavier Darcos et de recueillir ses impressions. M. Darcos a dit : « Mais l’éducation nationale, ce n’est pas ça ! ». A vouloir se voiler la face, on laisse le terrain libre à ceux qui font un état des lieux et qui apportent des solutions racistes. C’est comme ça que Le Pen a eu la parole. Quand il a parlé des problèmes de l’immigration, tout le monde a dit qu’ils n’existaient pas parce que ça venait de lui. Pendant ce temps, le terrain était libre pour le Front National et ses théories racistes. Si des gens qui étaient du bon côté de la force, des humanistes quelques soient leurs opinions politiques s’étaient emparés du problème, le terrain n’aurait pas été libre pour Jean-Marie Le Pen. L’école, ce qui se passe dans les cités, le recul de la mixité, le recul communautariste de tout le monde constitue une problématique qui est à l’origine d’un malaise général. Nier ces problèmes ne les feront pas disparaître et on laisse à nouveau le terrain libre à des idées extrêmes.
Afrik.com : Comment expliquez-vous cette violence que l’on voit chez les élèves de Sonia Bergerac qui va finir par les prendre en otage ?
Jean-Paul Lilienfeld : Les causes en sont multiples. J’ai grandi à Créteil où nous étions alors tous mélangés. Il y avait des Noirs, des Arabes, des Juifs, des Asiatiques, des chrétiens et des musulmans. Je n’y ai jamais vu en 18 ans des gens se taper dessus à cause de leurs origines. Aujourd’hui, il y a un fort repli communautaire parce que malheureusement on a fait évolué des gens en circuit fermé. Il y aussi tous ces immigrés précaires, qui ne connaissent pas la culture française, et qui se retrouvent encore un fois à vivre en autarcie. En plus, ils ont du mal à trouver du travail, ils sont laminés par la vie, les problèmes économiques. Comment peuvent-ils alors s’occuper de leurs enfants ? Les parents n’ont pas toujours la possibilité ni la volonté de le faire. Je suis parent et parfois, pour éviter les situations conflictuelles, on laisse faire.
Mais il y a aussi l’ignorance, les idées toutes faites et ce que j’appelle « la fierté de substitution ». Quand on est Noir ou Arabe, c’est évident que l’on est discriminé. Cette fierté de subsitution consiste à se forger une identité parce qu’on en a pas une qui soit respectée. Les enfants se raccrochent ainsi à la religion, à une langue, à un pays dont ils ne savent pas souvent grand chose. D’ailleurs, quand ils vont dans le pays d’origine de leurs parents, on les considère comme des Français. Ils sont complètement largués. C’est une série de problèmes, une chaîne malheureuse qui conduit à cette violence. Mais la situation n’est pas pas inextricable, à condition de s’y attaquer en commençant par la dénoncer quand bien même l’on craindrait de donner des munitions aux racistes.
Afrik.com : J’ai entendu dire par un enseignant à la fin de l’une des projections que les élèves étaient caricaturés. Que répondez-vous à ce type de critiques ?
Jean-Paul Lilienfeld : Les ados qui jouent dans le film ne trouvent pas que c’est une caricature. Bien sûr, sont concentrés en 1h30, des évènements qui vont se dérouler sur six mois. Mais comment ressentir ce que ressent cette prof si on ne donne pas les moyens au spectateur d’apprécier ce par quoi elle est passée ? Ce n’est pas la réalité, c’est un concentré de réalités comme toujours dans une fiction. Toutes les classes ne sont pas comme celle-là, mais il en existe. J’ai par ailleurs rencontré plein de profs qui m’ont dit le contraire. En général, les gens qui sont sur le terrain et qui vivent ces situations au quotidien ne trouvent pas qu’il s’agit d’une caricature. On a souvent demandé aux adolescents qui jouent dans le film ce qu’ils ont ressenti en travaillant. Leur réponse : « rien » parce que c’est tout simplement leur quotidien. Le plus beau compliment qu’on m’ai fait, c’était à Saint-Denis, où nous avons tourné. La salle était composée à 99, 9% de personnes noires et arabes. A la fin de la projection, un vieux monsieur marocain de 80 ans m’a dit, les larmes aux yeux : « Merci de parler de nous normalement ». Je suis toujours très agacé par les intellectuels de salon qui pensent à la place des gens. C’est du post-colonialisme de penser que ces derniers ne sont pas assez intelligents pour savoir ce qui est bien ou pas pour ceux. « Vous vous rendez compte, vous jouez dans quelque chose qui va stigmatiser les banlieues !», a-t-on reproché à ces jeunes acteurs alors qu’ils savent très bien ce qu’ils font.
Afrik.com : Isabelle Adjani incarne Sonia Bergerac. Vous pensiez à elle en travaillant sur le scénario ?
Jean-Paul Lilienfeld : J’ai écrit l’histoire, puis je me suis demandé quelle comédienne pourrait le mieux interpréter ce personnage. J’ai été benêt parce que j’ai pensé à elle, au départ, tout simplement parce que c’est formidable pour un réalisateur d’avoir un tel stradivarius entre les mains. Isabelle Adjani a accepté en moins de 24h. Elle a réagi tellement vite que je n’ai pas eu le temps de réaliser que ça résonnait avec son histoire personnelle.
Afrik.com : Dans La Journée de la jupe, vous dites qu’il y a une génération de fils d’immigrés qui considérait que l’intégration passait par l’école, et que la nouvelle, semble-t-il, accablée par sa quête identitaire perd tous ses repères, même celui de l’école. Il y a justement une scène très émouvante où Sonia Bergerac supplie presque, les larmes aux yeux, ses élèves de ne pas piétiner cette opportunité qu’est l’école…
Jean-Paul Lilienfeld : Je peux vous dire que les enfants en face n’étaient plus dans le film. Ils l’écoutaient. Après, certains m’ont confié qu’ils « avaient compris des trucs ». Cette scène leur a parlé en tant qu’individus. Ils ont réalisé que leurs parents avaient migré pour qu’ils aient une vie meilleure. J’ai eu cette prise de conscience parce que je mon père est un immigré hongrois. Il a dû partir de la Hongrie parce qu’il était juif et qu’il n’y avait pas d’avenir pour lui dans ce pays. Il a commencé une nouvelle vie en France comme ouvrier. C’est important de rappeler tout cela à ceux qui sont perdus, de leur dire qu’il y a des gens qui se sont battus pour eux et qu’ils doivent en être dignes. Par ailleurs, Sonia Bergerac le dit, quand on Noir ou Arabe, ce n’est pas facile, mais si on est en plus ignorant….
Afrik.com : Cette journée de la jupe, c’est de la fiction ou c’est inspiré de la réalité ?
Jean-Paul Lilienfeld : J’ai commencé à écrire la première mouture du scénario en janvier et je l’ai finie vers juin 2006. Quand je l’ai terminé, je suis allé sur Internet pour vérifier si le titre n’avait pas été déjà utilisé. Je me suis alors rendu compte qu’il venait de se créer, pour la première fois dans un collège agricole en Bretagne, un printemps de la jupe et du respect. Ce n’était pas une cité, il n’était pas question de Noirs ou d’Arabes, mais un collège agricole où on voulait combattre le sexisme ambiant. Je les ai contactés en les rassurant sur le fait que je ne m’étais pas inspiré d’eux, j’en avais les preuves. Et cette année, j’ai fait l’ouverture du Printemps de la jupe et du respect. Cette initiative s’est étendue à tout le département, puis à toute la Bretagne, à Marseille et à Lyon.
Afrik.com : La chaîne franco-allemande Arte a produit La Journée de la jupe mais cela n’a pas été aisé de trouver des producteurs ?
Jean-Paul Lilienfeld : Mes interlocuteurs ont trouvé le sujet trop sensible et ils ne voulaient donc pas y toucher. Par ailleurs, même si ce n’est pas dit de façon explicite, j’ai fait des comédies auparavant. Je suis par conséquent un peu « sale ». Quand on fait des comédies en France, on est pas crédibles en tant que réalisateur ou scénariste. C’est la comédie qui rapporte le plus d’argent au cinéma français, mais elle demeure un genre méprisé.
Afrik.com : Au-delà de sa sortie au cinéma, de la télévision, vous voyez votre film être projeté dans les écoles comme outil de sensibilisation ?
Jean-Paul Lilienfeld : Je ne sais pas compte tenu de la réaction du ministre de l’Education et des syndicats d’enseignants. Ces derniers ont vu le film, l’ont apprécié mais estiment qu’ils ne peuvent pas le prescrire parce qu’il ne valorisent par les enseignants. Pour c’est un fait : les enseignants craquent.
Afrik.com : Que vous inspire le mot diversité et pourquoi la promouvoir n’est pas une sinécure en France ?
Jean-Paul Lilienfeld : La diversité, ce sont des gens qui ont des racines différentes – bretonnes, sénégalaises, algériennes, congolaises, marocaines – et qui se retrouvent sur un terrain commun. Il est difficile de le promouvoir en ce qui concerne les populations qui ont été colonisées parce qu’il y a un effet boomerang. Le racisme immédiat envers les immigrés italiens, polonais, espagnols a existé, mais ils ont fini par s’intégrer. Outre le fait que ces populations soient chrétiennes, aient des racines communes avec la France et qu’elles soient blanches, l’intégration a été plus facile parce qu’il n’y avait pas de passif colonial.
Afrik.com : Dans La Journée de la Jupe, vous illustrez le problème d’une école qui n’arrive plus à assurer sa mission intégratrice. Si vous deviez apporter une solution, quelle serait-elle ?
Jean-Paul Lilienfeld : Remettre le professeur au centre de l’école, pas l’élève. Celui qui sait est là pour transmettre son savoir. Les enseignants nous apprennent à parer les coups de la vie comme dans un cours d’art martial.
La Journée de la jupe
Un film de Jean-Paul Lilienfeld
Avec Isabelle Adjani, Denis Podalydès, Yann Collette, Jackie Berroyer
Durée : 1h28
Sortie française : 25 mars 2009